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14 de mai de 2015 Twitter Faceboock

Caraïbe
Hollande en « campagne » aux Antilles. Quand les colons parlent d’esclavage
Philippe Alcoy

Du 8 au 12 mai François Hollande a fait une « tournée » dans la Caraïbe. En cinq jours le président français a visité six îles, dont Haïti et Cuba. L’ambiance était celle d’une campagne électorale. Très rare pour un président parmi les plus impopulaires de la Ve République, il a même eu droit à quelques « bains de foule ». Au milieu de son déplacement, Hollande a inauguré en Guadeloupe le Mémorial ACTe sur l’esclavage, hypocrisie étatique qui n’a pas manqué de créer des polémiques.

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Les premiers pas de Hollande dans les Antilles ont été pour les îles à milliardaires Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Dans ces territoires, où aux élections présidentielles de 2012 on a voté à 82% et 48,5% respectivement pour Sarkozy, Hollande a su conquérir son public de « luxe ». Il a ainsi annoncé plus de gendarmes pour que les « immigrés illégaux » venant des îles voisines « se tiennent tranquilles » et quelques cadeaux fiscaux. Les encouragements accompagnaient si bien les promesses à ces milliardaires que le président qui impose l’austérité aux « sans dents » s’est vu obligé de déclarer sur un ton blagueur : « Si le ministère des finances était là, il commencerait à s’inquiéter de ces propos ».

Mais cette lune de miel hollandiste s’est un peu prolongée en Martinique et Guadeloupe, où d’autres séries de « selfies » et de bains de foule l’attendaient, sans que cela ne relève d’une prouesse du gouvernement. Ces territoires, ancrés à gauche, sont en effet traditionnellement « fidèles » au Parti Socialiste et à ses partenaires. En 2012, près de 70% des électeurs votaient PS ; aux élections départementales de mars dernier 75% ont voté à gauche.

Cependant, il ne faut pas se tromper quant à la réalité de cette popularité antillaise de l’Elysée. C’est en Guadeloupe qu’est né le grand mouvement de lutte populaire pour des augmentations de salaires et contre la vie chère de 2009 dirigé par le LKP (Collectif Contre l’Exploitation) d’Elie Domota. La situation n’a presque en rien changé depuis. Et les frustrations et nécessités des classes populaires locales sont immenses. Même d’un point de vue électoral ce soutien massif au PS masque le fait que la moitié des électeurs ne s’était pas déplacé pour voter en 2012.

On peut donc se demander jusqu’à quel point il ne s’agit pas plutôt d’une opération de communication pour une équipe Hollande qui prépare déjà la campagne pour les présidentielles de 2017.

Un mémorial sur l’esclavage, avec quel objectif ?

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». C’était en juillet 2007 à Dakar que Nicolas Sarkozy exposait ainsi sa vision raciste de l’histoire. On peut dire que face à un tel discours, odieux sous tous les angles, on voit, au moins sur ce plan, une différence de méthode entre Hollande et le sarkozysme. Mais méthode différente ne veut pas dire objectif différent. Aussi bien l’UMP que le PS et les autres partis bourgeois, servent par différentes stratégies un seul et même objectif profondément réactionnaire : protéger et élargir les privilèges et intérêts de l’impérialisme français, à commencer par son premier pré-carré colonial que constituent les territoires « français » d’Outre-mer. De façon à rompre, en revanche, avec un Sarkozy qui n’avait pas été reçu, lors de ses déplacements, par Aimé Césaire, alors maire de Fort-de-France, Hollande a choisi de pousser son opération de communication jusqu’au bout en insistant, au cours de son déplacement, sur la condamnation de l’esclavage.

C’est ainsi que le 10 mai dernier Hollande inaugurait le mémorial sur l’esclavage ACTe à Point-à-Pitre, en Guadeloupe, un immense espace de 7000 mètres carrés dédiés à l’esclavage, un projet certes inauguré (même si pas tout à fait fini) sous ce gouvernement PS mais qui avait été planifié depuis plus de trente ans, relancé sous Chirac mais mis en suspens sous le mandat de Sarkozy.

