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Interview

Victimes de l’amiante : pour un procès pénal des responsables

Aujourd'hui, en France, des milliers de personnes continuent à mourir chaque année du fait des maladies liées à la présence d'amiante dans les bâtiments. Bien que l'amiante soit interdite depuis 1996, les opérations de désamiantage sont loin d'être achevées, faute d'avoir réellement commencé. Pour l'ouverture d'un procès au pénal contre tous les responsables de ce scandale sanitaire, l'Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante (ANDEVA) appelle à manifester à Paris le 9 octobre. Edward Tisser, ancien ouvrier électricien victime de l'amiante et militant à l'ANDEVA, revient sur les origines de ce scandale et les perspectives actuelles de lutte. Propos recueillis par Dom Thomas.

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Depuis quand connaît-on la nocivité de l’amiante ?

Les maladies dues à l’amiante sont inscrites au tableau des maladies professionnelles de la Sécurité Sociale dès sa création en 1945.

En 1974-1976, les ouvrières de l’usine de filage et de tissage d’amiante Amisol, à Clermont-Ferrand, ont engagé le combat et 80% des ouvrières ont été reconnues en maladie professionnelle.

La plupart des premières plaintes au pénal ont été déposées en 1996 (Jussieu, Amisol). En 2005, suite à la mobilisation de victimes de l’amiante, le ministère de la Justice a regroupé l’ensemble des plaintes concernant l’amiante au pôle judiciaire de santé publique, par la circulaire du 12 mai 2005. A la suite de cela, le Parquet a ouvert les deux premières informations judiciaires du dossier, le 12 décembre 2005.

Qui sont les responsables de cette catastrophe sanitaire ?

Les responsables de ce scandale sont multiples. Les premiers sont bien sûr les industriels de l’amiante, qui, tout en étant au courant des conséquences, ont produit et diffusé le produit cancérogène.

Mais il faut leur adjoindre tous ceux qui ont siégé au Comité Permanent Amiante, ou reçu ses largesses. Le Comité Permanent Amiante est un lobby financé par les industriels de l’amiante, qui a permis à ces derniers de gagner treize années de profits (de 1982 à 1995), et donc de continuer d’empoisonner durant treize ans.

Par ailleurs, sont également responsables tous ceux qui avaient pour mission d’assurer la sécurité sanitaire des salariés, c’est-à-dire les employeurs et ceux qui ont mis en place une politique visant à nier les dangers de l’amiante. Des centaines de procédures en indemnisation ont conclu à l’existence de fautes inexcusables des employeurs, ce qui veut dire que le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS) indique clairement dans ses jugements que les maladies ainsi que les décès par cancer dus à l’amiante sont consécutifs à une négligence de l’employeur.

Enfin, l’Etat, dont la responsabilité devrait être d’établir des textes de loi pour protéger la santé publique et de veiller à ce qu’ils soient appliqués, n’a clairement pas joué ce rôle.

L’ANDEVA milite pour un procès au pénal. Pourquoi ce mot d’ordre ?

Pour te répondre, je vais me baser sur le Bulletin de l’ANDEVA n°49, paru en septembre 2105. L’association écrit ainsi :

« Afin que l’on n’oublie jamais l’ampleur de cette catastrophe sanitaire sans précédent, il faut se rappeler quelques chiffres : aujourd’hui en France, 10 morts chaque jour tués par l’amiante, 3000 à 5000 morts par an, 100.000 morts prévus pour les deux prochaines décennies ».

Ramenés à un territoire à taille humaine, par exemple la ville de Dunkerque (90.000 habitants, un port de commerce ayant eu des chantiers navals prospères, de la métalurgie Usinor, transport maritime, la Normed…etc), la réalité de ces chiffres est très explicite. Dans le même bulletin, on peut également lire :

« L’Ardeva (association des victimes de l’amiante) de Dunkerque comptait 50 veuves en 2003, elles étaient 140 lors de la première marche pour la justice contre l’oubli en décembre 2004, elles sont malheureusement 608 aujourd’hui. »

Comment comprendre la croissance exponentielle de cette hécatombe ? L’amiante n’est-elle pas interdite depuis 1996 ?

