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Interview de Macron

Sur France 2, le retour de l’illusion jupitérienne orchestré par Delahousse

C’était seulement la deuxième interview télévisée donnée par Macron depuis son élection. Bien aidé par un Laurent Delahousse aux petits soins, le président des riches a tenté de redorer son image quelque peu écornée par ces premiers mois d’exercice du pouvoir. Une opération réussie mais qui ne suffit pas à faire oublier ses faiblesses, qui pourrait bien vite réapparaitre.

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« Interview debout, journalisme couché » : la formule, lancée par Médiapart, et largement reprise sur les réseaux sociaux, vient bien résumer la teneur de la séquence diffusée ce dimanche soir sur France 2. La complicité affichée par le présentateur de France 2 a été le principal objet des commentaires qui ont suivi, un fait plutôt rare dans un monde médiatique pourtant habitué dans une grande mesure à brosser les puissants dans le sens du poil.

Il faut dire que du côté du « service public », on n’a pas lésiné sur les moyens pour chouchouter le président. Sur la forme d’abord, la mise en scène était particulièrement travaillée, avec une visite de l’Elysée au cours de l’interview debout, parfaitement orchestrée. Sur le choix des sujets, toutes les questions semblaient avoir été travaillées pour plaire : un focus sur des sujets internationaux consensuels qui permettaient à Macron de se construire à peu de frais une carrure de grand visionnaire, tout en évitant les sujets qui fâchent. Exit par exemple les accusations de tolérance (voire de complicité) du gouvernement français avec le financement de Daesh par l’entreprise Lafarge, exit également les projets de casse de l’assurance maladie ou des retraites, …

Surtout, il aura été bien davantage question de banalités sur les goûts et le mode de vie de Macron que de politique dans l’interview. Avec, de la part de Delahousse, une forme de complaisance et d’admiration à peine dissimulée. On connaissait les journalistes français habitués à brosser dans le sens du poil les hommes politiques, mais les questions posées par le présentateur de France 2 frôlent ici le surréalisme : « Les horloges, elles vous rappellent que ça va vite, un quinquennat ? », « C’est votre héroïsme politique qui revient, là ? » ou encore « Ça vous agace qu’on dise que le Président, il est trop fort ? ». Une connivence telle qu’elle a rappelé à beaucoup de commentaires le temps de l’ORTF, où les médias publics étaient directement contrôlés par l’exécutif.

Cette opération de communication orchestrée par l’audiovisuel public vient consacrer la stratégie de reconquête de l’opinion entreprise par Macron. Si la figure de « Jupiter » avait été écornée par les premiers mois de mandat, les petites phrases sur son mépris des pauvres et un capital détestation grandissant, le président français cherche actuellement à saisir la fenêtre actuelle pour redorer son image. Après avoir gagné sans réel combat la bataille sur la casse du code du travail qu’on lui prédisait chaotique, il cherche à consolider son image d’un président en orbite, au-dessus des clivages sociaux et politiques à qui tout réussit. Avec sur le plan de sa popularité un rebond réel : selon les derniers sondages, 52% des Français approuveraient son action, un rebond de 14 points après être tombé au plus bas il y a deux mois.

Mais, à bien y regarder, ce regain de popularité ressemble davantage à un trompe l’œil. La première victoire de Macron tient surtout aux ressorts superstructurels de son action et ne signifie pas que celui-ci ait réussi à résoudre ses contradictions, et en premier lieu la faiblesse de sa base sociale. La casse du code du travail qu’il a pu mettre en œuvre aussi facilement tient surtout à l’écran de fumée duquel il l’a accompagnée. Un brouillage du contenu de sa réforme facilité par la docilité des directions syndicales qui ont joué à plein le jeu du dialogue social et qui ont enfermé la contestation dans une stratégie de défaite pour celles qui ont cherché à mobiliser. Sur le plan médiatique, celui-ci a organisé une reprise en main de sa communication particulièrement soignée, en s’appuyant notamment sur la docilité de l’audiovisuel public qu’il prévoit de réformer en profondeur pour le soumettre encore davantage.

Cependant, la partie est loin d’être gagnée pour Macron. D’abord, parce que les conséquences concrètes des ordonnances vont commencer à se faire sentir et pourraient bien dissiper le nuage de fumée. D’autre part, les chantiers de la casse de l’assurance maladie et des retraites sont encore à venir et pourraient venir changer radicalement la situation sur le terrain de la conflictualité sociale. D’autant plus, que du côté de la lutte des classes, ce n’est pas non plus le désert. La victoire exemplaire des travailleurs en grève du nettoyage des gares franciliennes, dont le conflit avait été très médiatisé, est là pour le rappeler.

Aucun doute, Macron a appris des erreurs de ses prédécesseurs : il a su pour l’instant éviter les difficultés de Sarkozy sur la réforme des retraites en 2010 ou encore de Hollande au printemps 2016. Cependant, il sait aussi que l’histoire de la France est celle de ses luttes sociales, particulièrement imprévisibles. A quelques mois du cinquantenaire de Mai 68, le président jupitérien ferait bien de se rappeler de l’insouciance qui régnait alors deux mois auparavant dans la classe politique et médiatique de l’époque. Le 15 mars 1968, sans se douter qu’on était alors à la veille de ce qui allait devenir l’un des principaux évènements de la lutte des classes du siècle dernier, Pierre Viansson-Ponté ne signait-il pas, dans le Monde, un éditorial ayant pour titre « Quand la France s’ennuie… » ?

Cet ennui du type de celui qu’on a pu ressentir devant les banalités mondaines d’un Delahousse aux petits soins devant le président. Pas de quoi se réjouir pour autant, mais pas de quoi désespérer non plus. Le printemps pourrait être plus proche que ce qu’on croit, et la météo plus capricieuse que ce que nous font croire les présentateurs au service de l’illusion jupitérienne.

Crédit : France 2


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