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Covid-19

Tunisie. Une catastrophe sanitaire préparée par les puissances mondiales

La Tunisie est devenue le pays avec le taux de mortalité lié au Covid-19 le plus important d’Afrique et la vaccination traine alors que tous les variants circulent dans le pays. Une catastrophe sanitaire qui n’a rien de naturelle.

Philippe Alcoy

20 juillet 2021

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L’image d’un directeur d’hôpital en Tunisie effondré, en larmes, par le manque d’oxygène a ému à travers le monde. Elle est devenue le symbole du drame, de la catastrophe sanitaire que traverse le pays. En effet, depuis juin l’Afrique a vu une accélération importante de contaminations de Covid-19 : des 5 millions de cas connus jusqu’à présent, 1 million se sont produits le dernier mois et le nombre de morts officiel atteint 138 000 sur l’ensemble du continent.

Mais dans ce panorama plus qu’inquiétant, la Tunisie est devenu le pays africain le plus affecté avec un taux de 150 morts par jour (16 650 morts depuis le début de la pandémie) ; 7 800 cas par jour et un taux d’occupation de 92% des lits de réanimation dans le secteur public, selon les chiffres du ministère de la santé. Cette accélération de la pandémie vient faire pression sur un système de santé public déjà en manque de personnel et de matériels en temps normaux, un scénario qui se répète tout au long du continent africain et un peu partout dans le monde (y compris dans les puissances mondiales).

Parmi ce manque de matériels pour faire face à cette vague meurtrière on retrouve une pénurie d’oxygène et d’appareils d’assistance respiratoire, essentiels pour sauver la vie des patients les plus gravement atteints. « A titre d’exemple, à Kairouan, une des villes très touchées par la pandémie, la consommation d’oxygène est passée de 500 litres par jour avant le nouveau pic de la pandémie à 5.500 litres quotidiennement actuellement », peut-on lire sur le site en ligne marocain Le 360 Afrique. Cette situation n’est pas sans rappeler la dramatique situation qu’a vécu l’Inde par manque d’oxygène thérapeutique, un produit vendu par une poignée de multinationales dont la française Air Liquide.

Cet approfondissement de la crise sanitaire est dû, entre autres, à l’arrivée de touristes et des Tunisiens habitant et travaillant à l’étranger, pour les vacances d’été. Toujours selon Le 360 Afrique, « les pays du Maghreb connaissent tous une recrudescence des cas de Covid-19. Une situation qui résulte de l’ouverture des frontières par les pays de la région pour laisser rentrer les membres de leur diaspora et éventuellement des touristes afin de relancer leur secteur touristique, et qui a été aggravée par la circulation dans la région de presque tous les variants dont le britannique, le sud-africain, l’indien… Des variants beaucoup plus contagieux et qui affectent aussi de plus en plus de jeunes et même très jeunes, jusqu’alors globalement épargnés par la souche originelle ».

En effet, cette situation vient souligner le faible taux de vaccination dans ces pays et notamment en Tunisie. Alors que l’expérience mondiale a montré que là où la population est vaccinée les formes les plus graves de contamination, y compris des nouveaux variants, tendent à réduire, la Tunisie a un taux de vaccination très faible : seulement 6% de sa population est totalement vaccinée, 13% ayant reçu au moins une première dose. Pour avoir un élément de comparaison en France plus de 43% de la population est totalement vaccinée.

Dans ce contexte, plusieurs pays ont d’ores et déjà annoncé leur « solidarité » à l’égard de la Tunisie, dans une sorte de relance de la « diplomatie vaccinale ». Ainsi, la France s’est engagée à envoyer un million de doses de vaccin ainsi que des matériels pour l’assistance respiratoire et de l’oxygène. Mais au-delà de l’ancienne puissance coloniale, d’autres pays, notamment arabes et musulmans, tentent d’utiliser de façon indécente cette catastrophe pour faire avancer leurs intérêts dans la région en échange d’une aide humanitaire. Parmi les plus actifs dans ce concours d’indécence ont retrouve l’Arabie Saoudite. Le royaume de la famille al-Saoud a déclaré qu’il enverrait un million de doses. Comme l’écrivent Siobhán O’Grady et Claire Parker dans le Washington Post : « Pour l’Arabie Saoudite, la crise en Tunisie offre une opportunité "de réaffirmer son rôle, en particulier dans le secteur de l’aide caritative, dont elle a toujours été traditionnellement fière", a déclaré Elham Fakhro, analyste en chef sur les États du Golfe Persique à l’International Crisis Group. (...) Youssef Cherif, analyste politique et directeur du Columbia Global Centers à Tunis, a déclaré que l’aide significative de l’Arabie Saoudite au milieu de la crise tunisienne pourrait également aider le royaume à repeindre son image à l’étranger. L’Arabie Saoudite a été vivement critiquée ces dernières années pour le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi par des agents saoudiens et pour le coût humain de son implication dans la guerre au Yémen ».

