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Moins pire que Netanyahou ?

Shimon Peres. Mort du prix Nobel de la Guerre

« Un homme de paix ». Partout un vibrant hommage, unanime ou presque, pour le « dernier des pères fondateurs d’Israël », décédé le 28 septembre à Tel Aviv. Comparé aux chiens de guerre et aux représentants des colons qui sont aujourd’hui aux commandes, à Tel Aviv, et ce alors que le « processus de paix » est au point mort, le prix Nobel de la paix 1994 peut faire figure de « colombe » à bon compte. C’est oublier que, davantage que les faucons, il a été avant tout l’un des meilleurs serviteurs de l’Etat raciste et colonialiste d’Israël et, très certainement, l’un de ses politiciens les plus lucides.

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La vie de Peres, ou plutôt sa jeunesse, résume à elle seule la parabole de la gauche sioniste. Arrivé en 1934 avec ses parents en Palestine, alors sous mandat britannique, depuis la région de Valojyn, aujourd’hui en Biélorussie et alors en Pologne, le jeune Peres s’investit dans le mouvement des kibboutznikim où se retrouvent des milliers de familles juives populaires et ouvrières d’Europe de l’Est, autant façonnées par les idées du Bund que par la promesse d’un avenir meilleur en Palestine. Mais si le « socialisme dans un seul pays » soviétique est déjà, à l’époque, en pleine faillite, la perspective kibboutznik d’une utopie socialiste rurale, généralement séparée des populations arabes et bédouines de Palestine, apparaît certes comme une réponse pour des milliers de Juifs d’Europe de l’Est à l’antisémitisme et aux pogroms, mais ne représente en rien une réalité viable et progressiste à terme. Au moment de la proclamation par partition de l’Etat d’Israël, la grande majorité des kibboutzim se range du côté du projet raciste de Ben Gourion. Peres le résume, d’ailleurs, dans un entretien concédé au Monde et publié mercredi, après son décès : « Ben Gourion (…) refusait le principe d’un socialisme importé et professait un anticommunisme, antiléninisme, antimarxisme totalement iconoclastes pour l’époque. Tout était dans la Bible, martelait-il, berceau d’un socialisme pacifique et généreux ».

Généreux notamment avec ceux qui allaient s’approprier les terres des Palestiniens chassés par la Haganah, la milice du Parti Travailliste, ancêtre de Tsahal. Si Yitzhak Rabin, frère ennemi de Peres chez les travaillistes, sert au sein du Palmah, les formations ultra-sionistes, et prend en charge les opérations de nettoyage ethnique contre Ramallah et Lod, Peres est chargé, par Ben Gourion, de trouver des armes pour la nouvelle armée sioniste. Aussi surprenant que cela puisse paraître, si l’on tient compte de « l’histoire officiel » ou, plutôt, de son récit, c’est la France de De Gaulle qui les lui livre. Israël n’est pas encore le meilleur allié de l’impérialisme américain dans la région.

La suite est une succession de crapuleries au service du projet raciste et expansionniste de l’Etat d’Israël. Le plus inattendu, dans cette histoire, c’est que c’est précisément la gauche réformiste, en l’occurrence le Mapaï et postérieurement le Parti Travailliste, et non la droite séculaire ou religieuse, qui va piloter ce projet pendant trois décennies durant, et ce jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Menahem Begin, en 1977. Mais si c’est bien le Likoud qui va tenter de donner la touche finale au projet de Grand Israël, par l’invasion du Liban en 1982 -une guerre accompagnée d’une kyrielle de crimes contre l’humanité dont Israël sera acteur ou complice, aux côtés des milices phalangistes, à commencer par ceux de Sabra et Chatila-, c’est la gauche travailliste qui ouvre la voie à cette sombre épopée. Et au cours de cette histoire, Peres est, systématiquement, en première ligne.

De là à affirmer que son opposition à la ligne actuelle du gouvernement Netanyahou ferait de l’ancien faucon une véritable colombe, il y a un gouffre. Dès le milieu des années 1980, Peres fait partie de ceux qui finissent par se convaincre, au vue de la seconde Intifada, de la difficulté à gérer l’occupation du Sud Liban ainsi que la totalité de Gaza et de la Cisjordanie, et ce alors que la politique nord-américaine à l’égard du Proche et Moyen-Orient change, qu’il est plus couteux en termes militaires, géopolitiques et économiques de poursuivre avec le projet originel du Grand Israël que de trouver une issue négociée avec une fraction de la bourgeoisie palestinienne qui accepterait de jouer le rôle d’interface entre Tel-Aviv et les Palestiniens en échange du contrôle d’un bantoustan. C’est ce qui ressort, au final, des Accords d’Oslo, pour lesquels Rabbin, Peres et Yasser Arafat reçoivent le Prix Nobel de la Paix.

Ce que les Accords d’Oslo contredisent sur toute la ligne, ce sont bien entendu les revendications historiques du mouvement palestinien, à commencer par le droit au retour et le droit à l’autodétermination. Ce que les Accords d’Oslo garantissent, en revanche, ce n’est plus l’idée d’un « Grand Israël » mais l’existence d’un Etat consolidé, renforcé et que les pays arabes ne sauraient remettre en question, à savoir le projet originel de Ben Gourion. C’est ce qui a fait dire à Peres que c’est bien « Dimona [la ville du Néguev où a été installé le premier centre de recherche israélien] a ouvert la voie à Oslo », à savoir que son projet de « paix » était fortement adossé à l’idée d’une défense y compris nucléaire de la sécurité de l’Etat sioniste et fondé sur la vague de conflits avec les Arabes ayant débouché sur Israël tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Néanmoins, le fait que Peres, ayant ultérieurement donné un coup de barre au centre en quittant le Parti Travailliste pour rejoindre Kadima, ait incarné l’aile la plus lucide de l’establishment ne signifie pas automatiquement être majoritaire ni même hégémonique. La situation actuelle en Israël en atteste. C’est à nouveau la droite la plus dure qui est aujourd’hui aux commandes. Mais comme à la fin des années 1977, avec Begin puis avec Shamir, c’est la gauche sioniste qui lui a ouvert la voie.

Aujourd’hui, selon que l’on considère le verre à moitié plein ou à moitié vide, l’Autorité Nationale Palestinienne est dans meilleur des cas une fiction, dans le pire des cas une vaste prison à ciel ouvert, alors qu’Israël s’est considérablement renforcé. Cela est l’œuvre de Peres qui a grandement contribué à neutraliser, à travers Oslo, la direction historique du mouvement palestinien. Les Avigdor Liberman et autres Benjamin Netanyahou veulent aller aujourd’hui encore plus loin mais ne font que reprendre, sur un autre genre, le projet initial de Ben Gourion, Rabin et Peres, les actuelles colonies de peuplement jouant le rôle des Kibboutzim de 1947-1948 pour voler les terres palestiniennes. C’est sur ces perspectives que Peres était présenté comme une « colombe » : depuis la présidence de l’Etat d’Israël, le vieux routier de la politique régionale et internationale estimait qu’il ne fallait pas trop tendre la corde, au risque de la faire craquer. Mais les ailes de la « colombe » Peres sont tout autant maculées de sang que celles du « faucon » Netanyahou, le sang de leurs crimes contre l’humanité.


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