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Le paradoxe des études de médecine

Une sélection féroce, la pénurie de personnel médical au bout du compte !

Candide Racine Les études de médecine sont réputées longues et difficiles. La compétition est rude, les échecs nombreux, et l’accès inégal en fonction du milieu social d’origine. Des études fermées donc, un paradoxe quand on manque de médecins partout et dans toutes les spécialités. L’origine de ce paradoxe ? Les politiques de santé appliquées depuis les années 70 par nos gouvernements, de droite comme de gauche.

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Un esprit de compétition poussé à l’extrême !


On ne compte que 15% d’admis du premier coup après la première année, 65% échouent après la deuxième année, mettant fin parfois au « rêve de leur vie ». Pour ceux qui ratent leur première année, il faut être bien classé pour pouvoir redoubler, et savoir saisir sa deuxième chance, car le nombre des places est soumis au numérus clausus, défini par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Santé. Il s’agit de sélectionner les meilleurs élèves, d’être rentables, car les études sont payées par l’État, dont on nous répète sans cesse qu’il doit faire des économies. Ainsi, les conditions d’études elles-mêmes sont dégradées, l’enseignement déshumanisé. Pour faire face au nombre d’inscrits en première année avec un seul professeur, dans certaines facs les amphis sont en réseaux, les étudiants d’un seul amphi ont la chance d’avoir le professeur physiquement en face d’eux, les autres ont une projection sur écran, rendant impossible l’interaction élèves professeurs.

Sans parler des TD à 100 étudiants, pour s’entraîner à des exercices de physique ou de biochimie ultra-poussée... Allez progresser dans de telles conditions !

Pour échapper à la sélection de la première année, ou pour retenter leur chance après deux ans d’échec, de plus en plus d’étudiants choisissent donc de partir en Espagne, en Belgique ou en Roumanie, car les diplômes sont reconnus en France.

En France, l’esprit de compétition est redoutable, parfois poussé à l’extrême. C’est la jungle.

Pendant les stages de pré-rentrée, des redoublants – les carrés - tapent sur leurs tables au fond de la salle pour déconcentrer les nouveaux venus – les bizuths - , d’autres en viennent à arracher les pages des manuels pour empêcher les autres de réviser leurs concours. Les intimidations se poursuivent pendant l’année, quand les carrés crient en plein cours, réagissant aux phrases du prof ou insultant gratuitement les bizuths, « Bizuth entend la voix qui t’appelle... ENCULÉ ! » (notez l’homophobie au passage), pratique pour suivre, quand on a un écran en face de soi, et non un prof susceptible de s’interrompre.

Du point de vue des programmes, les élèves font face à un rythme de travail effréné, où il s’agit d’apprendre le plus de choses possibles, de digérer le maximum de connaissances en un minimum de temps, y compris sur des choses qui ne seront pas forcément utiles pour la suite. On demande des connaissances poussées en physique, par exemple. Il est souvent impossible de connaître réellement un cours, il s’agit plutôt d’apprendre par cœur sans comprendre. Les professeurs eux-mêmes n’ont pas le temps de réellement expliquer les cours. La pression des concours mène à un sentiment de culpabilité pour tout loisir, tout temps libre pris sur les heures de travail. La vie sociale est mise de côté.

A la fin de la première année, les concours sont constitués principalement de QCM, avec des questions apprises par cœur, parfois inutiles et dérisoires, comme le pourcentage de morts sur la route depuis 1900... Les études et la sélection prennent un caractère industriel, on forme des machines, soi-disant pour habituer les futurs médecins à résister au stress. Les qualités humaines, pourtant indispensables, ne sont pas prises en compte, ni développées.

L’esprit de compétition est encore maintenu après la première année, car la sixième année est sanctionnée par un deuxième concours, celui de l’internat, dont le classement permet aux futurs internes de choisir leur spécialité et leur ville d’exercice. Si tous seront médecins, ils jouent à ce moment-là leur choix de carrière.


Des études qui ne sont pas accessibles à tout le monde !

