×

#NOSVIESPASLEURSPROFITS

Témoignage d’un étudiant : « Je n’ai plus de travail, je ne sais même pas s’ils vont me payer »

Nous avons recueilli le témoignage de Yano, étudiant à distance et travailleur précaire qui rapporte son incertitude quant à sa situation et celle de sa mère infirmière en psychiatrie.

Facebook Twitter

Je suis inscrit au CNED en deuxième année de BTS diététique, j’étudie à distance avec la totalité des cours en ligne. Comme de nombreux étudiants, je travaille à côté. C’est un travail précaire qui me permet tout juste de survivre, et c’est pour cela que j’ai pris la décision de quitter Bordeaux et de repartir vivre chez ma mère afin de passer l’examen en candidat libre.

Mon job étudiant consiste à vendre des places de cinéma, des confiseries et des boissons. Je fais la caisse, "valide" les tickets et parfois je fais le ménage. Depuis peu il nous est demandé de nous occuper du restaurant récemment mis en place dans le ciné. Mes supérieurs me disent de ne pas hésiter à les solliciter si j’ai besoin d’aide, mais je constate qu’il y a une sorte de pression invisible au sein de la boîte et que les salariés n’osent pas demander, moi je le fais. Je n’ai pas reçu de formation de restauration ou de serveur et je n’ai pas vu mon salaire augmenter pour ça. Je travaille souvent le week-end, et parfois il m’est demandé d’être dispo en semaine. Je tourne autour de 450 euros par mois et les avenants sont réguliers dans ce taff. Lors des vacances scolaires mon contrat de 7h semaine se transforme en contrat de 40h.

Par ailleurs je constate qu’il y a une hiérarchie énorme entre les chefs et les salariés, ne serait-ce que dans l’aménagement des salles de pause. Eux, ils ont la télé et des canapés alors que nous ça n’a rien à voir, j’ai aussi constaté que les postes de directions permettent d’avoir accès à des pauses plus nombreuses et surtout plus longues. Aucun de mes collègues n’est syndiqué, je pense qu’ils n’osent pas. Pourtant ce n’est pas les raisons qui manquent entre les salariés qui sont contraint d’assurer de plus en plus de tâches et les deux femmes de ménage qui refusent de nettoyer les nouvelles zones du cinéma. Elles ne s’en sortent pas à deux et je comprends. Leur demande est simple : embaucher une personne en plus. En effet quand une des deux est en repos alors celle qui est en poste doit nettoyer le cinéma en entier et toute seule, c’est trop ! La réponse de la hiérarchie : deux nouvelles salles en construction et une aide anecdotique d’une personne sortie de nulle part, j’imagine que c’est un intérimaire. Il n’a même pas été présenté à l’équipe.

Après les annonces de Macron jeudi soir à cause du Coronavirus, personne au cinéma. Aucun client. Du coup ils ont décidé de réduire les salles et de supprimer une place sur deux afin d’éviter la propagation du virus. On est passé d’un ciné de 1500 places à 300. Moi je savais que j’allais y passer, c’est logique. Je suis venu embaucher samedi à l’heure habituelle et c’est l’un des chefs qui m’a reçu, il m’a laissé venir pour m’expliquer les choses, pour éviter de le faire par mail etc. Pourtant il n’a pas arrêté de bégayer et de tourner autour du pot donc je lui ai demandé concrètement : "en gros vous ne voulez plus que je vienne ?" La réponse est oui, je n’ai plus de travail. Ils n’ont appelé aucun employé pour expliquer comment cela allait se passer, même les plus anciens c’est à dire ceux qui sont en poste depuis des années et qui se butent au taff à courir entre les trois cinémas répartis dans trois villes différentes. Aucun appel, aucune explication. Devant moi le patron décroche à l’une de mes collègue, il n’a pas de réponses claires à lui donner, "on vous fera suivre par mail comment ça va ce passer", aucune garantie du patronat que nous serions payés à 84%. Une infos sur les indemnisations ? Il faut attendre. Des peurs, des doutes et des angoisses ? Attendez. De toutes façons même si le ciné n’aurait pas fermé ses portes, les étudiants eux, auraient dégagés. Les contrats les plus fragiles se font jeter en premier, je connais la règle. J’ai du annoncer à mon collègue en contrat étudiant que cela ne servait à rien de venir au taff car eux n’allaient pas le faire. Je les aient entendus dire que ce serait drôle de lui faire une blague et de le laisser se déplacer, de ne rien lui dire. Visiblement, l’humour aussi est différent en fonction de la place que l’on occupe dans la boîte.

