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La Izquierda Diario
28 de février de 2018 Twitter Faceboock

Contre la sélection à l’université
Construire un mouvement étudiant massif, auto-organisé et radical, oui c’est possible : une réponse aux camarades de la MIFA
Georges Camac

« Tout bloquer devient Vidal ! » : c’est le titre d’un texte paru sur Lundimatin qui appelle à rompre avec les mots d’ordre de la massification et de l’Assemblée Générale. S’il faut reconnaître au texte qu’il pointe un certain nombre de critiques justes, les alternatives qu’ils proposent ne sont pas vraiment convaincantes.

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Le 4 décembre 1986, la jeunesse remplit les rues de Paris à travers un défilé géant de 8 km de long entre la Bastille et les Invalides, pour crier « non » au projet Devaquet. Photo Patrick Kovarik/AFP

« À chaque début de mobilisation, c’est la même rengaine » : c’est ainsi que commence ce texte paru sur Lundimatin et signé par le collectif pour la création de la M.I.F.A (Mouvance Inter-Facs Autonome). Certes, à force d’essayer de pousser chaque embryon de mobilisation face à chaque attaque des classes dominantes, les organisations « traditionnelles » du mouvement étudiant ont parfois tendance à s’enfermer dans une certaine routine militante : les mêmes tracts, les mêmes formules, les mêmes têtes aussi. Et à ce titre, le sang frais apporté lors des poussées du mouvement, comme lors de la loi travail en 2016, malgré son audience relativement restreinte, apporte souvent un certain renouveau des méthodes d’organisation et de lutte. Mais c’est d’autre chose dont il est question dans le texte des camarades de la M.I.F.A. : celui du scepticisme, et même du refus, du développement d’un mouvement étudiant massif, auto-organisé et radical.

Sur la massification d’abord. Certes, dans un contexte où le mouvement étudiant n’a pas connu de grand mouvement depuis de nombreuses années, évoquer le spectre du mouvement de masse à chaque attaque contre l’université, à chaque AG dépassant les quelques dizaines de personnes, peut parfois sembler un peu dérisoire. Mais d’une part, la critique est un peu facile, quand on pense par exemple au rôle qu’ont joué les militants qui ont fait l’effort de sensibilisation et de conviction des étudiants durant la loi travail pour lancer la mobilisation. D’autre part, si on conviendra que « le nombre n’est pas le seul rapport déterminant du rapport de force », qu’il ne doit pas s’opposer à la radicalité du mouvement, il est la condition nécessaire, sine qua non pour espérer voir reculer – ou encore même tomber – un gouvernement. Pour faire plus, justement, que la mobilisation contre la « loi travail » qui n’a jamais réuni plus que quelques dizaines de milliers d’étudiants, et qui – doit-on le rappeler – a abouti sur une défaite, qui continue de peser aujourd’hui sur les consciences et pèse à la baisse sur la mobilisation.

Ce qui n’empêche pas que la massification puisse trouver d’autres voix que le traditionnel réunion-tract-barrage filtrant qui peut avoir ses airs rébarbatifs. Il est vrai que parfois, une action « coup de poing », bien mesurée, un blocage, peut servir à discuter, à convaincre et à donner de l’allant, sous réserve qu’il se garde de toute logique « avant-gardiste », qu’il se pense comme une radicalité qui crée des ponts plutôt que des barrières, comme a pu être le cortège de tête durant la mobilisation du printemps 2016. « Si nos actions « gênent » d’autres étudiant·e·s, cela nous montre de quel côté de la barricade illes se situent » : on ne peut que déplorer cette opposition, omniprésente dans le texte, entre la masse et l’avant-garde. D’une part, parce qu’elle évacue tous les déterminants sociaux et familiaux qui fait qu’on se mobilise ou pas : par exemple la pression qui pèse sur les épaules d’un étudiant populaire, qui n’a souvent pas le loisir de rater un cours ou une année, parce qu’il touche une bourse, parce qu’il doit trouver un emploi rapidement, parce qu’il pense que l’université est le « seul moyen de s’en sortir ». Cette idéalisation de l’avant-garde, parce qu’elle ne cherche pas à comprendre les moteurs des mobilisations, ne peut conduire qu’au scepticisme du mouvement de masse. La défaite étant assurée, l’action ne peut plus avoir qu’un contenu de révolte sporadique et contenu dans le temps et l’espace, une libération d’énergie brutale qui, sans objectif, ne peut mener qu’à l’épuisement et à la démoralisation.

Rien d’étonnant donc à ce que le deuxième partie du texte, après avoir pris en grippe la massification, soit consacrée à une critique de l’auto-organisation et des assemblées générales. Encore une fois, c’est une porte ouverte à peu de frais par le texte. Si les « AG » ne doivent pas être fétichisés et ne représentent, dans des contextes de faible mobilisation, qu’une tribune politique pour les militants déjà organisés (dont les « autonomes » au sens large en profitent bien souvent par ailleurs), il en est tout autre quand le mouvement se massifie. Elle est la condition par laquelle le mouvement peut se fixer ses propres objectifs au cœur de la lutte, et c’est bien pour ça que les bureaucrates les fuient comme la peste quand elles commencent à prendre de l’ampleur, contrairement à ce qu’affirment les camarades dans leur texte. Il suffit de penser aux Coordinations Nationales Etudiantes durant la loi travail qui, après avoir dépassé le stade de représentation des étudiants déjà organisés, avaient commencé à devenir un cadre de direction alternatif du mouvement que la direction de l’UNEF ou de l’UEC ont tout fait pour faire disparaître et avaient fini par boycotter, par exemple en tentant de saboter la nomination d’un porte-parolat issu de la coordination. Un cadre de coordination qui avait permis de fixer un calendrier alternatif aux directions syndicales et même de faire monter la pression pour construire le mouvement. Un rôle que n’a jamais pu jouer un mouvement comme « Nuit Debout » par exemple, parce que ce cadre était organisé sur une participation « citoyenne » libre et pas sur celui d’un secteur en lutte. Or, de ce point de vue, ce que propose le texte, c’est bien d’abandonner le terrain du mouvement de masse aux « réformistes » en se contentant d’organiser les franges les plus radicales et minoritaires du mouvement, qui plus est d’une manière individualisante et minorisante.

50 ans après mai 68, nous pensons que l’idée d’un mouvement étudiant massif est toujours d’actualité. C’est cette masse qui, durant le « joli mois de mai », avait permis de développer une radicalité jamais vu depuis : les barricades et les batailles rangées avec la police dans le quartier Latin. Surtout, c’est cette masse auto-organisée qui avait permis d’être l’étincelle de l’embrasement du mouvement ouvrier, dépassant ses directions syndicales et entraînant la grève générale la plus massive de l’histoire de l’Occident. Un summum de radicalité qui a un nom : une situation révolutionnaire. C’est ce rôle que peut et doit jouer le mouvement étudiant aujourd’hui, et c’est à travers cette perspective que nous devons développer la mobilisation aujourd’hui, notamment en prévision du 22 mars, une date symbolique de lancement de Mai 68, et de convergence prometteuse entre étudiants, cheminots et fonction publique. Mais cela suppose effectivement qu’il soit massif, auto-organisé et radical.

 
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