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Édito

Vertbaudet. La CGT veut « nationaliser le conflit » : à quand une mobilisation nationale pour les salaires ?

Ce mardi à Paris, la CGT a affirmé sa volonté de « nationaliser » la grève des Vertbaudet pour les salaires, devenue le symbole d’une colère qui ne faiblit pas. Mais par-delà l’enjeu d’une solidarité nationale avec ces grévistes, c’est la question d’une mobilisation nationale et interprofessionnelle, liant bataille des retraites et pour les salaires, qui devrait être à l’ordre du jour.

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Vertbaudet. La CGT veut « nationaliser le conflit » : à quand une mobilisation nationale pour les salaires ?

Crédit photo : Revolution Permanente. Sophie Binet, le 23 mai, au rassemblement de solidarité avec les grévistes de Vertbaudet. Paris

Ce mardi, les grévistes de Vertbaudet appelaient à un grand rassemblement de soutien devant le siège d’Equistone, fonds d’investissement et premier actionnaire du groupe, dans le 16ème arrondissement de Paris. À des centaines de kilomètres du piquet installé il y a plus de 9 semaines devant l’entrepôt de Marquette-lez-Lille, appuyées par la CGT au niveau confédéral, ces femmes qui ont relevé la tête pour les salaires et la dignité ont voulu donner un écho national à leur mobilisation.

Des retraites aux salaires, une colère qui ne faiblit pas et s’affronte au mépris patronal et gouvernemental

Si les grévistes de Vertbaudet ont pour revendications principales une augmentation de salaires d’au moins 150 euros, l’embauche des intérimaires et le paiement des jours de grève, les racines de la colère sont profondes. Pour ces femmes précaires, payées au SMIC et souvent à temps partiel pour pouvoir s’occuper de leur foyer, la colère a explosé dans le cadre de la mobilisation de la réforme des retraites le 20 mars dernier.

« Tout est lié : non seulement on n’a pas été augmentées alors que l’entreprise se porte bien et en plus l’État nous demande de travailler deux années supplémentaires. Deux ans supplémentaires au SMIC, deux ans supplémentaires à se détruire la santé comme on le fait. C’est un travail qui nous fatigue physiquement, on se tue et on ne vit même pas de notre travail », explique Manon Avion, déléguée CGT Vertbaudet, contactée par Révolution Permanente.

Une mobilisation de près de deux mois, face à laquelle le patronat refuse toujours de céder, alors qu’il peut compter sur des coups de main réguliers de la police. « On a eu des réunions de fin de conflit qui ont mené à rien du tout : rien qui ne justifierait un retour au travail » explique la syndicaliste. Ces dernières semaines, après avoir embauché des intérimaires pour casser la grève, la direction a convoqué presque quotidiennement la police sur le piquet pour réprimer les grévistes, à grand renfort d’interpellations violentes. « On est maltraitées par les CRS et par l’entreprise » s’émeut Manon, loin d’être démoralisée : « à part des augmentations de salaires, rien ne nous fera reprendre le travail […] Lundi après-midi on a eu une AG et on a reconduit la grève. C’est intolérable ce qui se passe, mais la détermination est intacte. ».

Ainsi, la lutte des Vertbaudet synthétise l’expérience que des millions de travailleuses et de travailleurs ont fait ces derniers mois : d’une mobilisation déclenchée par la combinaison explosive de la réforme des retraites et des bas salaires jusqu’à la répression, en passant par le mépris insoutenable d’un gouvernement et d’un patronat qui veulent nous faire payer la crise. Une combinaison d’éléments qui a fait des grévistes de Vertbaudet le visage d’une colère que le passage en force du gouvernement n’est pas parvenu à briser, rendant visible la troisième vague de grèves pour les salaires qui déferle dans toute la France.

La CGT veut « nationaliser le conflit » : au-delà des déclarations d’intention, il faut un plan

Prenant acte de ce grand potentiel subversif de la grève des Vertbaudet dans un contexte où la question des salaires devient de plus en plus brûlante, la CGT a décidé d’en faire une « priorité nationale », a expliqué ce mardi Amar Lagha, secrétaire général de la fédération commerce. Fraîchement élue à la direction de la confédération, Sophie Binet était au rendez-vous ce mardi, au côté de nombreux soutiens syndicaux, politiques et féministes, dont des travailleurs du Réseau pour la grève générale.

