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Interview

Un chauffeur de bus à la PDG de la RATP : « Vous nous avez insultés, on laissera pas passer ! »

Sylvain est chauffeur de bus en Seine-Saint-Denis. Touchant un salaire de 1600€ net malgré les horaires de nuit et les week-ends travaillés, il a vécu l'augmentation de 50.000€ annuels de la PDG de la RATP comme une insulte. Il lui adresse ici un message salé et nous explique les raisons de sa colère.

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Comme beaucoup de ses collègues, c’est dans nos colonnes que Sylvain a appris l’augmentation de 12,5% du salaire de Catherine Guillouard, PDG de la RATP, fin octobre. Ça a été la goutte d’eau de trop, pour lui qui n’a pourtant que 4 ans de service, a fait grève pour la première fois le 13 septembre dernier, et compte bien se mettre en grève reconductible à partir du 5 décembre. Car la rancœur est grande, chez les 60.000 agents que la RATP presse comme des citrons depuis de trop nombreuses années. Alors cette fois il n’a pas voulu laisser passer, et c’est dans une vidéo tournée sur son canapé qu’il a souhaité s’adresser à sa patronne, tel un « cri de détresse » selon ses propres mots. Il a également accepté de répondre à nos questions, témoignant d’une colère largement partagée parmi ses collègues, face à la dégradation du service public des transports parisiens, que les agents RATP subissent de plein fouet au même titre que les usagers.

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Révolution Permanente : Pourquoi as-tu décidé de faire cette vidéo ?

Sylvain : « C’est simple, j’ai pris un peu la parole parce que je vois ma famille payer au quotidien 2€ le ticket, 80€ par mois le Pass Navigo ou 100€ la prune s’ils fraudent, alors que c’est du vol vu la qualité de service qui est juste horrible dans nos transports. »

RP : Tu peux donner des exemples de ton quotidien sur cette mauvaise qualité de service et comment ça impacte les usagers ?

S. : « A mon échelle, à savoir le département bus, la régulation est juste un scandale. Par exemple un jour en heure de pointe on était 4 bus articulés qui se suivaient, alors qu’ils sont censés passer toutes les 8 à 10 minutes. Je voyais que les quais étaient pleins sur le trottoir d’en face donc j’ai appelé le régulateur et je lui ai dit : ’je suis le 4e bus articulé, je suis à vide, en face c’est plein, fais-moi faire demi-tour le plus vite possible parce le collègue en face il va se faire insulter, même si c’est un bus articulé il va devoir laisser des gens à quai et une dame m’a déjà dit qu’ils attendaient depuis 35 minutes...’. Il m’a répondu ’non, non, fais tes kilomètres’. Et ben il s’est passé ce qu’il était évident qu’il allait se passer : quand je suis arrivé au terminus il y a eu un appel général sur la ligne en disant que le collègue s’était fait agresser. C’était évident et ça aurait pu être évité.

Et ce n’est qu’un exemple. Autre exemple, le matériel. Voici un soufflet articulé recousu au zip. Dans mon dépôt j’en ai repéré 6 recousus de cette manière. Mais ça, quand ça va s’ouvrir totalement, c’est des morts qu’on peut avoir ! Mais ce sera la faute du chauffeur pour avoir sorti le bus en connaissance des risques, comme d’habitude.

Autre exemple, les handicapés en fauteuil roulant n’ont pas accès au métro. J’en passe et des meilleures... »

RP : Est-ce que tu peux nous dire combien tu gagnes et comment tu as vécu l’augmentation de ta PDG ?

S. : « Moi personnellement après prélèvement à la source je suis à 1580€. Pour moi cette augmentation c’est une trahison. Parce que comme je le dis dans ma vidéo, ils n’investissent dans rien, même pas dans la sécurité pour protéger les voyageurs, pour les empêcher de se faire racketter ou frotter. Par contre pour investir dans une brigade pour nous surveiller nous les chauffeurs de bus, ils ont de l’argent [A ce sujet, voir l’interview d’Alexis Louvet, NDLR]. Pour que la PDG s’augmente, il y a de l’argent. Par contre, penser à nous qui avons nos salaires gelés depuis 10 ans quasiment, ils ne savent pas faire. Rien n’est fait ni pour les usagers ni pour le staff, alors que tous interpellent la RATP.
Ils n’investissent pas dans le matériel non plus, il suffit de constater que des bus Agora ou Scania approchent les 700.000 kilomètres au compteur... ou que le T1 qui fait Noisy-le-Sec-Gennevilliers a 30 ans et n’est pas adapté à l’affluence bien trop conséquente sur ligne... Il n’y a pas d’investissement non plus dans les infrastructures : il y a des arrêts de bus sans abribus, et nous à certains terminus on n’a même pas de toilettes ou quoi que ce soit. On attend dans notre bus le top départ pour repartir. »

RP : Tu as fait grève le 13 septembre... le 5 décembre tu remets ça ?

S. : « Oui, à partir du 5 décembre, je vais faire vivre le 13e mois que je suis censé percevoir fin novembre, pour poser une déclaration de grève illimitée sur décembre. Le 17 novembre, je serai à l’anniversaire des Gilets Jaunes avec mon uniforme RATP, quitte à m’afficher... et le 5 décembre commence le vrai combat !

RP : Et tu te bats pour les retraites ou pour plus que ça ? Pour toi quelle est la solution pour faire plier le gouvernement ?

S. : « Converger tous ensemble. J’y crois vraiment. Il faut dépasser les clivages et arrêter de penser à sa petite personne. Je ne me battrai pas que pour la réforme des retraites. Mais aussi pour améliorer le quotidien des gens. Parce que les transports sont anxiogènes pour les usagers tout comme pour le staff. Pour faire plier le gouvernement il faut qu’on soit tous unis, tous ensemble. Qu’on leur montre que peu importe l’endroit où on bosse ou ce qu’on fait dans la vie, il faut leur montrer notre union pour pouvoir donner le meilleur au gens.

Je veux m’adresser une dernière fois aux usagers. Mais désolé à eux et je compatis pour ce qui leur est fait au quotidien. On est ensemble les gens. Je ne peux que les comprendre. Big up à mes collègues parce que l’air de rien en se débrouillant comme on peut on tient la baraque tant bien que mal. Et un grand merci à l’équipe de Révolution Permanente pour cette interview que je n’espérais même pas ».

Pour nous faire parvenir vos témoignages, coups de gueule... écrire à [email protected].


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