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Presse internationale

Ukraine. Trois scénarios sur la fin de la guerre de Poutine (New York Times)

Dans le cadre de la republication d'articles divers issus de la presse internationale, nous relayons l'édito de Thomas L. Friedman, journaliste bourgeois américain proche de l'establishment, initialement paru dans le New York Times.

7 mars 2022

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Après les analyses de Stratfor, nous publions cet article de Thomas Friedmann, éditorialiste bourgeois au New York Times et soutien de l’invasion de l’Irak en 2003. L’article ne reflète pas les positions de Révolution Permanente.

La bataille pour l’Ukraine qui se déroule sous nos yeux a le potentiel d’être l’événement le plus bouleversant pour l’Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que la confrontation la plus dangereuse pour le monde depuis la crise des missiles de Cuba. Je vois trois scénarios possibles pour le déroulement des événements. J’appelle ces scénarios « le désastre total », « le sale compromis » et « le salut ».

Le scénario catastrophe a lieu en ce moment : à moins que Vladimir Poutine ne change d’avis ou ne puisse en être dissuadé par l’Occident, il semble prêt à tuer autant de personnes et à détruire autant d’infrastructures ukrainiennes que nécessaire pour effacer l’Ukraine en tant qu’État libre et indépendant et anéantir sa culture comme ses dirigeants. Ce scénario pourrait conduire à des crimes de guerre dont l’ampleur n’a pas été vue en Europe depuis les nazis – des crimes qui feraient de Vladimir Poutine, de ses acolytes et de la Russie en tant que pays, des parias mondiaux.

Le monde connecté et mondialisé n’a jamais eu affaire à un dirigeant accusé de ce niveau de crimes de guerre, dont le pays possède une étendue de territoire s’étendant sur 11 fuseaux horaires, qui est l’un des plus grands fournisseurs de pétrole et de gaz au monde et possède le plus grand arsenal d’ogives nucléaires de toutes les nations. Chaque jour où Poutine refuse de s’arrêter, nous nous rapprochons des portes de l’enfer. Avec chaque vidéo TikTok et chaque cliché de téléphone portable montrant la brutalité de Poutine, il sera de plus en plus difficile pour le monde de détourner le regard. Mais intervenir risque de déclencher la première guerre au cœur de l’Europe impliquant des armes nucléaires. Et laisser Poutine réduire Kiev en ruines, avec des milliers de morts – de la même façon qu’à Alep et Grozny – lui permettrait de créer une situation semblable à l’Afghanistan en Europe, déversant des flots de réfugiés et de chaos.

Poutine n’a pas la capacité d’installer un dirigeant fantoche en Ukraine et de le laisser là : une marionnette serait confrontée à des insurrections permanentes. La Russie doit donc stationner en permanence des dizaines de milliers de soldats en Ukraine pour la contrôler – avec des conflits réguliers avec les Ukrainiens. Le peu de réflexion de Poutine au sujet de la finalité du conflit est terrifiant.

J’aimerais que Poutine soit simplement motivé par le désir de maintenir l’Ukraine en dehors de l’OTAN ; son appétit est bien plus grand que cela. Poutine est sous l’emprise de la pensée magique : comme le dit Fiona Hill, une des principales expertes américaines de la Russie, dans une interview publiée ce lundi par le média Politico, il croit qu’il existe quelque chose appelée « Russky Mir », ou « monde russe », que les ukrainiens et les russes sont « un seul peuple » et qu’il a pour mission d’organiser « le rassemblement de tous les russophones séparés géographiquement qui appartenaient auparavant à l’empire tsariste ».

Pour faire de cette vision une réalité, Poutine estime qu’il est de son droit et son devoir de défier ce que Hill appelle « un système réglementé où les choses que les pays désirent ne sont pas briguées par la force ». Et si les États-Unis et ses alliés essayent de s’interposer – ou de l’humilier de la même manière qu’ils l’ont fait pendant la Guerre Froide – il montre qu’il est prêt à nous dépasser dans la folie. Ou, comme Poutine menaçait il y a quelques jours, que quiconque se mettait sur son chemin aurait à faire face aux « conséquences encore jamais vues » avant. Ajoutez à cela la quantité conséquente de rapports inquiets de l’Etat mental de Poutine et vous obtenez un cocktail terrifiant.

