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La Izquierda Diario
22 de avril de 2015 Twitter Faceboock

Le plus grand cimetière marin
Des morts par milliers en Méditerranée. Des massacres commandités par l’Europe
Enea Rossi

De nouvelles tragédies ont secoué ces derniers jours la mer Méditerranée. Nous n’avions pas encore fini de pleurer les 300 morts du naufrage du 14 avril qu’un nouveau massacre a eu lieu dans la nuit du 18 et 19, dans le canal de Sicile, entre la Libye et l’Italie. Les gardes-côtes italiens parlent de 700 à 900 morts. Le 20, c’est un bateau transportant au moins une centaine de migrants qui s’est échoué en Grèce, près de Rhodes. Des massacres, donc. Il faut en effet appeler les choses par leur nom. Il s’agit bien de massacres et non de fatalités tragiques. Mais ce sont des massacres commandités par les lois sécuritaires et répressives de l’Union Européenne et les gouvernements nationaux contre ce que Bruxelles et nos gouvernants continuent à nommer « immigration irrégulière ».

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Aucune fatalité

Ces catastrophes humanitaires sont en effet la conséquence directe de la fermeture des frontières de l’UE décidées par nos classes dirigeantes. L’accès au territoire est ainsi interdit à l’immense majorité des personnes qui fuient les guerres et la misère par rapport auxquelles les politiques impérialistes européennes portent une lourde et sanglante responsabilité. Comment nier les responsabilités de nos dirigeants dans le chaos libyen ? Comment nier les responsabilités de l’impérialisme dans les guerres et conflits actuels, passés ou latents en Côte d’Ivoire, en Irak, en Syrie, ou encore en Somalie ?

Se trouvant dans l’impossibilité de rentrer de manière régulière en Europe, les centaines de milliers de personnes qui fuient ces théâtres de violence sont contraintes d’emprunter des routes de plus en plus longues et périlleuses. La grande majorité paie, pour le trajet vers l’Europe, fait de plusieurs étapes, jusqu’à dix fois plus que ce que couterait un billet d’avion Paris-Bamako ou Le Caire. Mais aucun visa ne leur ayant été concédé, ces migrants sont contraints de risquer leur vie. L’Europe les condamne ainsi à se faire exploiter, dérober, violer, et souvent à laisser leur vie dans les mains des trafiquants sans scrupules qui font de la traite des êtres humains leur secteur de l’économie de marché.

L’immigration irrégulière, une hypocrisie criminelle

Depuis des années, après chaque tragédie, les dirigeants européens organisent des réunions « d’urgence » pour lutter contre les réseaux et les passeurs et contre « l’immigration irrégulière ». Mais qu’est-ce que l’immigration irrégulière sinon le produit de la fermeture des frontières et de la criminalisation de toute immigration ?

La véritable lutte contre l’immigration irrégulière, ce serait la légalisation de la migration tout court. Mais ce n’est pas la direction que les dirigeants européens veulent prendre. Au contraire, on les entend déjà parler de lutte contre les passeurs, de blocus militaire des côtes nord-africaines, de renforcement des contrôles… autant de mesures qui provoqueront encore d’autres massacres de populations en mouvement.

Mare Nostrum et Triton

Depuis le début de l’année, au moins 1 650 personnes sont mortes pendant la traversée de la Méditerranée, et la « belle saison » vient tout juste de commencer. C’est en effet pendant le printemps et l’été que les naufrages se multiplient, car de meilleures conditions climatiques permettent aux passeurs de multiplier les départs massifs. Cependant, les candidats à la traversée sont trop nombreux, les navires ne sont souvent que de simples canots peu adaptés à la navigation en haute mer ou de vieux chalutiers destinés à la casse et absolument surchargés. Il faut donc s’attendre à une multiplication des naufrages.

L’année 2014 avait déjà vu le nombre de morts en Méditerranée atteindre un chiffre record : 3 400, ce qui fait de cette mer la route migratoire la plus dangereuse et meurtrière du monde alors que les embarcations se perdent à quelques milles seulement des côtes d’Europe occidentale. 3 400 morts donc, en dépit de l’Opération Mare Nostrum, alors en vigueur.

Mare Nostrum était une mission « humanitaire », pilotée par la marine militaire avec les gardes-côtes et les douanes italiennes et mise en place par le gouvernement d’Enrico Letta en novembre 2013 comme réponse aux naufrages du mois d’octobre au cours desquels avaient perdu la vie plus de 600 personnes alors qu’elles essayaient d’atteindre les côtes de la péninsule.

