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La Izquierda Diario
28 de décembre de 2017 Twitter Faceboock

Notre Histoire
103 ans après la grève "du pain et des roses"
Celeste Murillo

Une tâche d’encre se répand sur un tissu parce qu’elle imbibe profondément ses fibres. Une action décisive transforme ses protagonistes parce qu’elle pénètre, comme la tache sur un tissu, profondément la fibre de leurs vies. Telle est l’histoire des femmes de Lawrence.

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La grève de Lawrence

Il y 103 ans, dans une ville appelée Lawrence, dans l’Etat de Massachusetts aux Etats-Unis, bien loin des fêtes du jour de l’An, les ouvrières du textile ont initié une grève connue plus tard sous le nom de la grève "du pain et des roses". Elle aboutira à la réduction du temps de travail, à l’augmentation des salaires et la reconnaissance des femmes par les syndicats.

La première décennie du 20ème siècle s’est ouverte sur une vague de grèves aux Etats-Unis, concentrée dans le secteur du textile, l’industrie en pointe de l’époque. Les journées de travail interminables, les salaires de misère et les conditions de travail inhumaines ont déclenché de nombreuses grèves.

En 1908 les ouvrières de l’industrie de l’habillement de Chicago ont mené une grande campagne pour la réduction du temps de travail et l’amélioration des conditions de travail. L’année suivante, en 1909, New York a connu la première action ouvrière de grande ampleur de son histoire, lancée par des "jeunes filles" qui n’avaient pas 20 ans et dirigée par la "vétérante" Clara Lechmil, âgée de 23 ans. Puis, 1911 a été l’année de la fameuse grève du textile qui termina en désastre, par l’incendie provoqué par les propriétaires de la Triangle Shirtwaist Company.

Le jour de l’An en 1912

Le jour de l’An, bien loin des banquets des familles riches, les travailleuses et travailleurs de Lawrence se sont mis en grève. Quelques jours auparavant une nouvelle législation qui réduisait le temps de travail de 56 à 54 heures par semaine pour les femmes et les mineurs de moins de 18 ans avait été votée.

L’industrie du textile employait de la main d’œuvre immigrée, féminine et infantile. Plus de la moitié était des femmes et beaucoup d’entre elle étaient mineures. Elles luttaient sous la bannière de la conquête du pain (symbole des droits sociaux en matière de travail) et des roses (symbole de l’exigence de meilleures conditions de vie).

L’immense majorité des ouvrières de Lawrence n’était pas organisées en syndicats, la AFM (American Federeation of Labor, centrale syndicale officielle) affiliant seulement les ouvriers qualifiés, autrement dit, des hommes blancs. Ainsi, l’industrie textile était totalement désorganisée.

Organisation et lutte des classes : les femmes au front

Au cœur de la grève était engagée la IWW (Industrial Workers of the World), l’une des premières organisations ouvrières qui a encouragé les femmes ouvrières à occuper des postes dirigeants et qui s’est battu pour des méthodes de lutte démocratiques. Elle a tenté de suivre la trace de l’organisation des "Chevaliers du travail", qui avait inauguré la tradition des syndicats mixtes (ouverts aux ouvriers blancs et noirs) et l’intégration des femmes.

Le 10 janvier eut lieu la première réunion au sein de la IWW, où mille ouvrières, qui venaient de recevoir leur chèque avec un salaire moindre (à cause de la réduction du temps de travail) décidèrent d’appeler à la grève. Des heures plus tard, tout était en marche. Les premières à se mettre en grève étaient les ouvrières polonaises du Everett Mill, le 11 janvier, et le 12 suivirent celles de American Wollen Company (une des entreprises les plus importantes). Et le mouvement s’est étendu à la majorité des ateliers.