Le second scénario est que d’une manière ou d’une autre, l’armée et le peuple ukrainien parviennent à résister suffisamment longtemps au Blitzkrieg russe, et que les sanctions économiques commencent à frapper profondément Poutine, de sorte que les deux parties se sentent obligées d’accepter un mauvais compromis. Ses contours flous seraient qu’en échange d’un cessez-le-feu et du retrait des troupes russes, les enclaves orientales de l’Ukraine, aujourd’hui sous contrôle russe de facto, seraient officiellement cédées à la Russie, tandis que l’Ukraine s’engagerait explicitement à ne jamais rejoindre l’OTAN. Dans le même temps, les États-Unis et leurs alliés accepteraient de lever toutes les sanctions économiques récemment imposées à la Russie. Ce scénario reste peu probable car il exigerait de Poutine qu’il admette avoir échouer dans sa mission de ré-intégrer l’Ukraine dans la mère patrie russe, après en avoir payé un prix important en pertes économiques et humaines. En outre, l’Ukraine devrait céder une partie de son territoire et accepter de devenir un no man’s land permanent entre la Russie et le reste de l’Europe, tout en conservant son indépendance. Cela demanderait aussi que le reste du monde ignore le fait connu maintenant qu’on ne peut pas faire confiance à Poutine pour laisser l’Ukraine tranquille.

Enfin le scénario le moins probable mais qui pourrait avoir le meilleur résultat est que le peuple russe fasse preuve d’autant de courage et d’engagement envers sa propre liberté que le peuple ukrainien en a fait preuve envers la sienne, et qu’il apporte le salut en chassant Poutine du pouvoir.

De nombreux russes commencent à s’inquiéter du fait que tant que Poutine est leur leader actuel et pour un futur, ils n’ont pas d’avenir. Des milliers d’entre eux ont pris la rue pour manifester contre la guerre insensée de Poutine. Ils se mettent en danger pour cela. Et bien qu’il soit trop tôt pour le dire, leur réaction nous amène à nous demander si la soi-disant barrière de la peur n’est pas en train d’être brisée et si un mouvement de masse ne pourrait pas finalement mettre fin au règne de Poutine. Même pour les russes qui restent en place, la vie est soudainement perturbée, à petite et grande échelle. Comme le dit mon collègue Mark Lander : « En Suisse, le festival de musique de Lucerne a annulé deux concerts symphoniques auxquels participait un maestro russe. En Australie, l’équipe nationale de natation a déclaré qu’elle boycotterait une rencontre du championnat de Russie. Au domaine skiable de Magic Mountain, dans le Vermont, un barman a versé des bouteilles de vodka Stolichnaya dans les égouts. De la culture au commerce, du sport au voyage, le monde évite la Russie de multiples façons pour protester contre l’invasion de l’Ukraine par la président Vladimir V. Poutine ».

Et puis il y a la nouvelle « taxe Poutine » que chaque Russe devra payer indéfiniment pour le plaisir de l’avoir comme président. Je parle des effets des sanctions croissantes imposées à la Russie par le monde civilisé. Lundi, la banque centrale russe a dû imposer le maintien de la fermeture du marché boursier russe pour éviter un effondrement sous l’effet de la panique et a aussi été contrainte de relever son taux d’intérêt de référence en une journée, le faisant passer de 9,5% à 20% pour encourager les gens à conserver leurs roubles. Même si le rouble avait déjà baissé de 30% par rapport au dollar – qui vaut donc moins qu’un centime américain.

Pour toutes ces raisons, je dois espérer qu’en ce moment, de très hauts responsables des services de renseignement et de l’armée russes, proches de Poutine, se réunissent dans un placard du Kremlin et disent tout haut ce qu’ils doivent penser tout bas : Soit Poutine a perdu pied en tant que stratège durant son isolement pendant la pandémie, soit il se trouve dans une phase de profond déni face à ses mauvais calculs concernant la force des ukrainiens, des États-Unis, de ses alliés et de la société civile mondiale au sens large.

Si Poutine se lance dans la destruction des plus grandes villes d’Ukraine et de sa capitale, Kiev, lui et tous ses acolytes ne verront plus jamais leurs appartements de Londres et New-York achetés avec toutes les richesses qu’ils ont volés. Il n’y aura plus de Davos ou de Saint-Moritz. Au lieu de cela, ils seront tous enfermés dans une grande prison appelée Russie – avec la liberté de voyager uniquement en Syrie, en Crimée, en Biélorussie, en Corée du Nord et peut-être en Chine. Leurs enfants seront expulsés de leurs internats privés de la Suisse à Oxford.

Soit ils collaborent pour évincer Poutine, soit ils partageront tous sa cellule d’isolement. Il en va de même pour le grand public russe. Je me rend compte que ce scénario est le plus improbable de tous, mais c’est celui qui donne le plus de gages pour réaliser notre rêve au moment de la Chute du mur de Berlin en 1989, celui d’une Europe entière et libre, des îles britanniques à l’Oural.


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