« On ne peut changer l’Histoire », déclarait François Hollande le lundi 12 mai à Haïti. Par contre on peu la réécrire, l’adapter à sa guise. Et à y regarder de plus près les discours qui entourent l’inauguration de ce musée, on s’aperçoit qu’il y a une tentative d’institutionnaliser la mémoire de l’esclavage et de l’adapter à la République afin de servir l’objectif de la réconciliation « nationale ». Ainsi, le président de la région Victorin Lurel, cacique local du PS, déclarait : « [le mémorial] ne sera pas un centre pour chercher qui a tenu le fouet (...) On veut un centre de commémoration, de célébration et de réconciliation ».

Un des enjeux centraux du mémorial c’est de dissimuler ou en tout cas de relativiser toute responsabilité du colonialisme et de l’impérialisme français dans la traite négrière en gommant la spécificité et la centralité de l’esclavagisme européen au cours de la période pré-capitaliste et industrielle. Comme le souligne, en effet, la presse hexagonale, « l’exposition permanente du Mémorial ACTe aurait pu se concentrer sur l’histoire qui intéresse en premier lieu les Guadeloupéens et les Caribéens : celle de l’esclavage et de la traite négrière transatlantique. Il n’en est rien. L’histoire de l’esclavage y est abordée dans sa globalité, de l’Antiquité à nos jours ». Pour ce qui est de la traite négrière transatlantique, encore pour minimiser le rôle des européens, le musée a fait le choix de mettre en avant le rôle des marchands négriers africains.

Dans cette ligne et avec son cynisme habituel Hollande a décidé d’évoquer « l’esclavage moderne ». Ainsi, dans un de ses discours il affirmaitque « la traite d’êtres humains trouve une nouvelle vigueur. De nouveaux négriers monnaient des cargaisons humaines. Des passeurs criminels en Méditerranée remplissent des bateaux d’êtres humains. Des terroristes qui en Syrie, en Irak ou au Nigeria capturent des innocents, le plus souvent des femmes, pour les vendre ou les posséder et qui s’inventent des prétextes religieux pour justifier leurs crimes ».

Hollande, à la tête de l’un des pays impérialistes les plus puissants au monde, dont l’Armée viole des enfants et des femmes, bombarde et tue des populations entières à travers la planète, veut nous faire croire que les principaux responsables pour les milliers de migrants noyés chaque année en Méditerranée ou encore des violences subies par les femmes seraient seulement les passeursou les groupes islamistes ? On veut vraiment nous prendre pour des imbéciles.

Exproprier la bourgeoisie béké et l’impérialisme, la seule réparation qui vaille

En plus de la mémoire de l’esclavage, une thématique chère à la population locale et de toute la région, l’autre grand argument pour justifier la construction de ce coûteux mémorial (83 millions d’euros) a été la perspective d’attirer 300 000 touristes par an.

Mais tout cela n’est que spéculations pour le moment. Et ces promesses ont du mal à passer parmi une population frappée par des conditions de vie très difficiles. En effet, on y compte entre 30% et 33% de chômeurs (60% parmi les moins de 25 ans), le coût de vie y est bien plus élevé qu’en métropole et on y trouve un taux d’illettrisme honteux de 25%.

Dans ce contexte, on comprend que la question des réparations de la part de la France ait suscité autant de débats. C’est pour cette raison également que Hollande a dû esquiver autant que possible ce sujet épineux pour l’impérialisme français. D’ailleurs, à Haïti, Hollande n’a pas bénéficié de bains de foule. Bien au contraire, son discours a dû être interdit au public et des manifestants réclamant des réparations ont été tenus à l’écart.

Quoi qu’il en soit, des réparations (très improbables d’ailleurs, voire illusoires) n’auraient qu’un impact très limité pour les masses dans le cadre du système capitalisme dominé par une poignée de puissances impérialistes. En effet, la meilleure réparation pour les populations descendantes des esclaves et pour l’ensemble des classes populaires ne serait autre que l’expropriation de l’impérialisme et de la bourgeoisie locale, à commencer par les descendants des maitres esclavagistes, les békés.

Pour cela il faudrait reprendre le chemin de la lutte et mobilisations populaires de 2009 mais avec des forces redoublées et des objectifs qui aillent bien au-delà des légitimes revendications salariales. Ce serait la seule façon d’exercer un droit réel à l’auto-détermination, de lutter pour la mise en place de gouvernements ouvriers et populaires dans l’objectif de l’instauration d’une Fédération de Républiques Socialistes de la Caraïbe.

13/05/15.

 
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