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International

Ukraine. Barrage saboté : un acte réactionnaire, d’où qu’il vienne

Depuis la destruction du barrage de Nova Kakhovka ce mardi, un jeu d’accusations croisées (sans preuves) entre la Russie et l’Ukraine a lieu. Comme pour le sabotage de Nord Stream, aucune confiance ne peut être faite aux déclarations des uns ou des autres. Seule certitude : c’est un désastre pour les civils.

Philippe Alcoy

7 juin 2023

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Ukraine. Barrage saboté : un acte réactionnaire, d'où qu'il vienne

Crédits photo : Wikimedia Commons

Dès tôt ce mardi, quand a surgi la nouvelle du sabotage du barrage de Nova Kakhovka, dans la partie de la région de Kherson contrôlée par la Russie, le président Volodymyr Zelensky et des dirigeants ukrainiens ont accusé le Kremlin de cet acte réactionnaire contre une infrastructure civile. Zelensky et son gouvernement ont rapidement été rejoints par des dirigeants de l’Union Européenne et de l’OTAN. « On peut naturellement supposer qu’il s’agit d’une agression perpétrée par la partie russe afin d’arrêter l’offensive de l’Ukraine visant à libérer son propre territoire », déclarait par exemple le chancelier allemand, Olaf Scholz. Avant d’ajouter qu’une telle attaque « donne une nouvelle dimension » au conflit.

Cependant, avec les heures et le manque d’éléments concrets pour affirmer avec certitude que l’armée russe serait responsable du sabotage, des responsables occidentaux ont préféré prendre une position précautionneuse. Ainsi, John Kirby, porte-parole du département de la Défense étasunien a affirmé que son gouvernement ne pouvait pas « dire avec certitude qui est responsable de la rupture du barrage de Kakhovka ». The New York Times, citant plusieurs experts, invite également à la précaution concernant les accusations hâtives. Dans l’article de ce journal de référence de l’impérialisme nord-américain on évoque également les hypothèses d’un effondrement non-intentionnel du barrage, même si provoqué par des attaques antérieures. Ces hypothèses restent cependant peu probables.

Il est plus que clair que si ces dirigeants impérialistes et la presse mainstream occidentale avait la moindre once de preuve de l’implication russe dans ce sabotage, ils seraient déjà en train de mettre en place des sanctions redoublées ainsi que toute une machine de propagande antirusse renforcée. Cependant, au cours de la guerre plusieurs évènements comparables appellent à prendre plus de précautions avant de lancer des accusations : la destruction des pipelines Nord Stream où la Russie a été accusée de s’être auto-sabotée avant que des spéculations sur l’implication des Etats-Unis et même de l’Ukraine sortent à la lumière du jour ; le missile « russe » tombé en Pologne dont Zelensky a accusé immédiatement le Kremlin, même après des preuves irréfutables qu’il s’agissait d’un missile lancé par la défense anti-aérienne ukrainienne ; l’attentat contre le pont du détroit de Kertch en Crimée dont la responsabilité n’a été revendiquée par personne jusqu’au jour d’aujourd’hui (malgré le fait que tout indique que l’armée ukrainienne soit impliquée).

Mais le sabotage du barrage de Kakhovka est en quelque sorte différent de ces derniers exemples : il s’agit d’un acte réactionnaire et un crime de guerre dont les conséquences sont en train d’affecter des dizaines de milliers de personnes dans la région qui vont perdre leurs maisons, champs et animaux ; il s’agit d’un désastre écologique ; et enfin il met potentiellement en danger la centrale nucléaire de Zaporijjia. C’est pour cela que les accusations croisées des uns contre les autres prennent une importance cruciale : le coupable pourrait perdre des alliés au niveau étatique mais aussi auprès de « l’opinion publique » à travers le monde.

Alors, quels sont les arguments ukrainiens pour accuser la Russie d’être impliquée ? Selon Kiev le timing du sabotage du barrage favorise la Russie car il intervient au moment où l’armée ukrainienne était en train de lancer sa tant annoncée « contre-offensive ». Inonder toute la région au sud de Kherson rendrait plus difficile les opérations ukrainiennes face à une armée russe sous pression. Pour le Kremlin ce serait aussi une façon de se « venger » des dernières attaques sur son sol et de démontrer qu’il est prêt à tout s’il est mis en difficulté. En plus de cela, Kiev affirme que ce n’est pas la première fois que l’armée russe s’attaque aux infrastructures civiles d’énergie depuis le début de la guerre.

En effet, si l’on ne peut à ce stade éliminer aucune hypothèse, il existe des raisons de douter des affirmations trop certaines de la part du gouvernement ukrainien. En ce sens, le spécialiste des questions militaires russes, Michael Kofman écrit sur Twitter un court fil affirmant son scepticisme sur les avantages militaires que la Russie tirerait de ce sabotage. Entre autres choses, Kofman écrit qu’une « opération ukrainienne envisageant de traverser le fleuve dans le sud de Kherson, en aval du barrage, a toujours été une perspective risquée et donc peu probable. Rien ne prouve qu’une telle opération était en cours ou qu’elle aurait nécessairement fait partie des plans d’offensive ukrainienne ».

D’autres raisons d’ordre économique et politique ont également été évoquées ces dernières heures. Le barrage non seulement se trouve sur le territoire contrôlé par la Russie mais il servait à alimenter en eau une partie non négligeable de la Crimée. Autrement dit, si les inondations vont affecter les agriculteurs et les habitants ukrainiens, il en va de même pour la population de Crimée et son secteur agricole.

C’est pour cela que certains analystes occidentaux vont même jusqu’à évoquer la possibilité que ce soient les forces ukrainiennes elles-mêmes qui ont fait sauter le barrage. Ainsi, Stephen Bryen du Center for Security Policy et du Yorktown Institute, écrit : « le mobile peut être imputé aux Ukrainiens : faire sauter le barrage afin d’abaisser le niveau de l’eau en amont et leur permettre de traverser plus facilement la rivière à cet endroit lors de leurs opérations offensives (…) Cela concorde avec les informations selon lesquelles les Ukrainiens voulaient transférer des unités de la région de Kherson vers l’est en raison de l’échec de leur offensive (…) La rupture du barrage a également menacé les fortifications défensives des Russes dans les zones qu’ils contrôlent près de la rivière en aval du barrage, territoire que l’Ukraine tente de reprendre ». Autrement dit, il y a autant de raisons de penser que la Russie est derrière ce sabotage que l’Ukraine.

Comme à chaque fois lors d’une guerre, il est impossible de croire les parties en dispute car l’information sur ce qu’il se passe sur le terrain devient également une arme d’un côté ou de l’autre. La destruction du barrage est un crime de guerre réactionnaire qui affecte la population civile en premier lieu, notamment les plus démunis. Ces dernières semaines nous avons d’ailleurs assisté à des attaques redoublées sur les populations civiles en Ukraine mais aussi en territoire russe. Les deux camps en dispute mènent des politiques réactionnaires et leur guerre prend le même caractère. Les puissances impérialistes participent pleinement au bellicisme poursuivant leurs propres intérêts. En ce sens, il n’est pas impossible que l’on assiste à de nouvelles attaques de ce type. Ce qui est certain c’est que quel que soit le responsable de la destruction du barrage, il s’agit d’un acte profondément réactionnaire.


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