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Interview et regards croisés, de la révolution tunisienne au mouvement contre la loi travail

[Vidéo] « Chronique d’un révolté », le regard d’un jeune cinéaste tunisien sur la mobilisation contre la loi travail

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Nader fait partie de ces jeunes qui étaient en pleines révisions du baccalauréat quand le processus révolutionnaire a éclaté en Tunisie, en décembre 2010. Avant même de s’orienter vers des études en cinéma, il avait alors filmé de près, avec des copains, la mobilisation ayant conduit à la chute de Ben Ali. Aujourd’hui, alors qu’il achève ses études à Paris, fasciné par le travail de Chris Marker, c’est avec la même volonté d’observer de ses propres yeux l’élan de contestation en cours qu’il a suivi les manifestants et les « Nuit-Deboutistes », caméra au poing. Il est alors témoin des violences policières, mais également des débats qui, place de la République, lui rappellent cette envie de « tout changer » qui animait les tunisiens à l’aube du printemps arabe.

Propos recueillis par Flora Carpentier

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Comment en es-tu venu à filmer la mobilisation contre la loi travail ?

L’idée, c’était de voir de mes propres yeux comment les choses se déroulaient, et pas seulement au travers des médias. Je n’habite en France que depuis quelques mois et je ne suis pas impliqué dans la mobilisation comme je l’avais été dans la révolution en Tunisie. Mais j’avais envie de comprendre ce que c’était que cette loi travail et comment les gens ici allaient se mobiliser. Je ne sais pas si ça ira jusqu’à la révolution, mais j’ai ce projet de filmer le processus jusqu’à la fin. L’idée n’est bien sûr pas de comparer ce qu’il a pu se passer en Tunisie et ce qu’il se passe ici, mais en tout cas je suis curieux de voir si ça va marcher ou pas. Pour faire une révolution, il n’y a pas de formule magique. Chez nous ça s’est fait très spontanément. Ici on sent que c’est bien organisé, quand on va à République on voit qu’il y a toute une logistique, même si je ne suis pas sûr que c’est ça qui soit déterminant. J’ai aussi participé à des AG à la fac, malheureusement je n’avais pas mon matériel pour filmer à ce moment-là, c’est un peu ce qui manque dans la vidéo. Par contre j’ai filmé les graffitis dans la rue, et sur les murs de la fac. C’est un bon moyen de transition entre deux fragments de vidéo, mais ça permet aussi de montrer que les murs s’expriment aussi, comme ce message « le coup d’état d’urgence c’est maintenant », filmé sur les bords de Seine.

Ta vidéo montre une scène très brutale de violence policière, tu es choqué par cette répression ?

Dans cette scène à laquelle j’ai assisté, c’est clairement les policiers qui ont déclenché la confrontation avec les manifestants. Ils se sont installé presque au milieu de la foule, place d’Italie, donc c’est normal qu’il y ait eu une réaction de la foule. On se demande même si ce n’est pas une stratégie de leur part pour provoquer ce genre de situation. Parce qu’à chaque fois c’est la même chose. Alors c’est vrai que parfois il y en a qui viennent pour casser, mais le plus souvent j’ai remarqué que ce sont les flics qui déclenchent les situations tendues. J’ai vu ce manifestant blessé à la tête, et j’ai eu peur. En Tunisie il y en a beaucoup qui ont perdu une jambe, un bras, un œil, ou même qui sont morts juste pour une manifestation. En France, ils n’en sont pas encore à tirer à balles réelles, mais rien qu’un impact au niveau de la tête, on peut en mourir, donc ça fait peur.

J’ai constaté que les policiers sont très bien organisés, rien que leur équipement fait peur. Il m’arrive de me demander comment j’aurais pu, si j’avais été flic, gazer et frapper, c’est un truc que je ne comprends pas. Je me demande s’ils arrivent à dormir après ça. C’est vraiment choquant, cette violence contre des gens qui manifestent, qui expriment leurs revendications… pourtant c’est un droit ! Alors j’ai envie de dénoncer cette violence qui peut entraîner des conséquences terribles. En Tunisie, je me souviendrai toujours de ceux qui ont sacrifié un bout de leur corps ou leur propre vie, pour un moment de liberté et d’espoir, mais à quel prix ! Ici à Paris, la même chose peut arriver : un œil crevé, un projectile sur la tête… comment ne pas dénoncer des gestes pareils !

