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Grève des centres de maintenance des TGV

SNCF. Retour sur la grève du technicentre de Châtillon qui a paralysé la moitié de la France

Un an après, retour sur le caractère d’un conflit spécial qui a mis l’auto-organisation à la base au centre. Nous reviendrons ici sur les origines, les causes et le déroulement de cette grève, riche en enseignements pour la suite.

Clément Alonso

7 novembre 2020

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Le 21 Octobre, dans une situation politique particulière avec le mouvement des gilets jaunes, à l’aube du conflit contre la réforme des retraites du 5 Décembre 2019, les foyers de contestations se multiplient au sein de la SNCF et la jonction avec les travailleurs de la RATP, qui avaient paralysé la capitale lors de la journée de grève du 13 septembre, se prépare. Puis le 21 Octobre au soir un conflit particulier éclate au Technicentre de Châtillon en charge de la maintenance des TGV de tout l’Axe Atlantique (au départ de Paris Montparnasse). En effet la remise en cause d’un accord local vieux de 20 ans qui donne 12 jours de repos supplémentaires aux agents travaillant le week-end à l’ensemble des travailleurs du technicentre en est la cause. Comme partout ailleurs suite à la réforme ferroviaire de 2018 et la privatisation de la SNCF, les accords locaux sont tous remis en cause pour niveler vers le bas les conditions de travail des cheminots.

Pourtant la colère éclate de façon inattendue ce soir-là, quitte à bafouer toutes les lois sur le service minimum, avec « un posage de caisse » comme les agents l’appellent (cesser le travail de manière directe), plus précisément sans préavis de grève et sans poser la DII (délai de prévenance de 48h pour se déclarer gréviste, obligatoire à la SNCF), au bout de 48h les effets de la grève se font ressentir, 80% de trains supprimés en gare de Montparnasse, les médias s’affolent.

Il arrive parfois que des grèves défensives évoluent en grève offensive et c’est exactement ce qu’il s’est passé. L’objectif de base étant de conserver cet accord local, et les 12 jours de repos supplémentaires. Le fait d’avoir des débats en Assemblée Générale, la magie de l’auto-organisation opère, les cheminots du technicentre échangent sur leurs problématiques quotidiennes, eux, qui ne se parlaient pas entre eux au quotidien, se sont retrouvés à nouer des liens dans la vérité la plus absolue, celle de la lutte de classes ! Finalement les revendications ont été établies, non pas dans le fait de seulement conserver des acquis mais d’améliorer les existants, et également en conquérir de nouveaux. Amélioration des roulements actuels, pour améliorer les conditions de vie, les 12 jours de repos supplémentaires pour tous les agents qui travaillent les week-ends (inégalité crée par la direction). Finalement la direction, qui recule progressivement, est obligée de lâcher face au rapport de forces démentiel et les proportions que prend ce conflit. La spontanéité et la combativité dégagée lors de ce conflit, le fait de passer de travailleurs de l’ombre à la lumière des projecteurs, lève le voile sur la situation sociale au sein de la SNCF, le mal être et la précarité sont exposés à la lumière du jour.

