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Coronavirus, précarité et patriarcat

Soignantes, caissières, aides à domicile… Des travailleuses en première ligne

Les salariés qui sont en première ligne dans la « guerre » ouverte contre le Coronavirus ont le visage (majoritairement) de femmes travailleuses. Elles sont majoritaires dans les secteurs indispensables en cette période de crise sanitaire : les hôpitaux, les secteurs de l’aide à la personne, des soins, du nettoyage, de la grande distribution.

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Cette main d’œuvre féminine aujourd’hui en première ligne de la crise sanitaire a pour caractéristique de disposer de bas salaires, de contrats précaires (temps partiels ou CDD), de travailler dans des conditions particulièrement difficiles (horaires décalés, manque de moyens) dans des métiers peu valorisés et de cumuler les tâches ménagères et le soin des enfants une fois rentrées à la maison.

Une partie de ces femmes qui aujourd’hui sont « au front » pour continuer de faire tourner la société et soigner les personnes atteintes du Coronavirus sont sûrement celles qui se sont révoltées contre la précarité et pour une vie digne dans le mouvement des Gilets jaunes ou encore ont été des actrices des grèves ces dernières années contre la casse des services publics, les conditions de travail esclavagistes dans le secteur du nettoyage ou contre les plans de licenciements dans les grandes surfaces.

Alors qu’aujourd’hui il leur est demandé de faire des efforts considérables, de mettre en danger leur vie et celles de leurs proches pour faire face à la crise, il y a fort à parier que la crise sanitaire et économique renforce la contestation et l’insubordination préexistante dans ces secteurs précarisés par des décennies de néolibéralisme et par les logiques de privatisation et de rentabilité. C’est ce qu’exprime le cri de détresse et de colère de cette infirmière de la Salpêtrière :« On en vient presque à se dire qu’il faudrait que cela se passe mal pour prouver qu’on a besoin de moyens supplémentaires » ou encore celui de Sylvie, caissière : « Je ne vais pas risquer de mourir pour 1 000 € par mois ! »

Des personnels fragilisées et non équipées pour partir « en guerre »

Le personnel hospitalier a alerté rapidement du problème : comment gérer une épidémie dans des hôpitaux confrontés aux manques de moyens, de personnels et qui doivent répondre à la logique de rentabilité de l’économie capitaliste ? Des hôpitaux et des soignants à bout de souffle dont une grande partie a été en lutte en 2019 pour exiger, entre autres, plus de moyens et des embauches dans leur secteur.

Cette problématique est malheureusement extensible à d’autres secteurs : comment gérer une épidémie avec des services de soin à domicile dépassés, sous-payés et en sous effectifs ? Comment gérer une épidémie dans la grande distribution, les hypermarchés, où le personnel, épuisé par les techniques managériales de rendement à tout prix, se bat pour sauvegarder son emploi et obtenir de meilleurs salaires ?

Depuis le début de la crise sanitaire, les témoignages de travailleuses de la santé, de caissières, d’aides et infirmières à domicile se multiplient et ont pour point commun de souligner le manque de directives claires et le manque, voire l’absence, de matériel pour se protéger et protéger les patients ou les clients.

L’image de cette infirmière italienne, Alessia Bonari, a fait le tour du monde : « Je suis physiquement fatiguée parce que l’équipement de protection me fait mal, la blouse me fait transpirer et une fois que je suis habillée, je ne peux pas aller aux toilettes ou boire pendant six heures. Je suis psychologiquement fatiguée, comme tous mes collègues qui sont dans le même état que moi depuis des semaines ». Un témoignage des conditions de travail extrêmement difficiles auxquelles font face ces femmes au coeur de la crise, et dont le travail est devenu absolument vital pour la résolution de la pandémie.

Suite à notre appel à témoignage, une aide à domicile nous a écrit pour décrire la situation dans laquelle elle exerce son métier actuellement et ses craintes : « Je continue de travailler avec les personnes âgées. Mes protections sont des gants et une blouse fournie par mon travail, le gel et le masque que j’ai achetés en décembre au moment de la grippe. Personne ne nous demande de mettre un masque, moi je le mets depuis hier car j’ai peur pour mes anciens et pour moi. » Les salariés se sentent livrés à eux-mêmes, abandonnés et mis en danger. Du côté des hôpitaux les masques sont devenus des denrées rares et les personnels craignent d’en manquer très rapidement, ce à quoi s’ajoutent les carences annoncées en termes de lits et d’appareils d’assistance respiratoires.