C’est un parti pris de ne pas avoir montré ceux que les médias appellent les « casseurs » ?

Oui, parce qu’ils sont une minorité. Je ne nie pas qu’ils existent et pour moi ce qu’ils font, c’est problématique parce que ça amène la foule à se diviser, alors que marcher tous ensemble dans une même rue, c’est ça qui est impressionnant et c’est ce qu’il faut.

Mais il y a aussi des flics infiltrés, et les médias ne montrent pas la réalité. Aujourd’hui, on ne peut plus les croire, parce qu’ils sont rachetés par les grandes entreprises. Quand on voit les grandes chaînes comme France 24, BFM TV, elles appartiennent à des gens pour qui il est dans l’intérêt de ne montrer que les casseurs, pour dire que ce qu’ils sont en train de faire c’est pas bien, que ce ne sont que des jeunes qui ne savent pas ce qu’ils font, et faire croire qu’ils sont là juste pour s’amuser. Alors c’est peut-être utopique, mais quand j’ai filmé, il y a un gars qui m’a dit qu’il aimerait que tout le monde jette sa télé à la poubelle pour venir parler dans la rue, voir ce qu’il s’y passe vraiment. Parce que si on ne regarde que la télé, il va être difficile de mobiliser les gens qui ne manifestent pas encore, et ils sont nombreux dans ce cas-là. Mais ça va venir, j’y crois.

Quand tu as filmé les débats à Nuit Debout, qu’est ce qui t’a interpellé ?

A République, j’ai parfois entendu des gens dire qu’ils ne voulaient plus qu’il y ait un gouvernement qui dirige le pays. Ces mots-là, pour moi ça veut dire qu’ils veulent la révolution, un changement complet de système. Ça me replonge dans cette atmosphère de révolution que j’ai vécue en Tunisie. Alors je trouve intéressant de voir comment ça se passe ici, comment les gens s’organisent et avec quels moyens. Place de la République, « el kasbah » en Tunisie, « là où le dialogue se fait », chaque parole a sa place. Je trouve intéressant de filmer ce lieu d’échange.

Tu as commencé à filmer dans le processus révolutionnaire en Tunisie, tu peux nous en parler ?

En Tunisie, c’est différent. La police tire à balles réelles sur la foule. Quand tu filmes dans ce genre de moment, t’as l’impression de ne pas filmer en fait. Parce que t’as toujours la caméra à l’épaule, et dès que ça éclate, la foule c’est comme un tsunami que tu ne peux pas arrêter. Il suffit qu’ils commencent à tirer et tout le monde va commencer à courir. C’est vraiment affreux. Tu es au milieu, en danger, tu vois des femmes, des enfants qui ont plus de mal à courir et qui se font écraser… et par-dessus tout, ils se font attraper parce qu’ils sont à terre.

Mais ici, ils sont encore plus armés qu’en Tunisie. D’ailleurs, il parait qu’au début de la révolution tunisienne, la France de Sarkozy a aidé à équiper les flics tunisiens, pour mieux résister à la protestation. C’est vraiment un scandale.

Tu vois la vidéo comme un moyen de diffuser une information différente de celle des médias ?

Bien sûr, c’est l’avantage de l’audiovisuel et d’internet. La Tunisie a fait sa révolution grâce à Facebook. Ca nous a beaucoup aidés à nous organiser, à nous informer. Sans les réseaux sociaux, je ne sais pas comment on aurait fait. Pour moi, c’était l’année du BAC, et on voyait des évènements Facebook disant que le lendemain on n’allait pas en cours, pour aller en manifestation. Il fallait vraiment le faire parce que quitter les cours pendant le BAC, alors qu’on avait envie de réussir nos examens, c’était pas évident de s’en convaincre. Mais on s’organisait à travers Facebook et finalement les cours étaient annulés, tout s’arrêtait. Les réseaux sociaux permettent de diffuser un autre point de vue, un peu plus libre que celui des médias. Malheureusement, aujourd’hui en Tunisie tout est redevenu comme avant, finalement ce sont les mêmes qui sont restés au pouvoir. C’est pour ça que c’est important de ne rien lâcher.


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