Il est possible d’accéder à la deuxième année de médecine sans concours, mais les places sont très chères, et dépendent de passerelles depuis d’autres filières, pas n’importe lesquelles bien sûr, seules les plus « reconnues » sont concernées. Étudier en médecine doit donc se payer ou se mériter. Du reste, les études de santé sont la formation la plus clivante socialement, derrière la prépa, puisque quatre étudiants sur dix proviennent de milieux favorisés. Ceux qui en ont les moyens payent des stages de préparation dès la fin du mois d’août, pour prendre de l’avance pour leur année à venir. Il s’agit de ne pas perdre de temps ! Cependant, ces stages deviennent, peu à peu, une condition, car tout le monde les suit. Dans certaines villes, un système de prépas privées aux concours pour toute l’année, à côté de la fac s’est même développé, et de la même manière, s’y inscrire devient obligatoire dans la mesure où les autres étudiants s’y seront inscrits aussi. De plus, les études de médecine demandent un investissement très important en termes de temps. Les étudiants ne peuvent se permettre de travailler à côté et doivent rester de nombreuses années dépendant financièrement de leurs parents. Ce à quoi on peut ajouter les dépenses pour les études elle-même, qui nécessitent des livres onéreux...!

Une pénurie de personnel qui mène à de mauvaises conditions de travail


Durant l’internat, moment où ils préparent leur thèse, les jeunes hospitaliers sont relativement peu payés compte tenu du nombre d’heures travaillées, les législations ne sont respectées nulle part, et les internes offrent en fin de compte une main d’œuvre bon marché. 85% travailleraient plus que les 48 heures réglementaires, autour de 60 heures par semaine, ajoutant à leurs heures de service normal des gardes la nuit et des astreintes le week-end.

Dans les professions libérales, on a une forte pénurie de médecins généralistes dans toute la France, particulièrement dans certaines régions comme la Picardie, la Creuse ou le Limousin. De même, si la capitale compte suffisamment de médecins, l’Île-de-France devient un désert médical, car beaucoup partent vers des régions plus attractives en raison des coûts d’installation trop élevés. Et si le nombre de médecins augmente d’une manière générale, le chiffre est augmenté par le nombre de généralistes qui continuent à exercer après l’âge de la retraite. En conséquence, certains praticiens sont débordés, le prix des consultations augmente, rendant difficile l’accès aux soins pour les plus précaires. !

Ces conditions d’exercice difficiles sont largement imputables aux politiques « austéritaires » appliquées dans le domaine de la santé par les gouvernements successifs. En l’absence d’alternative politique suffisamment crédible à l’extrême gauche, ces politiques d’austérité exercent une pression aboutissant à ce que les médecins libéraux tendent à se battre pour leurs intérêts propres, défendant les valeurs de l’exercice libéral, en lien avec la logique méritocratie dont nous avons déjà parlé. A contrario, la défense des conditions d’exercice des médecins pourrait aisément s’articuler avec celle des intérêts des usagers, en s’opposant au système de santé actuel, et en défendant une médecine entièrement publique, gratuite, exercée dans les centres de soins financés par la sécurité sociale.!

Il faut ajouter à cela un manque de personnel dans les hôpitaux, à la fois de personnel sans qualification particulière, mais aussi de médecins spécialistes, anesthésistes ou réanimateurs par exemple, mais aussi d’ophtalmos ou de gynécologues. D’où un délai d’attente parfois interminable pour les patients qui veulent obtenir une consultation, des fonctionnaires débordés, surchargés de travail, avec en plus des moyens réduits, notamment en équipements. Les hôpitaux publics sont d’autant plus touchés par la pénurie que certains se tournent vers les cliniques privées, pour bénéficier de meilleures conditions de travail. Un paradoxe après les conditions d’études que nous avons décrites, et l’application du numerus clausus. Mais ce dernier trouve son sens dans les politiques austéritaires qui s’appliquent depuis les années 70 dans la santé, puisqu’il a été créé pour réduire le nombre de prescriptions et ainsi les frais de sécurité sociale, en limitant le nombre de praticiens en activité.

La pression demeure donc importante, alors que les études difficiles poussent plutôt à une logique de reconnaissance, un esprit méritocratique : celui qui a souffert doit être récompensé. Pourtant, les rythme difficiles, les lourdes responsabilités, le sentiment d’une absence de considération, dans un système où la santé devient une industrie devant faire face à des coupes budgétaires toujours plus importantes, mène à l’épuisement et au désespoir. Vérité peu évoquée, le taux de suicide dans le milieu médical avoisine le triple de celui de la population générale en France.


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