Dans le tome 2 de son rapport n°2884, l’Assemblée Nationale a reconnu que l’on compte en France « 80 kilogrammes d’amiante par habitant » et que « l’amiante est indestructible ». Il y a eu très peu de désamiantage et on trouve de l’amiante partout (amiante-ciment, dalles au sol, colles, flocages, formica, etc). Tant qu’on n’aura pas enlevé puis neutralisé cette amiante, il y aura malheureusement des morts et encore des morts.

L’ANDEVA lutte pour un monde sans amiante, et écrit encore :

« Nous voulons éviter à nos enfants de devoir à leur tour manifester dans les rues après avoir été empoisonnés. C’est aussi une question de dignité. Les ouvriers n’auraient-ils pas droit au respect et à la dignité ? Nous rappelons aux ministres du travail et de la santé que nous sommes dans un état de droit où la vie humaine à un prix, il faut que tous ceux qui la mettent en péril en bafouant la loi soient sanctionnés et rendent des comptes à la justice.

Tant que tous les responsables de la catastrophe sanitaire de l’amiante n’auront pas de compte à rendre à la justice, les empoisonneurs actuels et futurs n’auront pas à s’inquiéter. Récemment la Cour de cassation elle-même a légitimé l’annulation des mises en examen des hauts fonctionnaires, des politiques et des principaux membres du Comité permanent amiante (CPA), dans le dossier Condé-sur-Noireau. Le même jour la cour a cassé les arrêts de la chambre de l’instruction pour Jussieu et Normed. Jusqu’à présent, selon la justice, il n’y aurait rien à reprocher aux membres du CPA, ils auraient bien agi pour la prévention.

C’est un permis de tuer en toute impunité qui leur est délivré. Nous exigeons le procès pénal de l’amiante en France, tous ces malades, toutes ses souffrances, tous ces morts, toutes ces familles anéanties, personnes ne nous fera croire que c’est dû au hasard. »

La justice protège ainsi les politiques, comme par exemple de Martine Aubry, ancienne Ministre du Travail, dont la mise en examen a été annulée en juin 2014.

Dans ce Bulletin, l’ANDEVA dit aussi : « En France, la justice recherche et punit les assassins ordinaires. Mais, quand il s’agit d’une catastrophe sanitaire comme celle de l’amiante qui anéantit des dizaines de milliers de vies humaines, l’homicide de masse reste jusqu’à ce jour impuni.

En France, en avril dernier, la cour de cassation a validé l’annulation des mises en examen des membres du CPA et de la haute administration. Cet arrêt a été reçu comme un coup de massue par les victimes de Condé-sur-Noireau, décimées par l’amiante de Ferodo-Valeo. Elle conforte ainsi le travail de sape de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris. C’est une véritable faillite de l’institution judiciaire qui refuse de juger les hauts dirigeants qu’ils soient industriels, administratifs ou politiques. Le premier procès pénal de l’amiante avait été annoncé pour 2015. Dix-neuf ans après le dépôt des premières plaintes, l’année finira sans qu’il ait commencé. Et quand ce procès aura lieu - s’il a lieu - le risque est grand de ne voir au banc des accusés que des chefs d’établissements et aucun des principaux responsables. »

L’ANDEVA a raison : « il faut juger les responsables d’une tragédie qui continuera à tuer pendant plusieurs décennies ». C’est pourquoi nous irons manifester le 9 octobre 2015 à Paris.

Cette société, qui basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme, fera tout pour défendre les exploiteurs. L’ANDEVA doit comprendre que pour avancer dans sa lutte de justice sociale, il lui faut lutter ouvertement pour une autre société, plus humaine plus juste, une société où l’on prend en compte le droit au respect et à la dignité pour l’ouvrier. Pour cela il faut en finir avec la société capitaliste et brandir haut et fort le drapeau de la révolution sociale.


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