J’attends la fin du mois pour voir comment ils me payent, ils me doivent des heures de début mars. Je ne sais même pas si ils vont me payer et si ils ne le font pas, ce sera à moi de les appeler. Je n’ai aucune idée de mes droits en cette période exceptionnelle, le seule chose que je sais c’est que je ne cotise pas pour le chômage, donc je n’ai pas le droit au chômage. J’ai de la chance d’être chez ma mère cette année sinon je serais mort, impossible de vivre, je devrais rendre mon appart, mettre mes études en périls. C’est franchement de pire en pire car les étudiants ne sont pas bien payés et ont rarement des droits chômage, donc tu travail mais l’État ne te donne rien, il considère qu’il ne te dois rien.

Le soir je suis rentré chez moi, j’ai dis à ma mère que je n’avais plus de travail jusqu’à ce qu’on me rappelle et qu’en attendant je ne savais pas si j’allais être payé. Je paye 900 euros l’année, pratiquement 100 euros par mois pour mon école. Quand j’y pense 6 mois en arrière, quand je vivais à Bordeaux, j’aurais été foutu. Ma mère est infirmière en psychiatrie, la aussi c’est un désastre. Les soignants n’ont pas le matériel nécessaire. En Chine et en Italie des médecins sont morts car ils étaient surexposés au virus. Selon les dernières annonces du gouvernement, ils vont recevoir des masques mais ça ne suffit pas et c’est trop tard, le virus est présent depuis longtemps maintenant. C’est scandaleux. Il n’y a aucun test pour les patients, ils sont en dehors de la réalité et beaucoup d’entre eux ne saisissent pas l’ampleur de la crise sanitaire, ils ne prennent pas de précautions quand ils sortent. Le directeur de l’institution où ma mère travaille minimise gravement les faits et demande au personnel de ne pas s’inquiéter, il va jusqu’à dire qu’ils n’en n’ont pas besoin. Ma mère est obligée d’appeler des libéraux pour demander des masques, cette situation n’est pas normale. C’est à elle de prendre ça en charge et de forcer pour pouvoir sécuriser son lieu de travail ? Le public dont elle s’occupe est souvent malade, si tu ne leur fait pas passer de test alors tu ne peux pas distinguer si ils ont une grippe, une pneumopathie, ou le coronavirus. La plupart sont de gros fumeurs et ils prennent des médocs, des anti-inflammatoires, de la Cortisone, ce sont des personnes à risques. Il y a un réel danger de mort pour eux. C’est abusé. Je pense qu’il faut tester les gens massivement. Ma mère me dit que ça coûterait trop cher et qu’ils préfèrent dire que si vous êtes pas trop malades, vous restez chez vous ou alors vous appelez le SAMU et on viendra te chercher. Mais bien souvent on te ramène chez toi, ils ne prennent que les cas les plus graves.

Je ne suis pas trop politisé à la base mais je me rends compte à travers cette crise que les gens comme moi payent depuis leur naissance, et pour rien. À la moindre occasion, à la moindre secousse, on comprends vite qui va survivre et qui va mourir. Les respirateurs sont réservés pour ceux d’en haut. Matuidi a de la chance lui, j’ai vu sur les réseaux qu’il s’est fait dépisté. Je suis pas une star du foot mais moi aussi je voudrais y avoir accès.

Propos recueillis par Antonio Davaï


Facebook Twitter
Bordeaux Montaigne : la mobilisation proche de la victoire sur la gestion des VSS après 7 mois ?

Bordeaux Montaigne : la mobilisation proche de la victoire sur la gestion des VSS après 7 mois ?

« On demande le retrait total de la réforme », 300 étudiants en AG à Tolbiac contre le tri social

« On demande le retrait total de la réforme », 300 étudiants en AG à Tolbiac contre le tri social


Peines contre les parents, internats : Attal s'en prend encore aux jeunes de quartiers populaires

Peines contre les parents, internats : Attal s’en prend encore aux jeunes de quartiers populaires

Fin des rattrapages, absences, compensation et partiels à Paris 1 : la moitié des étudiants en sursis

Fin des rattrapages, absences, compensation et partiels à Paris 1 : la moitié des étudiants en sursis


1 étudiant sur 10 s'est déjà retrouvé sans logement pendant ses études, révèle l'enquête du Poing Levé !

1 étudiant sur 10 s’est déjà retrouvé sans logement pendant ses études, révèle l’enquête du Poing Levé !

Menace de suppression des rattrapages à Sorbonne Université : retour sur un projet ultra-sélectif

Menace de suppression des rattrapages à Sorbonne Université : retour sur un projet ultra-sélectif

Censure : la droite veut interdire les conférences de LFI dans les facs

Censure : la droite veut interdire les conférences de LFI dans les facs

Les étudiant-es vivent en moyenne avec 718 € par mois, révèle l'enquête du Poing Levé

Les étudiant-es vivent en moyenne avec 718 € par mois, révèle l’enquête du Poing Levé