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Interview d'un étudiant toulousain condamné à 3 mois de prison avec sursis pour avoir manifesté

« Très vite j’ai compris qu’on était arrêtés pour des idées plus que pour des actes »

A., étudiant en lettres à Toulouse le Mirail, a été interpellé lors du mouvement contre la loi travail. Son crime, avoir bousculé un CRS alors qu'il tentait, aveuglé, de s'extraire du nuage de lacrymogène. Accusé de « violences aggravées contre dépositaire des forces publiques », ce jeune étudiant a écopé de 3 mois de prison avec sursis. Un cas qui rappelle, parmi tant d'autres, celui de Gaëtan, (aussi étudiant au Mirail) condamné à de la prison ferme il y a 2 ans, lors du mouvement toulousain ayant suivi l'assassinat de Rémi Fraisse. Entre violences policières, condition d'incarcération lors de la garde à vue et déroulé du procès, A. revient dans son interview sur son expérience et les conclusions qu'il en tire.

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Propos recueillis par Léo Valadim

Dans quelles conditions as-tu été arrêté ? Où en es-tu dans les procédures ?

J’ai été arrêté le 12 mai place Dupuy. Il y a eu un premier lancé de grenades lacrymogènes, on a commencé à se disperser. Au deuxième lancé je ne portais plus mes lunettes, j’avais mon coude en avant pour me protéger les yeux dans le brouillard. J’ai couru en évitant les personnes au sol et ai heurté, en contournant une voiture, un CRS de dos. Il s’est retourné et m’a dit « Enculé tu veux m’attaquer ? », matraqué la tête ; je suis tombé. Ensuite ils sont arrivés à plusieurs, m’ont ligoté au serflex, insulté, et j’ai reçu un crachat à côté de la tête. Ils tapaient sur ma main pour que je lâche mes lunettes. J’avais un genou sur le cou pour me maintenir au sol, je n’arrivais plus à respirer. J’ai crié que j’arrivais plus à respirer, « au secours », et un autre manifestant a demandé au flic d’arrêter, grâce à quoi il a desserré sa prise.

 ?Au début je pensais qu’ils m’arrêtaient pour rien et me relâcheraient vite. Puis ils m’ont dit dans le fourgon que j’étais accusé de « violences aggravées contre dépositaire des forces publiques » et jets de pierres et de bouteilles.

Pendant ma garde à vue qui a duré environ 22 heures, j’ai tout contesté. C’est très long, la lumière reste allumée tout le long. C’est un néon très violent, c’était franchement le plus difficile. J’essayais de dormir emmitouflé dans ma veste car tout était dégueulasse. Mais le plus dur c’est vraiment la lumière et ne pas avoir droit à l’heure, on comprend que des gens pètent les plombs.

Après, je suis passé en comparution immédiate le 13 mai, j’ai demandé un renvoi et je devais passer le 24 juin. Puis la partie adverse a aussi demandé un renvoi, et je suis finalement passé début septembre. Entre temps, j’ai eu droit à un contrôle judiciaire serré, j’ai été obligé de signer à l’hôtel de ville 2 fois par semaine. J’ai aussi eu des arrêtés préfectoraux pour m’empêcher d’aller en manif jusqu’au 24 juin.

J’ai finalement été jugé le 2 sept et la décision a été rendue le 5 octobre.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans la procédure ?

Déjà, au début je me disais « ils se sont plantés », j’avais aucune connaissance des associations, organisations, etc. Même si je voyais les violences policières, j’étais naïf, comme beaucoup, sur l’idée qu’il ne peut pas nous arriver quelque chose si on n’a rien fait. Et là je me suis rendu compte à quel point tu peux perdre le contrôle de ton destin pour un truc qu’on te colle et qui n’est pas toi. C’est là que le doute commence à naître, en cellule. Tu te rends compte à quel point la répression est grande, même si je connaissais la répression énorme des forces de l’ordre dans les manifs. Juste après les répressions physiques, il y a le côté moral, c’est ce qui m’a le plus douloureusement atteint. Pendant 4 mois je n’étais pas libre, dans l’attente d’une décision, sachant qu’il peut t’arriver un truc, une condamnation, indépendamment de ce que t’auras à dire, de ce que tu sais que tu as fait ou pas.

