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« Ségur de la santé »

Santé : les rassemblements se multiplient devant les hôpitaux, vers une convergence des colères ?

Alors que le gouvernement s’apprête à dévoiler son nouveau plan pour l’hôpital baptisé « Ségur de la santé », un début de mobilisation se fait jour dans les hôpitaux et la santé où de nombreux rassemblements sont appelés depuis la semaine dernière. Un début de mouvement qui appelle à une convergence des colères aux côtés des soignants, pour refuser que l’ensemble du monde du travail ne paie la crise.

Cécile Manchette

20 mai 2020

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« Ségur de la santé » : une promesse qui n’a pas éteint la défiance des soignants

A l’issue du Conseil des ministres qui s’est tenu ce mercredi 20 mai, Olivier Véran s’est prononcé sur le nouveau plan pour l’hôpital, le « Ségur de la santé ». Un nouveau plan que le ministre a voulu distinguer des précédents dont le plan « Ma santé 2022 » et le « plan d’urgence » d’Agnès Buzyn présenté en réponse à la grève des urgences. « Nous irons vite, nous irons fort » a-t-il ainsi résumé. Mais les contours de ce nouveau plan pour l’hôpital public et la santé restent encore très flous et incertains. La promesse principale, et nouvelle, du gouvernement concerne une revalorisation des salaires, exigée par les professionnels de la santé depuis plusieurs années, et à laquelle le gouvernement répondait jusqu’à présent par des primes individuelles.

Cette promesse d’une revalorisation des salaires pour les hisser au niveau de la moyenne européenne, dont la France est très loin, est avant tout une réponse à la colère latente dans les hôpitaux et la santé ces dernières années et exacerbée par la vague épidémique. Depuis le début de la crise sanitaire, les chiffres sur la rémunération des hospitaliers et des infirmiers resurgissent et sont agités par les hospitaliers en colère. En effet, les infirmiers français ont un salaire inférieur à celui de leurs collègues des pays voisins européens, et souhaiteraient, entre autres, être rémunérés décemment pour leur travail. D’autres chiffres doivent occuper actuellement l’esprit de l’exécutif, 96% des soignants estimaient en 2019 que « l’hôpital va mal », tandis que, selon un sondage Opinionway-Square Management, 84 % des Français soutenaient le mouvement des urgentistes en grève de l’an passé. Si certains avaient encore des doutes sur les raisons de la « crise de l’hôpital public », la crise sanitaire a fini de démontrer les conséquences des économies budgétaires sur les moyens humains et matériels, notamment la suppression de lits en réanimation. Un regain de mobilisation dans les hôpitaux et la santé trouverait alors très certainement soutien et approbation du côté de la population.

La semaine dernière, après avoir déclenché une énième fois le mécontentement des soignants avec la publication tardive du décret sur la prime "exceptionnelle" dont les personnels ne voient toujours pas la couleur et qui sera sélective, le gouvernement a décidé d’utiliser une recette qu’on lui connait maintenant, l’organisation d’un grenelle, sans en employer le terme, avec les partenaires sociaux acceptant de se prêter au jeu, et qui se tiendra le 25 mai prochain. La différence est qu’aujourd’hui un certain nombre de travailleurs et travailleuses acteurs des mobilisations passées ont fait l’expérience de ces « plans d’urgence » déguisés qui poursuivent la casse de la santé publique, de ces « grenelles », véritables mascarades de « dialogue social », qui servent avant tout à canaliser les colères pour mieux les diviser.

Avant même que le « Ségur de la santé » n’ait commencé, nombre de professionnels de la santé fustigent et interrogent d’ores et déjà le contenu de ce plan : quel sera le montant de la hausse des salaires ? Qui sera concerné et pour combien de temps ? Qu’en est-il des plans de restructuration et des suppressions de lits que le ministre a évité d’évoquer ? Qu’en est-il d’un plan d’embauche ou encore des contours du « plan d’investissement massif » promis le 25 mars dernier par le président ? La note de la Caisse des Dépôts révélée par Médiapart début avril, tout comme la volonté du gouvernement de « remettre en cause certains carcans », c’est-à-dire toucher aux 35 heures, montrent qu’il n’est aucunement question de changer de cap pour la macronie.

Des embryons de mobilisations autour de nombreux hôpitaux

Dans cette situation, le pire serait de tomber dans le piège tendu par le gouvernement. Un piège que certains professionnels de santé décèlent comme Laurent Thines, neurochirurgien au CHU de Besançon : « Ce n’est pas la première fois que l’on aura cru à une promesse d’embellie pour finir par être trahi. Il est vital de maintenir la pression mais nous savons que nous pouvons compter sur vous. Ne nous laissons pas endormir par ces belles paroles. Tout ce que semble dire Emmanuel Macron est incompatible avec le projet qu’il défend au nom des intérêts qui l’ont mis à cette fonction et qu’il représente. En pratique, les projets de restructuration et de suppression de lits et de personnels se poursuivent : Saint-Etienne, Caen, Nancy ?... Ils cherchent à nous endormir jusqu’aux vacances…puis c’est l’été, puis la rentrée et on repart pour un tour …Y-en-a-marre ! A Besançon, nous allons organiser une grande manif de soutien à l’hôpital le jeudi 28 mai, si l’épidémie ne repart pas d’ici là.