Tout en reposant sur le principe de contrôle, par les militaires italiens, des eaux territoriales du canal de Sicile, entre l’île de Lampedusa, notamment, et les côtes libyennes, la tâche principale de la mission n’était pas la sécurisation des frontières, mais le secours et le sauvetage des personnes en mer. Mare Nostrum aurait ainsi permis, selon les chiffres de ministère de l’Intérieur, de porter secours à plus de 100 000 migrants, dont 6 000 mineurs, ce qui n’a pas empêché qu’après le passage par la case centre de rétention, un certain nombre soit expulsé. La mission, néanmoins, a été arrêtée fin octobre 2014. Le gouvernement Renzi dénonçait son coût trop élevé, avoisinant les 10 millions d’euros mensuels, et n’avait aucune intention de continuer à la financer sans une aide financière ultérieure de la part de l’UE. D’autre part, au sein même du gouvernement et sur sa droite, mais également au sein des autres exécutifs européens, nombre de voix accusaient Mare Nostrum de constituer un facteur d’attraction vers l’Europe pour d’autres migrants et de jouer un rôle de « passerelle » entre les côtes nord-africaines et l’UE.

Ainsi, Mare Nostrum a été remplacé en novembre 2014 par la Mission Triton, plus modeste dans son financement (2,8 millions d’euros), mais surtout encadrée par l’agence européenne Frontex, Triton n’ayant pas pour but la sauvegarde de vies humaines. La seule mission de Triton est, à nouveau, la sécurisation des frontières et la lutte contre l’immigration irrégulière.

La seule solution, en finir avec l’Europe-Forteresse

Face à l’ampleur de ces tragédies, il est impossible de réclamer, comme le fait Laura Boldrini, personnalité emblématique de la gauche italienne et présidente de la Chambre des députés, un retour à Mare Nostrum, précisément en raison du caractère hybride, mi-humanitaire, mi-militaire, de l’Opération, qui ne faisait que confirmer les présupposés des massacres en mer, passés et actuels. Ce qui est en jeu n’est pas l’impératif de sauver des vies en Méditerranée. La question, c’est de le faire conséquemment, en remettant en cause les principes mêmes des politiques xénophobes et sécuritaires qui blindent les frontières de l’Europe, ne laissant aucun autre choix aux centaines de milliers de migrants qui fuient guerres, persécutions et violences, que de traverser des déserts dans lesquels ils meurent par milliers ; d’être parqués, pendant de longues périodes, dans des zones spéciales aux mains de trafiquants, en Libye, en Égypte ou au Maroc, où ils sont volés, violés, détenus, torturés, soumis à toute sorte de sévices et de discriminations en attente d’un départ, avant, donc, d’être livrés aux réseaux de passeurs qui, à leur tour, après les avoir rackettés, les amassent sur des embarcations de fortune sur lesquelles le seul espoir est de rejoindre les côtes siciliennes ou maltaises après plusieurs jours à la dérive ou d’être interceptés par un navire commercial ou un bâtiment de guerre de la marine italienne. La traversée n’est qu’une étape, quand on y survit, avant de subir les discriminations, les violences et les violations des droits humains, en fonction de l’arsenal répressif pour lequel ont légiféré nos « représentants » politiques.

Pour le mouvement ouvrier et la jeunesse, en période de montée de l’extrême droite et de renforcement des politiques sécuritaires à nos frontières comme à l’intérieur du territoire national, la solidarité de classe avec nos frères et sœurs migrants devrait être une nécessité politique, en plus d’être un impératif humain. Ce n’est pas un retour à Mare Nostrum qu’il faut exiger, mais la fin de toute criminalisation de l’immigration et l’instauration du droit à la liberté de circulation ; la fin des politiques des visas, qui ne laissent d’autre choix que celui d’affronter de longs et périlleux voyages et contraignent les migrants, qui ont eu la chance de survivre à la traversée, à survivre, par la suite, avec le non-statut de travailleurs sans-papiers ; l’ouverture des frontières, afin de garantir la liberté d’installation de toutes les personnes devant fuir, pour une raison ou pour une autre, leur pays ; la réaffectation des budgets alloués aux politiques de contrôle et de répression des migrations aux programmes favorisant l’insertion sociale et économique des personnes qui s’installent en Europe ; la régularisation de tous les sans-papiers et l’octroi, à tous les étrangers, des pleins droits de résidence et de citoyenneté.

 
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