Aussi, dans le tribunal on se rend compte qu’on n’a aucune place pour parler. À la comparution immédiate, j’étais menotté derrière la petite vitre. Il y avait 12 potes à moi, j’avais de la chance là-dessus. Me voir menotté en face d’eux, y a une peine énorme qui te prend, un sentiment un peu honteux. Tu sors de 24h là-dedans et tout d’un coup les gens le voient en vrai, avec le fait que tu sois attaché, entouré de deux flics, etc.

On te dit mille fois qu’il faut faire attention aux « écarts de parole ». En réalité on te menotte aussi la parole, ta liberté de penser. Très vite j’ai compris qu’on était arrêtés pour des idées plus que pour des actes, parce qu’on les répand et c’est ça qu’ils n’aiment pas.

La structuration de la salle est magnifiquement orchestrée. Petite salle carrée, avec une estrade où il y a un tribunal avec le président et deux autres juges autour, les procureurs et les huissiers. Avec toi tu as une personne, ton avocat, et en face de toi une dizaine. Rien qu’au niveau de la représentation, le « présumé coupable » est en grand déséquilibre, le pouvoir se fait sentir direct, ne serait-ce que par leurs costumes, ils sont assis et plus haut que toi, comme sur un trône. Tu es déjà en grande situation de faiblesse avant même de te défendre. Il y a une énorme sacralisation. Je connais bien le monde clérical, j’ai retrouvé – avec quand même un certain amusement aussi – toute la théâtralisation de la cérémonie de l’audience. Il y a une petite sonnette, on est invités par les policiers à se lever (tout le monde) quand le tribunal arrive. Le roi arrive, on salue le roi. Cette instance de pouvoir est réelle, attestée et assumée, et c’est ce qui fait sa force, qu’elle soit assumée. Si j’avais fait d’autres audiences où je n’étais pas accusé, je serai resté au fond et debout tout le temps pour ne pas avoir à me lever, pour jouer de leur symbolique. Il y a besoin de dénoncer cette symbolique qui sert un pouvoir injuste.

J’en suis venu à considérer qu’aujourd’hui le code civil est un livre sacré. On s’est libéré du pouvoir de la bible en la traduisant en français, il faudrait traduire le code civil dans la langue vulgaire d’aujourd’hui, c’est-à-dire pas ce français de code civil mais un français utilisé et compréhensible par le plus de monde,ça serait une révolution ! Les avocats eux-mêmes (même s’ils font du très bon boulot) ne savent pas toujours ce que peuvent vouloir dire les articles ! Mon projet à long terme serait de le traduire, je lance un appel à contribution !

Dans ces arrêtés préfectoraux, on est très facilement assimilés à des terroristes. Je ne sais plus dans quel article, avec l’état d’urgence, les forces de l’ordre ont le droit d’arrêter toute personne qui entrave la bonne circulation. Or quand tu manifestes, et bien tu bloques la circulation, là est toute l’hypocrisie, et effectivement ils ne nous ont arrêtés que parce qu’on manifestait !

De manière générale, on insiste beaucoup sur la différence entre la parole et les actes, c’est une seule et même chose devant le tribunal. Tu as le langage qu’on appelle « performatif », c’est le langage clérical. Quand on dit quelque chose, on le jure, on le fait. Il y a aussi la force de langage « pragmatique », c’est que même sans les formules comme « je te jure », si on dit « tu es coupable », tu peux le ressentir vraiment de fait. Le tribunal ce n’est que de la langue qui fait acte. Tu prends des coups de matraque au début puis c’est encore plus sournois, on te bat à coups de mots. Si on te dit « tu es condamné à du ferme », eh bien tu vas en prison, alors qu’on t’a juste dit des mots.