De la grève de Châtillon à la grève des technicentres

La colère, la précarité n’existent pas qu’au technicentre de Châtillon. Ce sont plutôt des problématiques nationales, car l’ensemble des technicentres font face au sous-effectif, aux dégradations continuelles des conditions de travail depuis des années… Dans le sillage de la grève déclenchée à Chatillon, la cocotte-minute explose et le conflit s’étend dans d’autres technicentres comme celui du Landy (Paris Nord) et le Technicentre Sud-Est Européen (Gare de Lyon), avec la même méthode de lutte : Assemblées Générales quotidiennes et grève sauvage sans préavis ni DII. Cela a pour effet de remonter le conflit au plus haut sommet de l’entreprise. La stratégie de la direction, qui dans un premier lieu s’est résumée à faire passer les cheminots de Châtillon pour des jusqu’au boutistes en les dénigrant dans les médias, se retourne contre elle car le conflit s’élargit et montre un mal être dans l’entreprise, les jeux sont fait et l’opinion publique est du côté des grévistes ! Au final chaque technicentre obtient une grande partie de ces revendications locales, et en plus de cela le haut de l’entreprise plie également et propose de mettre en place plusieurs primes au national pour augmenter les faibles rémunérations dans ce secteur. Évidemment ce n’est pas une augmentation de salaire mais cela reste bon à prendre, surtout pour ce secteur, très peu valorisé en réalité, avec des rémunérations plutôt faibles. Ces travailleurs invisibles sont devenus visibles et démontré, avec la force collective de la grève, que leur travail est déterminant pour que les trains puissent rouler. Au final, l’un des acquis les plus importants de cette grève reste « la jurisprudence Châtillon » le fait de faire grève sans préavis, ni DII et sortir du conflit sans aucune sanction et sans aucune absence irrégulière, pour l’ensemble des technicentres. Avec l’exemple et la victoire de Châtillon, la grève qui s’étend aux autres technicentres et les droits de retraits massifs partout en France suite à l’accident de Champagne Ardennes, les cheminots sont remontés à bloc et ont pris conscience, encore une fois, de leur force. Le bilan est donc positif car pour la grève qui se préparait contre la réforme des retraites, à partir du 5 Décembre 2019, la démonstration a été faite que mener des bagarres vaut le coup.

Face à la privatisation et à l’ouverture à la concurrence, la dégradation de nos conditions de travail n’est pas une fatalité !

Ce conflit nous démontre que même si certaines lois pour privatiser le secteur des transports sont passées (Réforme ferroviaire pour la SNCF, Loi Orientation Mobilités -LOM- pour les bus), il est toujours possible d’en combattre les effets et de les neutraliser. Le but de l’ouverture à la concurrence est au final de dégrader les conditions de travail des travailleurs des transports, en nivelant vers le bas. Par exemple sur les jours de repos, un machiniste à la RATP bénéficie de 121 jours de repos annuels, d’autres entreprises privées en ont moins et cela peut même descendre jusque 104 repos annuels. Évidemment au prix des travailleurs le but va être de dégrader les conditions de travail, de niveler par le bas les conventions collectives de chaque entreprise et bien sûr de briser tous les accords locaux sur chaque secteur. Afin d’opposer les travailleurs entre eux, voire même d’entraîner des replis corporatistes, de mise en concurrence entre chaque entreprise. L’intérêt des travailleurs des transports est contraire à cette logique de mise en concurrence entre eux, la logique est inverse ils sont opposés à leurs propres directions qui cherchent à niveler leurs conditions de travail vers le bas. Les directions des entreprises de transports marchent toutes main dans la main en se partageant les parts du gâteau. Il est donc bon de commencer à penser la mise en place d’un programme hégémonique pour les travailleurs des transports tous secteurs confondus, afin de récupérer le meilleur de chaque convention collective, et en obtenir une unique nivelée par le haut et qui ne dégraderait donc pas les conditions de travail de chacun quel que soit l’entreprise.

Cette unité que l’on doit forger à la base, quelle que soit notre entreprise, notre secteur, notre ville, est indispensable pour être plus forts face au patronat du transport. S’organiser et lutter ensemble serait non seulement une manière de défendre nos acquis, de passer outre les divisions que l’on cherche à nous imposer, mais également de commencer à penser un programme offensif qui pose la question d’un service public de transports en commun qui réponde aux besoins de la population. La planification nécessaire pour que les bus, les métros, les RER et les trains de moyenne et longues distances, répondent aux besoins de tous les travailleurs ne peut pas être laissée dans les mains des entreprises et des patrons qui ne cherchent à faire du profit. Ce sont les cheminots, les traminots, les agents de la RATP, la SNCF, la Savac, Keolis, Transdev et toutes les autres entreprises de transports régionaux, en lien avec les usagers, qui peuvent apporter des réponses de fond.

La grève des technicentre montre qu’il est possible de jouer sur ces leviers-là localement, donc pourquoi ne serait-il pas possible de jouer sur ces leviers tous ensembles dans le même sens ? Celui de revendiquer « SNCF, RATP, Keolis, Transdev, SAVAC, RTM, etc… tous aux même conditions, tous ensemble, pour défendre un service public de qualité pour tous et toutes ! »


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Clément Alonso

Cheminot au Technicentre de Châtillon (92), syndiqué Sud Rail

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