Depuis le déconfinement amorcé le 11 mai, les personnels de santé, réalisent ainsi leur promesse : être dans la rue après le Covid. Dans différentes villes, des rassemblements ont ainsi été appelés par les soignants depuis deux semaines pour témoigner de leur colère et envoyer un message au gouvernement, celui qu’il n’y aura pas de « retour à la normale ». Dès le 11 mai à Nantes ce sont 300 personnes qui se sont réunies devant le CHU en soutien aux soignants et à leurs revendications pour exiger « plus de fric pour l’hôpital public ». Encore très mobilisés dans la lutte contre le virus, et épuisés par deux mois harassants physiquement et psychologiquement, les signes de colère sont encore localisés et minoritaires mais il est certain que le mal être, la colère, le sentiment d’injustice est profond et massif du côté des soignants.

A Nantes, à Toulouse, Paris, Rouen, Clermont-Ferrand, en région parisienne comme à Saint-Denis, et dans d’autres villes, des rassemblements et manifestations ont ainsi été appelés au pied de certains centres hospitaliers pour revendiquer des moyens pour l’hôpital, du matériel médical (masques, tests...), du personnel embauché en CDI, des revalorisations salariales ou encore s’opposer à des plans de restructuration. Ces rassemblements ont la particularité d’être rejoints par des usagers, des gilets jaunes ou encore des travailleurs d’autres secteurs comme à Toulouse. Lundi, à l’hôpital Henri Mondor, où le mécontentement est fort depuis le début de la pandémie, une poignée de personnels étaient réunis pour montrer leur colère, contenue pour le moment derrière leurs masques.

Ce mercredi une manifestation est également partie depuis l’hôpital Tenon qui a été au cœur de la lutte contre la Covid dans une des zones les plus touchées par l’épidémie. Les soignants avaient accroché une banderole sur la devanture de l’hôpital sur laquelle on pouvait lire, « Hausse des embauches, hausse des salaires, hausse des lits ».

« C’est pas des médailles qu’il nous faut mais des moyens » était-il écrit sur une pancarte brandie par une soignante en réponse à la promesse du gouvernement de remettre une médaille aux personnels en guise de reconnaissance. Mais dans chacune de ces manifestations le message est clair : les soignants ne veulent ni d’une médaille, ni que d’une prime de 1 500 euros, ils veulent des moyens matériels, humains, l’ouverture de lits, une revalorisation des salaires ou encore une augmentation généralisée du point d’indice gelé depuis plusieurs années.

A ces manifestations éclairs appelées à se reproduire tous les jeudis, comme le nouveau rassemblement annoncé le 22 mai devant l’hôpital parisien Robert Debré, ainsi que la journée de mobilisation nationale qui se profile pour le 16 juin, appelée par les collectifs nés d’un an de lutte à l’hôpital (inter-Urgences, Inter-Blocs et Inter-Hôpitaux) ainsi que les syndicats CGT, SUD et Unsa, l’association des médecins urgentistes de France ou le Printemps de la psychiatrie, ou encore les préavis de grève lancés par Sud Santé ainsi qu’au CHU de Bordeaux ou encore au centre hospitalier de Pau. Autant de signaux que les personnels de santé ne comptent pas se plier sagement au cadre imposé par le gouvernement.

Contre les plans du gouvernement, l’urgence d’une unité des soignants avec l’ensemble des secteurs ouvriers

Une infirmière, consciente des plans du gouvernement pour le monde du travail dans les mois à venir, s’est adressée aux personnes présentes au rassemblement devant l’hôpital Tenon ce mercredi : « Ils prévoient un tsunami de licenciements, dans le privé mais aussi dans le public. [...] Nous savons pertinemment que même ce qui est promis pour l’hôpital risque aussi de passer aux oubliettes, parce que de toute manière, dans deux ou trois mois, on nous dira qu’il n’y a plus de pognon ». Face à ce constat, le 11 mai dernier, Magalie, déléguée CGT au CHU de la Grave à Toulouse, revendiquait alors explicitement l’importance d’une mobilisation interprofessionnelle pour que ce ne soit pas aux travailleurs de payer la crise : « Ce qui est important, c’est qu’on soit tous lié. Tous ensemble dans la rue, tout les usagers, tout les citoyens et toutes les entreprises confondues. »

Ainsi, les personnels de santé qui ont été en « première ligne » de la lutte contre le Covid ont pu prendre conscience dans la dernière période de leurs intérêts partagés avec les travailleurs d’autres secteurs comme l’éducation, les transports, la grande distribution qui eux aussi sont aujourd’hui achetés à coup de primes et subissent les mêmes logiques de privatisation et les politiques austéritaires avec leurs lots de plans de licenciements, de restructurations ou encore de techniques managériales agressives pour leur faire payer la crise.

A la mobilisation naissante dans les hôpitaux et dans la santé, dans un contexte de crise économique inédit, pourrait ainsi s’agréger d’autres colères qu’un programme d’urgence et de rupture avec le système capitaliste ; contre les licenciements qui s’annoncent déjà, pour un plan d’embauche massif, un salaire pour tous et le partage du temps de travail, serait à même d’unifier contre le gouvernement et le patronat.


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