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Témoignage

Toulouse. Sur le traitement médiatique de la marche contre les violences faites aux femmes

Nous publions ci-dessous le témoignage d’une femme ayant participé à la marche non-mixte organisée le 25 novembre à Toulouse, dans le cadre de la journée contre les violences faites aux femmes. Ce texte revient notamment sur la réception de l’auteure d’un article paru au lendemain de la marche, dans Côté Toulouse.

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Hier, journée contre les violences faites aux femmes, je suis allée au rassemblement à François Verdier à Toulouse appelé à 19 heures. Nous étions plusieurs centaines de femmes cis et trans réunies. Eh oui, vous avez remarqué ? Les hommes n’étaient donc pas invités. Parce qu’il est important de rappeler, et de se rappeler, que c’est à nous de prendre les choses en main, de nous libérer et de nous émanciper contre un système qui nous enferme dans le rôle de « chose » docile à disposition des hommes, et surtout qui se taisent.

Ce que j’ai vu hier était magnifique ! Je me sentais bien, je savais que c’était exactement là où je devais être.

Le cortège était composé de personnes déterminées, fortes, qui ont voulu montrer en cette soirée du 25 novembre une petite part de leur indignation, de leur rage pour dénoncer les violences quotidiennes que subissent toutes les femmes. Oui « une petite part », car ce serait impossible de trouver les mots, ou les slogans, pour exprimer ce qu’on ressent. Ou plutôt ce que je ressens, je ne voudrais pas parler à leur place, on le fait suffisamment en temps normal !

La manif était pleine de bonnes énergies, c’était génial ! Nous étions plusieurs centaines, et je sentais que nous réveillions la ville, surtout un vendredi soir, heure de sorties. La manif était belle et forte, l’ambiance était festive, ce qui n’a rien enlevé à la colère générale de toutes ces personnes qui étaient sorties pour exprimer leur volonté de changer ce système qui organise et invisibilise les violences faites aux femmes : « À bas, à bas le capitalisme et le patriarcat ! ».

C’était rare de ressentir une telle puissance de la part d’un groupe qui se compose juste de quelques centaines de personnes. Bref, pour le coup, nous n’étions pas invisibles, nous passions dans les rues en chantant, ou scandant « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! » ou « Qui va faire la vaisselle ? Nous on fait la révolution ! ». En se rapprochant de Jean Jaurès, nous étions de plus en plus « escortées » par les policiers, pour ne pas dire encerclées comme du bétail. Nous ne nous sommes pas privées de crier « Les féministes détestent la police ! »

Dans les rues nous sentions également l’appui des riverains, ou des personnes qui étaient de sortie à ce moment-là. Nous étions applaudies par des femmes, par des hommes. Les femmes dans les rues avaient un visage ravi, et celles qui étaient sur leur balcon chantaient avec nous ou nous applaudissaient : cette manifestation nocturne était la bienvenue ! Nous étions arrivées à Jean Jaurès, et avec toute l’énergie transmise par le cortège, certaines voulaient donc continuer la manif. Mais un barrage de flics s’est mis en place en face de nous et je les voyais se préparer à dégainer leur gaz magique. Une femme a voulu passer, j’ai vu un policier l’attraper mais d’autres femmes se sont rapidement solidarisées, et en voyant ce groupe arriver tout droit vers lui, le policier l’a aussitôt relâchée.

La manifestation s’est dispersée, puis je suis rentrée chez moi. Le lendemain, le réveil a été dur.

Je vois que dans un média toulousain, un journaliste s’était déjà empressé d’écrire n’importe quoi sur notre marche non-mixte. Je me suis dit que son article commençait bien lorsqu’il dénonce la monstrueuse injustice qu’a vécue un homme qui a été invité à « dégager » de la manifestation. Car oui, comme je l’ai dit plus haut, cette manif était non-mixte. Et je suis d’accord qu’on aurait pu lui expliquer ce que signifiait cette non-mixité, mais à lire ce journaliste, c’est comme si cet homme avait été violenté horriblement... Il faut toujours qu’il y ait quelqu’un pour dire « oui, mais nous aussi, les hommes, nous souffrons » ! C’est le moment où je débarque avec mes chiffres ? En 2015, 122 femmes sont mortes sous les coups de leur mari, conjoint, ex, combien d’articles à ce sujet a écrit ce journaliste dans son torchon ? Sûrement un truc dans la rubrique Faits divers, juste à côté d’une annonce d’évènement du genre « La fête de la violette »…

Je continue de le lire et je vois « voiture abimée » : j’ai déjà lu, vu, beaucoup de reportages pour décrédibiliser toutes les manifs, et je peux vous dire que si on utilise le mot « abimée » et pas « cassée », c’est qu’au pire, un rétroviseur a dû être déplacé. Dans un autre cas, le journaliste en question ne se serait pas gêné pour dire à quel point la foule était violente et hystérique jusqu’à casser des vitres. La suite de l’article parle de tags, comme si la ville avait été défigurée. J’en ai effectivement vu quelques-uns, ce n’était franchement pas grand-chose, j’en ai par exemple vu un sur un compteur EDF, vous savez les petits cubes gris dégueulasses dans les rues. Je ne sais pas vous, mais moi j’aime marcher dans les rues et lire des citations engagées, des messages politiques (pas quand c’est tout raciste et tout haineux, j’espère que je me fais bien entendre).

J’apprends plus loin dans l’article qu’une fille avait été arrêtée à cause de jets de tampons « usagés », et qu’elle a été prise à partie par un passant qui faisait une « crise de jets-de-tampons-usagés-phobie aiguë ». Mais comment est-ce qu’il savait qu’il était usagé, il est allé le renifler ? Ou il l’a goûté et a sorti comme ça « ouais, les gars, c’est bien du sang ! » ? Ça s’est passé comment exactement ? Je me pose peut-être des questions bizarres, mais j’ai du mal à me dire qu’on collectionne des tampons pleins de sangs dans l’attente du 25 novembre : un peu de peinture rouge, de l’eau, et hop le tour est joué. Et puis cette réaction… Elle nous rappelle encore une fois à quel point les règles restent taboues, comme tout ce qui brise l’illusion des femmes lisses, belles, propres.

Une autre femme s’est fait arrêter pour avoir jeté une poubelle à roulettes. Dans l’articleon lit qu’un policier aurait été touché mais pas blessé. Dieu soit loué et tous les autres ! Je m’imagine la scène : « Attention les gars, une poubelle !!!! Oh merde, les mecs, aaah, je suis touché ! Je suis touché ! C’est bon j’ai rien ! »

Alors voilà, je ne reviens pas sur tout l’article, parce qu’il m’a fait péter un plomb, surtout après que je me sois nourrie de toute cette force.

La manif à laquelle j’ai participé n’est pas celle décrite par ce média. Comme d’habitude, on fait passer des femmes politisées et engagées pour des folles hystériques, justement parce qu’elles ont beaucoup de choses à dire et à dénoncer. Mais le problème est que vous ne pourrez jamais nous mettre à toutes du scotch sur la bouche, et nous reviendrons toujours plus nombreuses, et plus organisées, pour enfin nous battre contre ce système capitaliste qui permet au patriarcat de prospérer, et de banaliser les violences faites aux femmes.


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