« Aujourd’hui, nous nationalisons le conflit » a-t-elle annoncé devant les caméras. Ayant initié une tribune féministe en soutien aux Vertbaudet signée par de nombreuses personnalités, la dirigeante de la CGT a souligné la dimension féministe de la grève : « Votre lutte, elle est symbolique lorsque le mépris de classe se cumule au sexisme ». Accompagnée de nombreux dirigeants syndicaux et politiques, elle a expliqué : « avec la CGT, nous posons un ultimatum : si d’ici vendredi il n’y a pas d’accord de fin de conflit trouvé avec les grévistes sur leurs trois points de revendications, nous allons franchir un nouveau cap. Les 600 000 syndiqués de la CGT se mettront en lutte pour soutenir les grévistes de Vertbaudet. »

Un appel progressiste, après des mois d’absence des dirigeants confédéraux sur les piquets de grève et alors que l’intersyndicale n’a cessé d’entretenir une division artificielle entre lutte pour les retraites et lutte pour les salaires. Après s’y être fréquemment refusé ces derniers mois, CGT rappelle qu’elle est capable de mettre des forces nationalement dans le soutien à des grèves locales, comme celle des Vertbaudet. Un appel qui consiste pour le moment en actions de solidarité locales, sur le modèle de celle qu’a mené cette semaine l’union départementale CGT des Bouches du Rhône qui a envahi un magasin de l’enseigne avant de le placer en « sobriété énergétique ».

Il faut rompre avec le « dialogue social » et appeler à une mobilisation nationale pour les salaires

Mais pour réellement « nationaliser » le conflit de Vertbaudet, le meilleur outil serait de chercher à généraliser la grève dans tout le pays. Des points d’appui existent alors que de nombreuses grèves se déclarent ces derniers mois pour les salaires. Chez Tisséo, une grève reconductible inédite de 4 jours aura par exemple lieu du 30 mai au 2 juin. Chercher à étendre de tels mouvements, à les généraliser à l’ensemble des entreprises autour d’un programme revendicatif commun, serait un outil décisif dans le rapport de forces avec le patronat, pour arracher des victoires pour l’ensemble de notre classe.

Or, si la CGT agite récemment la revendication de l’indexation des salaires sur l’inflation, elle se refuse à poser la perspective d’une lutte d’ensemble pour les salaires, articulée à la bataille des retraites toujours en cours. Interviewée par Mediapart sur l’opportunité d’un mouvement national pour les salaires, Sophie Binet expliquait ainsi récemment : « Les retraites et les salaires, ça ne fonctionne pas du tout pareil : les salaires, le premier interlocuteur, c’est le patron, donc il y a des mobilisations dans les entreprises sur les lieux de travail directement en lien avec les négociations salariales. Mais un mouvement national interprofessionnel sur les salaires, c’est beaucoup plus rare et quasiment jamais vu ».

Lire aussi : Enquête. Une troisième vague de grève pour les salaires déferle dans toute la France

Un discours qui laisse entendre qu’il serait impossible de construire une lutte nationale et de coordonner la nouvelle vague de grèves pour les salaires apparue avec le mouvement contre la réforme des retraites. Ce serait pourtant la meilleure façon d’en finir avec la division boîte par boîte instaurée par les contre-réformes, face à laquelle il faut opposer un effort volontariste. Et sur ce terrain, de la même façon que l’intersyndicale n’a pas obtenu le retrait de la réforme des retraites en le demandant poliment au gouvernement, nous n’obtiendrons pas d’augmentation massive de salaire et l’indexation des salaires sur les prix en priant le gouvernement de le faire dans des réunions à Matignon.

En ce sens, il y a urgence à rompre avec le « dialogue social » pour construire un plan de bataille. Comme le soulignait le 17 mai devant Matignon Laura Varlet, cheminote et membre du Réseau pour la Grève Générale (RGG), à propos de Vertbaudet : « cette grève montre que, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, les grèves pour les salaires, ce n’est pas boite par boite qu’on va les gagner. Il va falloir qu’on soit organisés et qu’on se coordonne pour exiger l’augmentation générale des salaires et leur indexation sur l’inflation, et c’est dans une lutte nationale que ça doit se pose ».

Dans cette optique, l’intersyndicale devrait commencer par faire du 6 juin, une grande date de mobilisation contre la réforme des retraites et pour les salaires. Une perspective qui implique de rompre pour de bon avec la logique de division des luttes entretenue par les directions syndicales depuis le début du mouvement et de chercher à construire des ponts entre le combat pour l’indexation des salaires sur l’inflation et des augmentations de salaires et la lutte pour nos retraites. Un tel appel pourrait servir de point d’appui pour commencer à coordonner par en bas les luttes en cours et ouvrir la voie à un second temps de la mobilisation entamée le 19 janvier dernier.

Cette tâche est d’autant plus importante qu’un tel programme serait le seul capable d’unir réellement notre classe. Après plus de quatre mois de mobilisation, et alors que l’intersyndicale ne masque plus sa volonté de tourner la page, nous ne pouvons plus nous contenter d’attendre qu’elle dessine un réel plan de bataille. C’est autour de cette nécessité que s’est notamment forgé le Réseau pour la Grève Générale. Un réseau qui continue de vivre et de structurer autour de cette tâche centrale de coordonner les conflits.


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