D’autres pays en concurrence pour des parcelles d’influence dans la région ont aussi promis et annoncé des aides comme l’Egypte, le Maroc, l’Algérie, les Emirats Arabes Unis, le Qatar et la Turquie, entre autres. Cette aide, même intéressée, pourrait être de grande aide pour la population tunisienne en souffrance face au virus, mais elle ne pourra pas résoudre les problèmes structurels qui ont mené à cette catastrophe.

Parmi des éléments ayant conduit au drame actuel en Tunisie on peut dénommer le manque d’investissements dans le secteur de la santé, en grande partie lié à des années de politiques néolibérales et pro-impérialistes. Mais plus récemment on retrouve aussi une inégalité profonde d’accès aux vaccins selon les pays, résultat d’une division mondiale entre une poignée d’Etat impérialistes riches et une multitude d’Etat à faibles ressources dominés par les premiers. Ainsi, les pays les plus riches se sont littéralement accaparés des doses au niveau mondial, se procurant une quantité de vaccins qui leur permettrait en moyenne de vacciner quatre fois leurs populations alors que pour les pays à faibles revenus la quantité de vaccins n’est suffisant que pour vacciner 10% de leurs populations. Un autre chiffre parlant : à ce jour 25,3% de la population mondiale a été vaccinée, soit 3,4 millions de doses, dont seulement 1% dans les pays pauvres.

Autrement dit, le drame que vit la population tunisienne actuellement est en grande partie le résultat d’une gestion impérialiste et réactionnaire d’une pandémie. Alors que le Covid-19 touche l’ensemble de la planète, les Etats capitalistes les plus puissants mettent en place des pseudo-solutions nationalistes essayant de tirer avantage vis-à-vis des autres Etats concurrents. Or, comme tant d’analystes et de scientifiques le répètent, la pandémie exige une réponse globale, tant que des millions de personnes continueront à être exposées aux dangers du virus et à ses mutations, aucun pays n’est à l’abri, même avec des taux de vaccination relativement élevés.

La pandémie n’a fait que révéler et accentuer les inégalités entre la poignée de puissances impérialistes et les autres Etats opprimés et exploités. Alors que lors de la première phase de la pandémie, un grand nombre de pays pauvres, notamment en Afrique, avaient été relativement épargnés par les pires effets du virus, aujourd’hui nous assistons à un retournement de la situation. Toutes les craintes quant à la capacité des systèmes de santé dégradés dans les pays semi-coloniaux à faire face à la pandémie commencent à se confirmer. L’inégalité vaccinale et l’apparition de nouveaux variants rend encore plus dramatique la situation de certains Etats de la périphérie capitaliste.

A cette situation sanitaire dramatique il faut ajouter en outre toutes les mesures répressives mais surtout les conséquences économiques de la crise telles que le chômage de masse (selon l’ONU on comptera plus de 200 millions de nouveaux chômeurs liés à la crise sanitaire). La situation catastrophique en Tunisie risque de se répéter dans toute une série de pays pauvres et dominés par l’impérialisme. Mais ce à quoi il faut s’attendre aussi c’est à des possibles explosions sociales profondes, parfois désespérées et « aveugles », comme on a vu récemment en Afrique du Sud. Dans ce cadre, c’est une tâche du mouvement ouvrier international, et plus particulièrement dans les pays impérialistes, d’exiger la levée des brevets sur les vaccins et les différents matériels nécessaires à faire face à la pandémie.


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