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Poudre aux yeux

Violences de genre. Pas besoin d’un audit pour savoir que la police ne nous protège pas

L’ouverture du « grenelle de lutte contre les violences conjugales » a décidément tout d’une mascarade. Parmi les mesures cosmétiques annoncées par Édouard Philippe, un audit dans 400 commissariats, pour « identifier les dysfonctionnements » : mais pas besoin d’une enquête pour voir que c’est tout un système qui dysfonctionne.

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La semaine où s’ouvrait le très médiatisé grenelle de lutte contre les violences conjugales, orchestré par Marlène Schiappa, le seuil tragique et hautement symbolique des 100 féminicides commis depuis le 1er janvier 2019 était franchi. Entre autres mesures cosmétiques, visant à redorer l’image d’un gouvernement fortement délégitimé, et qui veut faire croire qu’il a « changé », Édouard Philippe a annoncé que « le ministre de l’Intérieur lancera dès cette semaine un audit de 400 commissariats et gendarmeries. Cet audit sera ciblé sur l’accueil des femmes victimes de violences conjugales, et se poursuivra en 2020, pour identifier très précisément les dysfonctionnements et les corriger ».

Mais nul besoin d’un audit pour comprendre que le problème ne vient pas de « dysfonctionnements » qu’il s’agirait de corriger à coups de formation et de quelques psychologues. Les féminicides sont l’ultime expression, la plus dramatique, d’une violence de genre qui fait système, et à laquelle la police est loin d’être étrangère.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les chiffres donnés par l’Observatoire national des violences faites aux femmes. En moyenne, le nombre de femmes victimes de violences (physiques et/ou sexuelles) de la part d’un conjoint ou d’un ex est estimé à 219 000 par an. Et ce chiffre est déjà bien en deçà de la réalité, puisqu’il ne prend pas en compte les femmes sans domicile, ou qui vivent en foyer par exemple, ni ne préjuge du nombre de femmes qui taisent ce qu’elles subissent, car pour les victimes de violences, le silence est souvent la règle.

Parmi ces centaines de milliers de femmes, seules 19 % déclarent avoir porté plainte. Et les raisons sont nombreuses : la peur tout d’abord. Peur de celui qui les bat, les agresse, les viole. Peur de se retrouver à sa merci une fois la plainte déposée, de se retrouver seule, sans foyer, souvent dans une situation de précarité dramatique.

Mais aussi la peur de ne pas être crue, de ne pas être entendue. Car sur les milliers de plaintes enregistrées chaque année, 2 sur 3 seront classées sans suite. Les témoignages de femmes qui se sont rendue dans des commissariats sont édifiants. Elles y font face à une indifférence crasse – au mieux – et ressortent bien souvent plus humiliées encore qu’elles n’y sont entrées. Le Tumblr Paye ta police recense les témoignages concernant les remarques sexistes, l’alimentation de la culture du viol et les mécanismes de culpabilisation des femmes qui ont court dans les bureaux de la police et de la gendarmerie.

Par exemple : « Mon ex conjoint me frappe, j’appelle la police. Au bout du fil on me demande ce qu’il se passe. J’explique que mon conjoint vient de me frapper, qu’il est encore là, je donne mon nom, adresse, tél. On me demande si je veux une intervention. Mon ex conjoint arrache les fils, je n’ai jamais vu la police…Mon ex conjoint violent débarque chez moi après la séparation. J’appelle la police, mon ex tente de m’arracher le téléphone, je le dis au policier à l’écoute. La réponse ? “ce n’est qu’un téléphone, laissez le lui…” et il raccroche. » Ou encore : « “Nan mais est-ce que sexuellement il était satisfait avec vous ? Et niveau repas, vous cuisinez bien ? Parce que vous savez, un homme qui ne mange pas très bien et qui est insatisfait sexuellement, ça rend nerveux…C’est peut être pour ça qu’il a dit ça.” Je venais déposer l’équivalent d’une main courante à la gendarmerie pour menaces de mort de la part de mon désormais ex-conjoint, dans un contexte de violence psychologique, d’insultes… ».

Des témoignages qui ne sont pas sans rappeler la scène vécue par Emmanuel Macron lui-même dans un centre d’écoute pour femmes victimes de violence, et où un gendarme avait tout bonnement refusé d’accompagner l’appelante qui voulait récupérer ses affaires chez son ex-compagnon violent.

Ces chiffres et cette multitude de témoignages – bien plus parlants qu’un audit gouvernemental – démontrent que le problème n’émane pas de quelques « brebis galeuses » parmi ceux qui sont censés « garder la paix ». Le problème est autrement plus profond, et ne se résoudra certainement pas par une meilleure formation et la présence de quelques psychologues. Car la police n’est pas, et ne sera jamais, notre alliée. Comment penser que la solution aux violences de genre viendra d’hommes et de femmes qui portent le même uniforme que ceux qui ont tué Zineb Redouane ?

Au Mexique, des milliers de personnes ont manifesté dans les rues pour dénoncer une police qui, loin de les combattre, alimente les violences de genre. Une colère qui s’est exprimée au son de : « Ils ne nous protègent pas, ils nous violent ! ».

Car de la France au Mexique, c’est l’institution policière dans son ensemble qui est en cause, lorsqu’il s’agit de violences. Une institution dont le rôle premier est de réprimer, de matraquer, voire de tuer, mais certainement pas de protéger. En témoignent les milliers de femmes et d’hommes victimes de la sanglante répression qui s’est abattue sur le mouvement des Gilets jaunes ces derniers mois.

C’est en ce sens que les mesures annoncées lors du Grenelle ne sont pas seulement des mesures cosmétiques. Elles révèlent en réalité toute l’hypocrisie d’un gouvernement qui précarise toujours plus les femmes par ses mesures anti-sociales telles que la réforme des retraites, qui donne des ordres aboutissant sur la mutilation de centaines de manifestants, mais qui récupère à son compte une lutte nécessaire contre les violences faites aux femmes pour tenter de relégitimer une police qui blesse et qui tue.

Ainsi, pour celles et ceux qui se mobilisent contre les violences de genre, dont les féminicides sont l’expression la plus dramatique, la perspective n’est certainement pas de négocier une meilleure formation des forces de répression auprès de Marlène Schiappa. Comme nous ne pouvons pas laisser la vie et la santé de nos sœurs, amies, mères entre les mains de la police, nous devons nous organiser indépendamment de l’État et de sa police, exiger des lieux où les femmes (et les éventuels enfants) victimes de violences puissent être immédiatement accueillies et que leur soit proposé un logement, des aides financières pour s’éloigner de leur agresseur, être en sécurité et pouvoir se reconstruire.

S’organiser pour lutter en toute indépendance de l’État et de ses institutions, c’est lutter contre ce gouvernement qui a du sang sur les mains et qu’un hypocrite Grenelle ne parviendra pas à laver.

Crédit photo : Suvann


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