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Après le suicide de leur collègue, ils témoignent

Suicide à Toyota Onnaing. Isabelle Legrand, 44 ans, mère et ouvrière, met fin à ses jours

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Flora Carpentier

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La triste nouvelle du suicide d’Isabelle Legrand, qui travaillait à l’assemblage à l’usine Toyota de la banlieue de Valenciennes, a suscité un immense émoi dès son annonce sur Facebook par la CGT Toyota Onnaing. Cette ouvrière de 44 ans, mère de deux enfants, a mis fin à ses jours ce mercredi 17 février, dans des circonstances qui n’ont pas été révélées publiquement. Déclarant qu’« il faut être vraiment désespéré pour en arriver à mettre fin à ses jours », la CGT a immédiatement fait le lien entre le suicide et les conditions de travail : « L’ambiance pesante de l’usine et les problèmes financiers liés aux salaires insuffisants ont probablement aussi contribué à son désespoir. C’est avec tristesse et beaucoup de révolte que nous adressons nos condoléances à tous ses proches ».

Cette colère face à la souffrance au travail, de nombreux ouvriers et collègues d’Isabelle l’ont spontanément exprimée, dès qu’ils ont appris la nouvelle. Parce qu’exprimer sa colère n’est pas incompatible avec le respect de la victime et de sa famille, ni même avec l’immense tristesse que l’on peut ressentir à voir partir un frère ou une sœur de classe avec qui l’on partageait, au minimum, l’exploitation quotidienne dont les travailleurs font les frais, parfois au péril de leur vie. Et lorsque l’on vit cette souffrance du travail au quotidien, nul besoin de connaître les raisons précises qui ont conduit Isabelle à commettre ce geste fatal. Des difficultés personnelles, elle en avait très certainement. Mais quand à ces souffrances s’ajoutent les cadences infernales, les pressions subies par la hiérarchie, les menaces de licenciement, les humiliations… le tout pour des salaires de misère, de nombreux travailleurs finissent par jeter l’éponge et commettent l’irréparable.

Toyota, « l’usine du désespoir »

Toyota Onnaing, que l’on connaît comme « l’usine du désespoir », est souvent décriée par ses ouvriers pour ses conditions de travail infernales. Le 6 juillet dernier, une ouvrière d’Onnaing avait déjà tenté de mettre fin à ses jours à l’infirmerie de l’usine, parce qu’elle ne supportait plus les pressions de sa hiérarchie. Quelques mois plus tôt, un salarié japonais de Toyota, âgé de 33 ans, envoyé en mission en Russie, s’était suicidé sur le toit de l’usine de Saint-Pétersbourg.

Parce qu’ils expriment mieux que tout la souffrance que représente le travail à l’usine, et en particulier chez Toyota, nous nous permettons de relayer ces extraits de commentaires laissés par des travailleurs sous la photo d’Isabelle publiée à l’annonce de son décès :

« Encore une victime de cette société qui ne pense qu’à faire crever les salariés avec des cadences infernales. Elle a une très mauvaise image dans la région et tout le monde le sait, c’est à la sauce "marche ou crève". » ; « Ceux qui ne travaillent pas dans l’automobile ne se rendent pas compte de ce boulot de "bagnard" : cadences infernales, travail posté, etc. » ; « Je sais que travailler dans cette usine est très dur. Travail à la chaîne, productivité, etc. Même à la rue, je ne travaillerais jamais dans cette boîte. On est des êtres humains, pas des robots. Repose en paix et j’espère qu’une enquête sera ouverte pour éclaircir tout ca » ; « Sincères condoléances à la famille. Je suis vraiment attristé. Ayant commis moi même une tentative de suicide, suite à un harcèlement au travail, je supporte de moins en moins cette société où l’homme est un loup pour son frère. Et je suis révolté. L’entreprise n’est qu’un lieu de profit pour quelques nababs qui, pour maximiser les profits, déshumanisent à l’extrême les conditions de travail. Je compatis vraiment » ; « RIP à notre camarade. Le climat actuel dans tous les corps de métier nous montre que les salariés sont au bord du burn-out. Il est temps de montrer au patronat que nous ne sommes pas des pions, qu’ils n’ont pas le droit de jouer avec notre santé, notre mental » ; « Cela prouve malheureusement encore une fois qu’il y a un réel problème dans cette entreprise. Mon mari a été licencié comme de la merde pour une faute non commise alors je comprends le désarroi de cette dame. Courage à toute la famille » ; « Beaucoup de pression partout et énormément de gestes de désespoir comme celui-ci ...et qu’est ce qui est fait ? Rien car nous pauvres gens, on n’intéresse personne... que des machines à boulot boulot et boulot... et ils iront dire encore que ce n’est pas de leur faute, que cette dame était fragile, etc. ».

Le travail, directement impliqué dans plus d’un quart des suicides

Dans un rapport publié le 3 février dernier, L’Observatoire national du suicide constatait que plus d’une pensée suicidaire sur quatre serait liée au travail. Il faisait également le lien entre suicide et précarité, affirmant que « le risque relatif de décès par suicide est plus élevé pour les personnes de catégorie socioprofessionnelle peu élevée, disposant d’un faible revenu ou d’un faible niveau d’éducation, et pour les chômeurs ».

Corinne Bernard, caissière chez Zara, s’était suicidée en décembre 2013 à l’âge de 37 ans en laissant une lettre dans laquelle elle ne mâchait pas ses mots : « Merci à Zara d’avoir gâché ma vie ». Mais peu nombreux sont les travailleurs ou leurs familles qui, comme elle, ont le courage de dénoncer la responsabilité de leur employeur dans leurs souffrances. Cela s’explique en partie par le nombre de non-lieux prononcés par la justice en faveur du patronat dans les cas de plaintes pour harcèlement ou souffrances au travail.

Pourtant, chaque fois qu’un frère ou une sœur de classe finit par se convaincre que la vie ne vaut plus le coup d’être vécue, nous devons nous saisir de ce drame pour qu’en sa mémoire, et en la mémoire de toutes les victimes de ce système d’exploitation et d’oppression, nous unissions nos forces, pour lutter contre les atteintes à nos conditions de travail et pour nous battre pour une société plus juste et émancipatrice.

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