Il y avait d’autres personnes qui attendaient pour leurs procès, la plupart non-blanches, souvent pour un peu d’herbe. Tous ont pris des peines bien plus lourdes que moi, qui suis blanc, et en études. Je me suis senti un peu honteux. Devant le tribunal, il y a tout un registre à savoir employer, une manière de parler, il faut constamment t’excuser si tu veux qu’on t’écoute. Si tu n’as pas ce registre, tu es mal parti. Ça m’a vraiment marqué ce racisme dissimulé par le langage, cette justice qui pousse à l’exclusion. Dans les audiences que j’ai suivies, il y avait des gens qui ne parlaient pas français. Alors là, qu’est-ce que tu veux faire ? C’est déjà biaisé ! Comment tu peux être jugé dans une langue qui n’est pas la tienne ? C’est médiocre et tu peux avoir honte du système qu’on a établi dans le pays dans lequel tu vis.

Est-tu le seul étudiant dans ce cas ?

Non on est très nombreux à avoir été arrêtés. Rien que le jour où moi j’ai été arrêté on était 9. J’en ai rencontré quelques-uns, des étudiants mais pas tous du Mirail. Je n’en connais qu’une qui a été relaxée. Les autres, pour la plupart, on a eu 3 mois de sursis. De ceux que je connais par contre je suis le seul à avoir eu une amende. J’ai bien envie qu’on continue de se voir. Moi je suis pas encore sûr de la démarche que je vais suivre mais c’est évident qu’on a besoin de communiquer entre nous pour continuer à essayer de trouver des solutions communes contre la répression générale. Les solutions ne sont pas individuelles. Il faut aussi trouver des relais pour communiquer sur ces affaires.

Il y a plusieurs profs de l’université qui appellent à une réunion le mardi 18 à 13h sur la fac. Parmi ces profs il y a des signataires de la tribune de Libération « Quand tout acte contestataire peut être qualifié de terrorisme ». Cette réunion va discuter de la répression, des violences policières, du racisme et de l’état d’urgence. Tu y seras ? Quels sont les enjeux selon toi de ce type d’échéance ?

J’y serai. Je pense qu’il y a un enjeu à ce qu’il y ait ce genre de réunions au sein de la faculté, menées par les professeurs auprès des étudiants et auprès d’autres professeurs. Il faut absolument communiquer sur ce genre de faits graves, que ce soit pour Guillaume Vadot ou ce qui me concerne, moi et les autres inculpés. Tout ça concerne beaucoup d’autres choses, notamment les mesures antisociales qui sévissent dans les universités (baisse d’effectifs, de budgets, etc.), car c’est aussi pour ça qu’on manifeste. Après la manif, j’avais besoin de soutien moral de mes profs, pour recréditer ce que je disais, savoir que j’étais compris. Il faut qu’on rompe avec le clivage de génération, de statut entre étudiants et profs. La contestation doit nous relier, on a des intérêts communs je pense et il faut aussi qu’on se rassemble là-dessus.

On nous met des faux experts partout, à la télé, à toutes les sauces, on nous écarte complètement du réel savoir, du réel enseignement. Je lutte aussi pour qu’on redonne sa place au savoir, à la réflexion critique dans le système médiatique. Et on ne peut engager ça que dans la discussion entre étudiants et professeurs. Il faut qu’on arrive à se retrouver là-dessus.

J’ai été soulagé du regard de mes professeurs, de la confiance qu’ils me donnaient. Dans ma petite promo on se connaît bien et on se fait confiance, et des profs qui ne sont pas forcément militants ont reconnu dans le fait que je manifeste quelque chose de juste, et ça c’est très important, qui faisait sens. C’est important de pouvoir nouer des liens entre les personnes qui ont un statut, et nous autres qui souffrons de ne pas en avoir dans cette société.

Nous avions publié le 14 octobre son témoignage écrit, rédigé en septembre à la suite de son procès.


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