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Gilets Jaunes

« Suicidez-vous » : retour sur un slogan polémique

« Suicidez-vous », un slogan qui ne peut être approuvé car bien entendu, personne ne souhaite ni ne revendique le suicide de qui que ce soit. Cependant, ce slogan, dont se sont délimités des groupes et des figures des Gilets Jaunes eux-mêmes, exprime dans le fond une exaspération profonde envers les violences policières - qui n'ont pas provoqué autant d'indignations.

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Photo : Serge D’Ignazio.

Retour sur la polémique et les réactions

Le slogan a immédiatement fait polémique, monté en épingle et fustigé à l’unisson par les médias, les syndicats de police et la classe politique de Le Pen à LREM en passant par LR, tous derrière les forces de répression. Une réactivité et un unanimisme qui tranche avec la manière dont ont été parfois justifié, par les médias notamment, les propos de Luc Ferry, personnalité publique et ancien ministre, qui appelait les policiers à « se servir de leurs armes » contre les Gilets jaunes. Indignation à géométrie variable ?

Pourtant, pour comprendre comment un tel slogan a pu émerger, il est nécessaire de comprendre l’état d’exaspération des Gilets Jaunes, confrontés, comme le dit Jean-Dominque Merchet, éditorialiste à l’Opinion, sur le plateau de C’dans l’air, « une police offensive » et un « gouvernement qui va à l’affrontement ». En effet, tout l’arsenal de répression, judiciaire et technique a été mobilisé, avec un dispositif de répression maximale, renforcé par l’entrée en vigueur de la loi anticasseurs.

A Paris, quelques 6 700 policiers et gendarmes, appuyées par six véhicules blindés à roues de la gendarmerie ont été déployées, menant à quelques 227 interpellations – une bonne partie suite à des contrôles « préventifs ». Les manifestants ont aussi eu droit au canon à eau avec du produit marquant pour « détecter » les « casseurs » ou encore aux brigades motorisées dites BRAV-M qui ont agressés à longueur de temps les manifestants. Plus encore, le nombre de journalistes ayant été directement ciblés, qu’il s’agisse de passage à tabac ou d’arrestations, attestent de cette montée en puissance de la violence des forces de police.

C’est cet état d’exaspération face à une politique de harcèlement, de montée en puissance de la violence et de l’impunité qu’exprime de façon maladroite ce slogan, ayant passé 23 actes à subir les humiliations, les mutilations et les violences des forces de police. Comme le précise Jerome Rodrigues dans un communiqué publié sur sa page Facebook, les mutilations, violences, ainsi que le décès de Zineb Redouane n’ont nullement suscité la même vague d’indignation médiation et politique, rappelant que « lors du dernier acte, un policier m’a par exemple gentiment proposé de me crever l’œil qu’il me reste » : « Toutefois, les violences policières constatées de manière répétée durant les vingt-trois semaines de mobilisation restent sans précédent dans l’histoire de la Ve République. Le compte, malheureusement provisoire, fait état de 248 blessures à la tête, 23 personnes éborgnées, 5 mains arrachées, ainsi que le décès de la malheureuse Zineb Redouane, âgée de 80 ans, dont la famille vient de porter plainte. Un certain nombre d’agents, qui ne devraient pas avoir leur place dans la police, acceptent d’obéir à certains ordres au mépris de tout cadre déontologique, et mutilent sciemment des manifestants pacifiques. (… ) Dans ce contexte de dégradation manifeste du climat social, il paraît évident que des propos malheureux peuvent, et pourront encore surgir ici ou là, sans pour autant emporter l’adhésion générale. Lors du dernier acte, un policier m’a par exemple gentiment proposé de me crever l’œil qu’il me reste ».

Médias, syndicats de police et monde politique à l’unisson

A ce titre, médias, syndicats de police et du monde politique se sont retrouvés, à l’unisson contre les Gilets Jaunes, faisant littéralement feu de tout bois, y compris l’Incendie de Notre-Dame, pour en finir avec les Gilets Jaunes et les dénigrer autant que possible. Lorsqu’il s’agit de faire bloc derrière l’institution policière, dont la fonction consiste à réprimer les mouvements sociaux, les travailleurs, la jeunesse et les banlieues, tout le « parti de l’ordre » se retrouve dans son soutien sans faille à la police.