Un comité de grève a été élu, comprenant 56 titulaires et 56 suppléantes pour remplacer le groupe titulaire au cas où il serait arrêté, fait commun pendant les grèves. Le comité représentait toutes les nationalités, au sein des réunions on pouvait entendre parler 25 langues et 45 dialectes, et il y avait des interprètes pour chacun d’entre eux. Tous les jours, avaient lieu des assemblées générales à la fin de la journée où l’on faisait un bilan et où l’on discutait des prochains pas à suivre pour le succès de la lutte.

Les deux premières mesures votées étaient : caisse de grève et piquet massif autour des usines. Les affrontements avec la police et les milices du gouvernement local étaient chaque fois plus violents et il devenait difficile de bloquer l’entrée des briseurs de grève. Finalement, il a été décidé de former une ligne "infinie" autour des ateliers, un piquet tenu 24h/24 et qui bougeait constamment. Il était ainsi impossible d’entrer dans l’usine.

Quelques semaines plus tard, les dirigeantes sont arrêtées, accusées d’incitation à la violence, suite à la mort d’une ouvrière. La IWW envoya Elizabeth Gurley Flynn, Jog Hill et Carlo Tresca pour remplacer les dirigeants emprisonnés.

De nouvelles mesures pour encourager la participation féminine

Le nouveau comité de grève mis en place des garderies et cantines collectives pour les enfants des ouvrières. Les mesures visaient à faciliter la participation des femmes. Se tenaient aussi des réunions non-mixtes, nécessaires pour combattre le machisme chez les ouvriers, y compris chez les militants. Elizabeth Gurley Flyenn, d’un enthousiasme déterminant, a été un élément moteur de cette politique.

La IWW s’adressait aussi en particulier aux enfants, qui subissaient des attaques à l’école et dans leur quartier, la ville étant alors très divisée autour de la grève. Peu à peu, se mirent en place des réunions des enfants du syndicat ainsi qu’une école où se discutaient les revendications de la grève. La mesure eut tant de succès qu’elle fut à nouveau mise en place au cours de la grève de Paterson de 1913.

En raison de la violence croissante, les enfants furent envoyés dans d’autres villes, où ils ont été hébergés par des familles solidaires du mouvement. Dans le premier train, il y avait 120 garçons. Au moment où le second train s’apprêtait à partir pour New York, la police déclencha une répression inouïe dans la gare. Cet épisode donna à la grève un écho national, dans la presse et au Parlement.

Tout le monde parlait de Lawrence. Les dirigeants de la centrale syndicale officielle durent se prononcer mais il ne soutinrent pas la grève : ils qualifièrent les ouvrières de gauchistes, d’anarchistes et de révolutionnaires et ne voulaient pas entendre parler de comité de grève. Mais les ouvrières de Lawrence pouvaient compter sur un soutien énorme. Il y eut des meetings de solidarité dans tout le pays. Les universités voisines, comme la prestigieuse Harvard, comportaient des comités étudiants qui participaient à la grève et qui, s’ils étaient amenés à sécher leur examens, se les voyaient valider d’emblée par l’université. Les étudiantes des universités de femmes ont collecté de l’argent, diffusé la lutte et voyagé à Lawrence pour participer directement au comité de grève.

La diffusion large, la détermination des ouvrières et la peur que la grève ne s’étende ont amené les patrons à céder : ils ont accepté la réduction du temps de travail et l’augmentation des salaires. Après une longue lutte, qui a duré presque tout l’hiver, le 12 mars, la grève "du pain et des roses" devint l’une des premières victoires du mouvement ouvrier aux Etats-Unis. Le 30 mars, les enfants des travailleuses rentraient à Lawrence.

La victoire ne se limite pas aux revendications. Elle a bouleversé l’idée de comment lutter pour gagner. L’histoire du mouvement ouvrier prend souvent le visage d’un homme aguerri. Or les femmes ont passé des jours et des nuits à se battre, aux côtés de leurs camarades, et des grèves comme celle de Lawrence sont bien là pour nous le montrer.

 
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