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Gilet jaunisation du mouvement ouvrier

SNCF. La grève des contrôleurs qui bouleverse la routine syndicale

Début décembre, un fort mouvement de grève des contrôleurs de la SNCF a émergé. A son initiative, un collectif national d'agents qui s'organisent sur les réseaux sociaux, rappelant certains aspects du mouvement des Gilets jaunes. De nouveaux appels à la grève sont prévus pour les fêtes.

Rafael Cherfy


et Lisa Mage

13 décembre 2022

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Crédits photos : Révolution Permanente

Un mouvement de grève massif chez les contrôleurs de la SNCF

Depuis le début du mois, une mobilisation inédite a secoué la SNCF. En effet, du 2 au 5 décembre, une première grève des Agents Service Commercial Trains (ASCT) a surpris par son importance. En témoignent les déclarations du PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou : « c’est une grève qu’on n’a pas vu arriver, ni nous ni les syndicats ». Si la grève était prévisible, puisque le préavis était déposé depuis plus d’un mois, c’est surtout l’ampleur de la grève et son organisation en dehors des cadres syndicaux traditionnels, qui vient bouleverser les méthodes de lutte des cheminots.

Au pic de la mobilisation c’est 60% des TGV supprimés, les TGV, les Intercités et certains TER ne pouvant pas quitter la gare sans un contrôleur à bord pour des raisons de sécurité ferroviaire. Le collectif revendiquait alors 99 % de grévistes sur TGV à Toulouse, 90 % à Bordeaux, 100 % à Hendaye, plus de 80 % dans les résidences parisiennes (Montparnasse, gare de l’Est et gare de Lyon), 92 % chez Ouigo et 95 % sur l’Eurostar. Les grévistes se mobilisent pour des augmentations de salaire, des carrières plus pérennes, un maintien de la rémunération en cas de changement de parcours professionnel, le maintien de la rémunération en cas d’inaptitude et une reconnaissance du métier.

Elsa, contrôleuse TER à Toulouse, résume la situation : « L’ampleur prise par le collectif et la mobilisation de début décembre a surpris tout le monde. Je pense que cette grève massive a révélé une colère latente, un manque de reconnaissance de notre travail. Le fait qu’une majorité de trains soient restés à l’arrêt pendant notre grève, surtout sur TGV et Intercités, montre que notre rôle est indispensable à la sécurité des voyageurs ».

Une colère organisée à la base qui vient bousculer les syndicats et rappelle le mouvement des Gilets jaunes

Au-delà de son impact, cette grève revêt un aspect assez inédit de par son origine. En effet, le CNA (Collectif National des Agents du service commercial trains) est impulsé par la base des agents, dépassant les traditionnelles grèves initiées par les syndicats. Ainsi, il faut remonter à l’année 1986 pour retrouver la trace d’un mouvement issu de la base de cette ampleur à la SNCF. Rappelant le mouvement des Gilets jaunes, ce collectif s’organise sur Facebook avec un groupe comptant 3 400 membres, sur les 10 000 contrôleurs en exercice à l’échelle nationale.

Exprimant une certaine méfiance vis à vis des organisations syndicales, le collectif a donc « commencé à travailler sur les revendications sans les syndicats » affirme l’un des co-fondateur. « Après l’expérience de la grève « perlée » de 2018, imposée par nos directions syndicales, qui a été désastreuse, on a ressenti beaucoup de défiance vis-à-vis des syndicats en général. Combiné à l’émergence d’un mouvement comme les Gilets jaunes, ça n’est pas vraiment une surprise que l’on s’organise différemment » explique Elsa.

Les organisateurs du Collectif revendiquent aussi une organisation démocratique et indépendante de toute « guéguerre syndicale ». Ainsi, lors des négociations du 3 et 4 décembre, spécifiques aux contrôleurs, ce sont des mandatés du CNA, qui ont rencontré la direction. Après s’être structuré, le CNA a fait appel au soutien des syndicats pour déposer un préavis de grève. C’est sur cette base que Sud Rail et la CFDT ont été signataires de l’appel à la grève des contrôleurs du 2 au 5 décembre.

Syndicat majoritaire, la CGT n’a pourtant pas soutenu le mouvement au début. « D’ailleurs le plus grand risque est pour la confédération qui se coupe de leur base en ne nous soutenant pas parce que, sur le terrain, nos collègues syndiqués à la CGT font grève avec nous », explique Olivier, un membre du CNA (collectif national des ASCT) pour Médiapart.

À plus petite échelle, et depuis l’expérience des Gilets jaunes, d’autres cheminots avaient repris des méthodes radicales de lutte du mouvement ouvrier. C’était notamment le cas au technicentre de Châtillon en 2019 où 200 cheminots avaient paralysé une partie du réseau ferré sans poser de préavis, face à des attaques locales et nationales. Ou encore dans la région Occitanie où les aiguilleurs s’étaient organisées sur les réseaux sociaux par-delà les clivages syndicaux au printemps dernier pour une mobilisation massive – plus de 80 % de grévistes – face à la dégradation de leurs conditions de travail.

La sourde oreille de la direction

Après cette première grève massive, le collectif national des ASCT prévoit de se remettre en grève, pour Noël et le Nouvel an, s’ils n’obtiennent pas leurs revendications. Aussi, au niveau national, les NAO (négociations annuelles obligatoires) qui ont commencé ce mercredi 7 décembre à la SNCF ne répondent pas à la colère. En effet, la direction du groupe propose des augmentations de salaires d’à peine 50 euros bruts par mois pour 2023, alors même que « l’entreprise va clôturer l’année avec des profits records » témoigne Anasse Kazib.

Au vu des récentes négociations, la probabilité d’une mobilisation en fin de mois semble plutôt réaliste : « Les négociations propres à notre métier d’ASCT avec le collectif sont en cours. Le préavis est déjà posé pour les week-ends de Noël et du jour de l’an, c’est la direction qui a les cartes en main. Si on n’obtient pas une revalorisation salariale conséquente et une reconnaissance dans notre travail, c’est évident qu’on sera de nouveau très nombreux en grève à la fin du mois », explique Elsa.

Plus largement, la colère à la SNCF ne se limite pas au secteur des contrôleurs. En effet, des grèves sont en cours au centre de triage du Bourget pour les salaires. D’autres phénomènes comme la récente grève « sauvage » au centre de maintenance de Châtillon pour la réintégration d’un collègue montre une certaine spontanéité des travailleurs du rail.

Si l’appel à la grève nationale du 7 décembre, jour de début des NAO (négociations annuelles obligatoires), a finalement été peu suivi, la colère, loin d’être retombée, menace de s’amplifier pour les fêtes. L’organisation de grève à la base comme le font actuellement les contrôleurs montre une réelle volonté de construire des mobilisations où « la grève appartient aux grévistes ».

Cependant, pour gagner, ce début d’organisation à la base doit se renforcer. Le développement d’assemblées générales et la coordination avec les autres secteurs de la SNCF va devenir une question cruciale pour pouvoir imposer un rapport de force à l’entreprise sur cette question des salaires et des conditions de travail.


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