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Témoignage

Une étudiante russe dénonce : "Les sanctions contre la Russie affectent le peuple qui n’a rien demandé"

Alors que les sanctions des gouvernements occidentaux contre la Russie retombent directement sur la population russe, nous avons rencontré une étudiante russe en Erasmus qui doit payer le coût d’une guerre qu’elle n’a pas choisie et qu’elle combat. Nous recueillons son témoignage dans cet article.

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Créditi photo : NIKOLAY KORZHOV - AFP

Nous retranscrivons ci-dessous le témoignage d’Anna que nous avons rencontré à l’Université Bordeaux Montaigne.

Je m’appelle Anna, j’étudie à l’université Bordeaux Montaigne depuis septembre 2021 dans le cadre d’un programme de mobilité russe et je suis en économie. En Russie, j’étudiais le commerce international.

Suite au début de la guerre en Ukraine et les sanctions qui s’en sont suivies contre la Russie, j’ai eu des problèmes avec mon compte en banque, surtout pour recevoir des virements de mes parents et mon salaire (je travaillais en ligne pour une entreprise russe de marketing).

Les sanctions compliquent vraiment ma situation. Même si je reçois mon salaire en roubles par virement, je ne peux pas transférer cet argent pour m’en servir ici en France. Il est très difficile pour mes parents de m’envoyer de l’argent pour m’aider à payer mon loyer. Je suis inquiète pour mes parents, je pense qu’ils se sentent vraiment mal en ce moment à cause de cette guerre. Nous voulons que cela s’arrête.

Au début de mes études ici, j’habitais dans un appartement du CROUS. Depuis que la guerre a commencé, je ne peux plus payer le loyer à cause de tous ces problèmes bancaires. Alors, on m’a conseillé de demander de l’aide aux services sociaux du CROUS. J’ai pris rendez-vous, et j’ai expliqué ma situation. Ils me donnent en ce moment 250€ par mois pour payer le loyer et 100€ par mois pour pouvoir manger. Du coup en ce moment je cherche un nouveau travail. C’est assez difficile, car je ne parle pas bien français.

RP : Quelle issue au conflit serait favorable à ton avis ?

Déjà je ressens une forte colère contre cette guerre et donc en particulier contre Poutine. Je ne suis pas très experte dans la politique de Poutine, mais je suis toujours surprise par sa position dans les sondages. J’étais certaine que tous les articles des médias russes étaient faux, que personne en Russie ne le soutenait parce que tous mes amis et ma famille lui sont opposés et savent que le monde entier, que notre propre population, pense que sa politique est monstrueuse.

Mais, depuis le début de cette guerre, j’ai vu que certains étaient tellement pris par la propagande qu’ils ne peuvent plus voir clairement ce qu’il se passe. C’est étrange, c’est effrayant. Ce sont des adultes, ils ont un cerveau, des yeux, ils doivent voir ce qu’il se passe. Mais ils sont tellement affectés par ce poison, cette propagande, qu’ils ne voient rien. Je pense qu’il est très important de faire la différence entre Poutine, les gens qui le soutiennent, et le reste des Russes. Les Russes ne sont pas Poutine. Nous ne l’avons même pas vraiment choisi, les élections sont truquées. Il n’y a même pas besoin d’aller voter parce que les gagnants sont connus d’avance. Maintenant, ce qu’il fait est tellement fou que je ne sais même pas s’il se soucie de ce que l’on pense de lui. Il a déjà tellement de pouvoir qu’il décide seul de ces choses affreuses et continuer de garder ce pouvoir entre ses mains.

Donc l’issue je pense qu’elle pourrait venir des Russes qui ont manifesté contre Poutine, car ils expriment dans la rue la colère que j’ai au fond de moi. Mais le problème c’est qu’il ya beaucoup de répression. La liberté est quelque chose qui n’existe pas en Russie, pas complètement. Par exemple, quand je suis arrivée ici, j’ai été très surprise du nombre de manifestations. Tous les samedi, le tramway peut être arrêté pour manifestation. En Russie, j’étais tellement habituée aux interdictions constantes, aux arrestations simplement pour avoir été dans la même rue qu’une manifestation, que j’avais même oublié que manifester peut être bénéfique. Ce sont juste des gens qui disent ce qu’ils pensent, qui défendent ce qu’ils ont à dire. Pour l’instant, il y a des gens en Russie qui trouvent le courage de se lever et de dire non à la guerre, même en sachant qu’ils pourront être torturés, arrêtés, frappés, violés, et c’est... je n’ai même pas les mots. Poutine tue nos espoirs d’arrêter tout cela.

Il s’appuie sur la police pour faire peur. Ces gens là ne sont pas là pour t’aider. Ils devraient être là pour ça, mais nous avons peur... par exemple, ils mettent de la drogue dans nos sacs pour dire que c’est la nôtre, ou ils nous violentent et nous frappent simplement parce que nous ne soutenons pas certaines de leurs idées. Toute la police est comme cela. Peut être pas tous, mais la plupart sont tellement affectés par la propagande parce qu’ils travaillent au sein de ces organismes, parce qu’il y a une forte pression.