Huit caissiers ou employés de libre-service sur 10 sont des femmes sur un ensemble de 150 000 employés dans toute la France. Une caissière raconte qu’encore le 17 mars dans le Carrefour où elle travaille à Saint-Malo, elle ne disposait que de gel hydroalcoolique et de gants, et non de masques (qui sont réquisitionnés par les hôpitaux). Face à l’afflux des clients, d’un personnel en effectif réduit (une partie étant en arrêt pour garde d’enfants), et du manque de matériel, dans plusieurs supermarchés les personnels ont menacé d’exercer leur droit de retrait. Ainsi, depuis lundi, tout s’improvise au jour le jour, certains magasins ont décidé d’enrouler de films plastiques les caisses ou d’installer des parois en plastiques pour séparer la caissière du client. La CGT a exprimé son inquiétude que des magasins indépendants (Leclerc et Intermarché) animés par leur goût du chiffre d’affaires ne prennent pas les mesures nécessaires pour protéger les salariés.

Ces salariés, majoritairement des femmes, qui se sacrifient en temps de crise, pour que l’ensemble de la population puisse se soigner et se nourrir, se retrouvent donc à mettre en danger leur vie, celles des autres, de leurs proches et à travailler dans des conditions indignes. Et tout cela sans bénéficier de la promesse d’accès aux soins, de prise en charge de leurs enfants ou d’une revalorisation de leurs salaires. C’est en temps de crise qu’est mis en exergue le rôle central et indispensable de ces travailleuses sans lesquelles la « vie » et la reproduction de la vie (se nourrir, se soigner) ne serait pas possible.

Précarité, crise et patriarcat dans ces secteurs : des conséquences genrées

Pierre Rimbert dans un article du Monde diplomatique intitulé « La puissance insoupçonnée des travailleuses » écrivait en janvier 2019 : « La quasi-totalité de la force de travail enrôlée depuis cinquante ans est féminine – dans des conditions plus précaires et pour un salaire inférieur d’un quart. À elles seules, les salariées des activités médico-sociales et éducatives ont quadruplé leur effectif : de 500 000 à 2 millions entre 1968 et 2017 — sans compter les enseignantes du secondaire et du supérieur. » Cette explosion de la féminisation du travail salarié dans ces secteurs fait qu’en temps de crise sanitaire et économique, comme celle du Covid-19, ces femmes travailleuses se retrouvent donc particulièrement susceptibles d’être infectées et d’infecter leurs proches.

« Lors de l’épidémie du virus Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014-16, les normes sexospécifiques ont fait que les femmes étaient plus susceptibles d’être infectées par le virus, étant donné leur rôle prédominant en tant que soignantes au sein des familles et en tant que travailleuses de la santé de première ligne » est-il écrit dans un article qui questionne les effets et conséquences genrés des épidémies. « Nous sommes de véritables vecteurs du virus » confirment ces propos d’un aide à domicile.

« Une de mes collègues est en arrêt depuis aujourd’hui car c’est une personne à risque (problème cardiaque et leucémie) elle est travailleuse handicapée. Mon autre collègue a un enfant de 3 ans avec une maladie grave des reins. Ma collègue est contrainte d’arrêter de travailler auprès des personnes âgées et de rester chez elle avec son fils. Je me retrouve seule sur mon secteur. »

Par ailleurs, comme l’illustre ce témoignage envoyé par une lectrice à Révolution Permanente, la féminisation et la précarité (bas salaires, contrats précaires, temps partiels) de ces secteurs engendrent aussi son lot de contradictions et de conséquences sur ces femmes. Qui va s’occuper de leurs enfants ? Celles d’entre elles qui ont des enfants ou/et sont mères isolées se retrouvent dans l’obligation d’arrêter de travailler ou, quand elles ne le peuvent pas, de faire garder leurs enfants par des proches, les grands-parents ou une baby-sitter tout en continuant de travailler. À ce titre, des sites de baby-sitting incitent ces derniers jours à faire le travail à titre bénévole, cela entraînant une chaîne de précarité qui touche encore une fois principalement les femmes et les très jeunes femmes.

Les femmes de ces secteurs en première ligne se retrouvent donc doublement voire triplement pénalisées : obligées de travailler et de s’exposer à des risques, de contaminer leurs familles, tout en devant assurer les tâches domestiques et d’éducation de leurs enfants gratuitement, ou de trouver des solutions ad hoc (et payantes pour celles qui ne sont pas soignantes).

Tout ceci illustre l’aggravation des violences économiques et de genre en temps de crise sur les travailleuses. Face à cela les mesures d’urgence telles que l’embauche massive de personnels, la revalorisation des salaires du personnel de santé, le financement par les entreprises, là où l’activité est essentielle, de toutes les mesures de santé et de sécurité, l’interdiction des licenciements ou encore la réclamation d’une allocation universelle à la hauteur du SMIC pour l’ensemble des personne privées de leurs revenus, sont autant de mesures qui concernent l’ensemble de ces travailleuses. Des mesures pour que la crise ne retombe pas sur celles qui la paient déjà de leur santé aujourd’hui, mais sur les responsables de la crise que sont l’État, les grandes entreprises et le grand patronat.


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