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Tribune libre

« Veiller sur mes parents » : quand La Poste marchandise le lien social

Nous relayons ci-dessous un article publiée par Lily La Fronde, directrice artistique et illustratrice free-lance, ex-factrice estivale en zone rurale de 2008 à 2010. Creusoise de cœur et d'origine extradée à Paris.

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Tous les bons manuels de marketing vous le diront : « Il ne faut pas vendre ce que l’on fabrique, mais fabriquer ce que l’on peut vendre ». En la matière, le tout nouveau service de La Poste « Veiller sur mes parents » est exemplaire. Avec cette offre, mise en place dans le cadre de son plan stratégique « La Poste 2020 : Conquérir l’avenir », le groupe aux capitaux 100% publics ne fait, pourtant, que rendre payant un service que les facteurs ont toujours rendu aux usagers gratuitement, et le plus naturellement du monde.

ET LA POSTE INVENTA… LE LIEN SOCIAL MONÉTISÉ

Lancé en novembre 2016 dans certaines régions pilotes, le service « Veiller sur mes parents » étendu à tout le territoire depuis le 22 mai dernier, a pour objectif, en apparence plutôt louable, de rompre l’isolement des personnes âgées. Sur le site de La Poste, on découvre l’alléchante offre de lancement : une visite par semaine à vos parents, effectuée par un facteur, dans le cadre de sa tournée, vous coûtera la modique somme de 19,90 € par mois. Quatre visites vous coûteront 99,90 €, et six visites par semaine, le top du top, 139 € par mois. En contrepartie, La Poste enverra un facteur ayant suivi une formation de trois heures « co-construite avec le gérontopôle des Pays de la Loire » (ou suivie par internet), discuter 5 à 10 minutes, montre en main, avec votre vieux papa et/ou votre vieille maman.

Dans un billet publié sur LindkedIn, le PDG du groupe La Poste, Philippe Wahl, ne cache pas son ambition de faire de son entreprise un acteur majeur de la « silver économie », l’économie des seniors. Sa récente prise de participation majoritaire dans la société Axeo Services, un réseau de 180 agences spécialisées dans l’aide à domicile, traduit d’ailleurs la volonté du groupe de transformer sa branche services-courrier-colis en société de services de proximité. Son postulat est que l’enjeu premier du marché des vieux est leur indépendance dans le « bien vieillir ».

IDÉOLOGIE MARCHANDE

Dans le spot télé, tout droit sorti du gulliver des publicitaires d’Havas (groupe Bolloré), une vieille dame, apprêtée, dans un appartement accessoirisé par l’inévitable combo chats-en-porcelaine-mots-fléchés-portrait-du-mari-décédé, repense à ce temps où les enfants « gardaient les parents à la maison »… Offusquée, elle, n’aurait « jamais voulu ça ! » Et, tout en sortant la porcelaine du dimanche pour servir un café au jeune facteur venu veiller sur elle, elle ajoute en le fixant dans le blanc des yeux (attention, séquence émotion) : « Et puis, je t’ai toi, Jean ! Non mais c’est vrai, ça me fait plaisir quand tu passes me voir… » Instant de convivialité, chaleur humaine, complicité intergénérationnelle ; tous les ingrédients 100% mièvrerie sont réunis pour séduire quelques seniors prescripteurs et déculpabiliser leurs enfants ingrats, partis bosser dur à la ville loin de leurs parents vieillissants.

Sur le pas de la porte, prêt à enfourcher son vélo, Jean, le facteur, pianote sur son téléphone le message suivant : « J’ai rendu visite à votre mère. Elle va bien. » Waouh. Alors ça, c’est de la veille… Ma foi, ça fait un peu cher, le SMS, non ? Il est vrai que passer soi-même un coup de fil à ses parents pour s’enquérir de leur état est une affaire bien complexe, pire, qui peut être sacrément chronophage.

Et est-ce qu’on peut seulement savoir si une personne « va bien » après l’avoir vue 5 minutes ? On n’ose imaginer ce qu’il adviendra des facteurs, qui devront rendre des comptes à leur hiérarchie en cas de bourde. De quoi écoperont-ils pour n’avoir pas su détecter que papi couvait un AVC ? D’un blâme, d’une mise à pied ? Mais non, impossible. Si c’est payant, c’est que c’est sérieux, rassurez-vous…

L’idéologie marchande est si bien ancrée dans les esprits, que la banalisation de l’incitation à dégainer notre carte bancaire pour tout, même pour payer du lien social, semble choquer de moins en moins. Pourtant, recherche de profit et service public n’ont jamais fait bon ménage, et par cette monétisation du contact humain, La Poste passe en force de l’autre côté du virage qu’elle a largement amorcé depuis les années 1990 avec la fin des P.T.T., le grignotage de ses monopoles par le grand marché européen, l’ouverture à la concurrence du marché du courrier, et la prise en charge de la direction par des managers aux dents longues.

QUAND J’ÉTAIS FACTRICE

La preuve, en image, après une grosse journée de travail (et oui, j’étais majeure…)
Née en 1987, j’ai grandi sans internet, ni même le téléphone. Parmi tous les métiers que j’ai exercés une fois adulte, celui de factrice fut l’un des plus valorisants socialement. Trois années de suite, en 2008, 2009 et 2010, étudiante, j’ai remplacé des facteurs en congés ou en arrêt maladie, pendant mes vacances scolaires. J’ai pu constater de l’intérieur leur inquiétude, et la dégradation de leurs conditions de travail, au moment charnière du changement de statut de La Poste en société anonyme à capitaux publics… À coup de CDD de trois à quatre semaines, j’étais salariée du bureau de poste de la ville où j’ai grandi, La Souterraine, petite commune de 5900 âmes, au nord-ouest de la Creuse.

Pour lire la suite sur le blog de Lily La Fronde


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