J’ai une amie qui est allé manifester, même pas une vraie manifestation, un « piquet de grève » je crois qu’on dit ici. Elle était seule, c’est une artiste, elle avait fait une peinture sur laquelle elle avait écrit « *** ***** » pour signifier « Non à la guerre » [нет войне] car le mot « guerre » est interdit maintenant. Vous pouvez être arrêté pour ça. Elle m’a dit que beaucoup de monde était venu la remercier. Mais ensuite, la police est arrivée et ils l’ont emmenée au commissariat. Ils ont commencé à lui mettre beaucoup de pression, à lui poser tout un tas de questions : ce qu’elle pensait de Poutine, ils voulaient lui faire dire qu’elle était une opposante. Elle a essayé de ne rien dire, de rester silencieuse, parce que... c’est toujours mieux de ne pas les provoquer. Tout mot qui n’a pas pour objectif de soutenir Poutine peut être pris comme un acte de trahison.

Aujourd’hui elle est libre. Mais au-delà de mon amie seulement, je voudrais la liberté pour tous les prisonniers politiques en Russie, car ils sont emprisonnés illégalement. Quand on sait comment les choses se passent dans les prisons russes, c’est absolument horrible. Je pense que les gens, après avoir passé du temps dans une prison russe, en sortent pire encore qu’avant leur entrée. Même pour des criminels, ce qu’ils subissent en prison, c’est insensé. Ils sont violés, torturés... Personne ne mérite ça.

Je pense aussi aux militantes féministes, qui ont longtemps été moquées en Russie, qui n’ont pas été prises au sérieux, aux gens qui disent que les femmes se portent bien et n’ont pas besoin du féminisme, alors qu’il y a toujours tant des cas de violences conjugales. Cette culture de la violence était déjà là, depuis longtemps.

A ce stade, voilà l’issue que je voie au conflit. J’espère, je prie pour que la guerre s’arrête… même si je ne suis pas croyante. Je pense avoir le droit de dire que tout cela n’est pas de ma faute, mais je ressens de la culpabilité. J’essaie de m’en défaire, mais je voudrais dire aux Ukrainiens que je n’y suis pour rien. J’espère vraiment qu’un jour, nous pourrons entretenir de bonnes relations avec l’Ukraine. Mais je ne peux rien exiger d’eux, parce que c’est très difficile, presque impossible, de pardonner. Ce ne sont pas des robots qui peuvent parfaitement faire la différence entre le peuple russe et Poutine, parce que leur situation est tellement terrible. Personnellement, je ne peux pas leur demander de faire cette différence, mais je veux simplement que cette guerre s’arrête.

Toute guerre est inhumaine. Il n’y a aucune bonne raison qui explique cela. Rien n’explique que ces gens doivent mourir. Il n’y en a pas. C’est difficile à croire que tout cela se passe aujourd’hui, surtout entre ces pays. Je veux la paix entre les peuples ukrainiens et russes, tout simplement.

Mais je ne pense pas non plus que ce soient les sanctions contre la Russie qui apporteront la paix. Car ces sanctions affectent d’abord le peuple qui ne veut pas de cette guerre. D’ailleurs les sanctions n’ont pas arrêté la guerre, donc c’est bien qu’elles ne fonctionnent pas à mon avis.

RP : Il y a tout un discours dans les médias occidentaux qui justifie les sanctions et expliquent même que les Russes le mériteraient. C’est un discours « russophobe » assez répandu, est-ce que tu as subi ce genre de discrimination ?

Ici, en France, cela m’est arrivé seulement une fois, dans une conversation personnelle. Heureusement, c’était une seule fois, les autres me soutiennent et m’apportent beaucoup d’aide. Mais, par exemple, mon amie, elle aussi étudiante russe en mobilité à Londres, a subi plus de discrimination. Elle à été victime de menaces, de gens qui lui disaient vouloir tuer des russes, seulement à cause de sa nationalité. Certains cafés lui interdisent même d’entrer, parfois avec des pancartes qui indiquent « un bon Russe est un Russe mort ». C’est horrible, et d’autant plus insensé qu’une personne russophone peut être d’origine ukrainienne. Si les gens qui travaillent au café refusent l’entrée à une personne qui parle russe, cette personne pourrait s’avérer avoir fui la guerre.

RP : Que pouvons-nous faire, ici en France et dans d’autre pays, contre cette guerre, contre Poutine, pour soutenir les peuples et les manifestants russes ?

Je pense que l’information est très importante, plus de monde doit savoir ce qu’il se passe, plus de monde doit en parler. Certaines organisations plus importantes pourraient s’emparer des évènement pour tenter d’avoir un impact sur les évènements. Certains organismes effectuent des missions humanitaires, pour livrer de la nourriture et d’autres denrées. Certains créent des cagnottes pour aider à assurer la défense des gens ordinaires qui doivent faire face à la guerre. Cela pourrait leur sauver la vie. Honnêtement, je ne sais pas comment mettre fin à cette guerre, mais j’espère que tout cela pourra avoir son effet, que nous pourrons enfin y mettre fin.

Le 14 avril partout en France et à Bordeaux, j’ai appris qu’il y aura des rassemblements pour l’inscription et la régularisation des étudiants réfugiés. J’y serai présente pour manifester avec vous et porter ma parole.


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