Du côté des syndicats de police, Yves Lefebvre, secrétaire général du syndicat Unité-SGP Police a déclaré : « Il y a du dégoût par rapport à ces individus qui avaient des gilets jaunes. C’est honteux. Ce sont de véritables ordures ceux qui ont prononcés ces paroles », quand Loïc Travers, secrétaire national adjoint Alliance police nationale, rajoute : « C’est à l’image de ce que sont les ’gilets jaunes’, des casseurs, des irresponsables, des violents, des sans conscience ».

Du côté de la classe politique, l’indignation a parcouru quasiment tout le spectre politique. « Cette haine de la police est hélas systématique dans les rangs des anarchistes », a déclaré Marine Le Pen. Quant à LREM, si Castaner a qualifié ces propos « d’ignominies », Nathalie Loiseau, ex-ministre LREM, a renchéri : « Comment tenir de tels propos là où si souvent les Français se sont rassemblés dans la dignité et en hommage à la République ? Cette foule n’est pas le peuple ». Du côté de LR, difficile de passer à côté d’une opportunité de défendre les forces de répression : « Aucun de ceux qui ont crié cela ne doit rester impuni », a déclaré François-Xavier Bellamy, tête de liste LR pour les européennes.

Les éditorialistes ont eux aussi participé pour la plupart au torrent de dénigrements. Pour Alba Ventura, éditorialiste pour RTL, il s’agit ni plus ni moins que d’interdire les manifestations. « Donc posons nous sérieusement la question d’autoriser ces manifestations. (…) Ce slogan a toujours choqué, mais ça manifestait une contestation. Aujourd’hui, ce "suicidez-vous", c’est de la haine à l’état pur. Et vous savez, ça ne mérite même pas une polémique. En réagissant, on en fait la pub en fait. Et je m’en veux d’ailleurs d’y participer, même si c’est évidemment pour soutenir nos forces de l’ordre que je le fais. Mais ça ne vaut pas l’écho qu’on lui donne. Ça vaut une procédure judiciaire ».

Autant d’éléments qui mettent en question cette immense vague d’indignation et de compassion à géométrie variable. Car lorsqu’il s’agit de se retrouver dans le soutien sans faille aux forces de répression, syndicats de police, médias et classe politique se retrouvent. Car en effet, si l’on peut regretter le suicide d’individus, souvent déclenché par des conditions de travail dégradées, il faut rappeler que, l’institution policière, loin de constituer un service public comme autre, dispose d’une fonction essentielle : celle de maintenir l’ordre dominant. Où sont en effet les éditorialistes et hommes politiciens lorsqu’il s’agit de s’émouvoir des suicides des agriculteurs, infirmières, médecins, chômeurs et jeunes, autant de drames quotidiens provoqués et exacerbés par les conditions de travail précaires imposées à marche forcée par Macron et ses politiques.

L’hypocrisie des réactions médiatiques

Si les policiers sont particulièrement touchés par les suicides, il convient de rappeler que toutes les professions sont touchées, les groupes les plus précaires étant les plus exposées (femmes, chômeurs, travailleurs précaires). Comme le rappelle une enquête menée par le journal Marianne : « Policiers et agriculteurs sont les professionnels les plus emblématiques de ce fléau. Mais de plus en plus souvent on évoque des médecins, des infirmières, des aides soignantes, dans les hôpitaux publics, services d’urgence et psychiatriques en tête. Les Ehpad aussi. La pression constante, le harcèlement moral et le manque de moyens sont souvent les raisons avancées par ceux qui ont décidé de se donner la mort. Des vagues de suicides touchent aussi certaines grandes entreprises (Orange, La Poste, Renault). Les causes y sont similaires, même si la hiérarchie fait le maximum pour éviter d’être mise en cause, justifiant ces tragédies par des « problèmes personnels » des employés ».

Où sont-ils lorsqu’il s’agit de dénoncer des politiques de précarisation qui causent la mort, jour après jour, des travailleuses et travailleurs, des vagues de suicide à la SNCF à celles qui ont touché France Telecom suite à des restructurations imposées et un management inhumain ? Comme en témoigne le psychiatre Christophe Desjours dans un entretien accordé au Monde : « si de nouvelles formes de pathologie liées au travail apparaissent, c’est que quelque chose a changé dans son organisation. En l’occurrence, la généralisation des méthodes du New Public Management [« nouvelle gestion publique », NPM] aux services de soins »

Le fait de se donner la mort est aujourd’hui un problème directement politique, qui relève d’une nécessité de mettre un terme aux politiques de Macron et des gouvernements précédents, dont la précarisation à marche forcée a coûté assez de vies.


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