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En écho à la grève des personnels de la fac du Mirail

Simone Weil : « Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie »

Maxime, personnel gréviste de la bibliothèque universitaire du Mirail à Toulouse, était invité à la tribune d'une réunion publique organisée par le NPA Jeunes sur la fac. L'occasion de citer Simone Weil, dont les écrits de juin 1936 font écho à l'expérience de la grève menée depuis plusieurs semaines avec ses collègues.

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« Sans nostalgie aucune ou parallèle trop facile avec le mouvement ouvrier du 20e siècle, et sachant qu’ici nous sommes tout de même loin du travail de l’usine, je me reconnais parfaitement dans ce témoignage, pour différentes raisons. Ce qui reste central dans l’expérience de la grève, c’est la disparition de la division du travail », a-t-il expliqué devant une salle pleine d’étudiants et de personnels de la fac.

Nous relayons à notre tour ce texte poignant de cette philosophe et militante politique du début du 20e siècle, qui reste d’une grande actualité pour quiconque a vécu l’expérience de la grève.

« Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie.Une joie pure. Une joie sans mélange. Oui, une joie. J’ai été voir les copains dans une usine où j’ai travaillé il y a quelques mois. J’ai passé quelques heures avec eux. Joie de pénétrer dans l’usine avec l’autorisation d’un ouvrier qui garde la porte. Joie de trouver tant de sourires, tant de paroles d’accueil fraternel. Comme on se sent entre camarades dans ces ateliers où, quand j’y travaillais, chacun se sentait tellement seul sur sa machine !

Joie de parcourir librement ces ateliers où on était rivé sur sa machine, de former des groupes, de causer, de casser la croûte. Joie d’entendre, au lieu du fracas impitoyable des machines, symbole si frappant de la dure nécessité sous laquelle on pliait, de la musique, des chants et des rires.

On se promène parmi ces machines auxquelles on a donné pendant tant et tant d’heures le meilleur de sa substance vitale, et elles se taisent, elles ne coupent plus de doigts, elles ne font plus de mal. Joie de passer devant les chefs la tête haute. On cesse enfin d’avoir besoin de lutter à tout instant, pour conserver sa dignité à ses propres yeux, contre une tendance presque invincible à se soumettre corps et âme.
Joie de voir les chefs se faire familiers par force, serrer des mains, renoncer complètement à donner des ordres.

Joie de les voir attendre docilement leur tour pour avoir le bon de sortie que le comité de grève consent à leur accorder.
Joie de dire ce qu’on a sur le cœur à tout le monde, chefs et camarades, sur ces lieux où deux ouvriers pouvaient travailler des mois côte-à-côte sans qu’aucun des deux sache ce que pensait le voisin. Joie de vivre, parmi ces machines muettes, au rythme de la vie humaine, le rythme qui correspond à la respiration, au battement du cœur, au mouvement naturel de l’organisme humain, et non à la cadence imposée par le chronométreur.

Bien sûr, cette vie si dure recommencera dans quelques jours. Mais on n’y pense pas, on est comme des soldats en permission pendant la guerre.
Et puis, quoi qu’il puisse arriver par la suite, on aura toujours eu ça. Enfin, pour la première fois, et pour toujours, il flottera autour de ces lourdes machines d’autres souvenirs que le silence, la contrainte, la soumission. Des souvenirs qui mettront un peu de fierté au cœur, qui laisseront un peu de chaleur humaine sur tout ce métal. »

Simone Weil, La Révolution prolétarienne, 10 juin 1936


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