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26 de mai de 2015 Twitter Faceboock

Quand l’Etat bourgeois tombe le masque
Répression et tournant bonapartiste dans la France de Hollande et Valls

Comité de Rédaction

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« Si je suis condamné, je ne prétendrai pas à d’autres niveaux de jugement en quêtes de sentences plus favorables. Subir une condamnation pour mes opinions est une offense suffisante pour ne pas y revenir avec un autre procès, une autre répétition de mes arguments.
Je continuerai mon opposition derrière le mur prescrit par le jugement. Mon corps est d’accord avec moi, comme d’habitude lorsque j’escalade une paroi. Notre liberté ne se mesure pas à des horizons dégagés, mais à la cohérence entre mots et actions. »

Erri de Luca, La parole contraire, 2014

"La répression ne spécule en définitive que sur la peur. Mais peut-elle suffire à combattre le besoin, l’esprit de justice, l’intelligence, la raison, l’idéalisme, toutes forces révolutionnaires manifestant la puissance formidable et profonde des facteurs économiques d’une révolution ? en comptant sur l’intimidation, les réactionnaires, perdent de vue qu’ils suscitent plus d’indignation, plus de haine, plus de soif de martyre que de crainte véritable. Ils n’intimident que les faibles : ils exaspèrent les meilleurs et trempent la résolution des plus forts."

Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, 1921/1925

Depuis les interdictions de manifester en soutien au peuple palestinien de l’été 2014 jusqu’à la Loi sur le Renseignement en passant par tout ce qui découle de « l’union nationale » post-attentats, l’Hexagone est le théâtre d’un crescendo d’opérations répressives dont le meurtre de Rémi Fraisse a été l’incarnation la plus emblématique. Au cours de cette période, c’est une refonte du paysage politico-idéologique qui s’est esquissée, clairement marquée par un tournant autoritaire de l’exécutif, tirant profit de « l’esprit du 11 janvier ». Aujourd’hui, par-delà les faits, l’enjeu est de tenter de comprendre la nature de ce tournant, lié au bonapartisme dont est génétiquement porteuse la Ve République, mais dans un contexte caractérisé par d’inquiétantes singularités.

« Où va la France » de Hollande et Valls ?

Bonapartisme ? Le terme, au vu du marxisme classique, peut sembler exagérer. Il existe néanmoins toute une gamme de formes et de degrés de bonapartisme, du plus « soft » et « consensuel » au plus dictatorial. Toutes ses manifestations, cependant, sont des expressions de la décomposition et de la crise des mécanismes de représentation démocratico-bourgeois. Toutes indiquent la difficulté ou l’incapacité de la classe dominante à concilier la satisfaction de ses intérêts de classe avec l’ordre « démocratique » le plus classique, même si elle n’a pas recours d’emblée de la solution la plus extrême, la solution fasciste.

La présidence Hollande a d’abord été marquée, dans un contexte de « dialogue social » pratiqué, dans un premier temps, par toutes les centrales, par une politique franchement pro-patronale avec l’ANI puis le Pacte de Responsabilité. Le « gouvernement de combat » emmené par le premier flic de France a ensuite initié au plan politique, sans que cela ne remette en cause fondamentalement la « stratégie de dialogue » (même si les conditions sont telles que les « protestataires », FO ou la CGT, ont dû rompre, au moins sur la forme, avec cette logique) un véritable tournant autoritaire dans l’hexagone, en écho direct au renforcement de l’impérialisme français dans son pré-carré africain d’abord, mais aussi en Irak. Pour ne rappeler que les moments les plus emblématiques, ce furent d’abord les interdictions de manifester en soutien au peuple palestinien, puis, dans la continuité de la contention orchestrée de la résistance à Notre-Dame-Des-Landes, les opérations militaro-policières de plus en plus méthodiques autour de la ZAD du Testet à Sivens, ponctuée fin octobre par le meurtre de Rémi Fraisse. Dans plusieurs grandes villes de France, et notamment à Toulouse, toute une série de manifestations en hommage au jeune militant écologiste et contre les violences policières furent interdites et réprimées dans la foulée, avec leur cortège d’arrestations arbitraires, de procès et de condamnations qui n’en finissent pas, du reste, de tomber.

Sans généraliser excessivement la physionomie locale, Toulouse, qui est depuis cette période au centre de l’attention de l’exécutif, a vu se systématiser de façon inédite – préfecture et Mairie UMP travaillant de concert – une méthode chaque fois améliorée de pacification de la rue, d’encadrement et ou de criminalisation des résistances militantes, complétée d’attaques des droits démocratiques, non seulement de manifester, mais aussi de s’exprimer (interdiction d’un meeting en soutien à la Palestine), sans parler de la volonté de la mairie d’expulser la CGT de son local historique qu’est la Bourse du travail.

Loi sur le Renseignement : vers l’état d’exception permanent ?

Ces éléments marquant laissent pressentir une extension de la logique gouvernementale de criminalisation des luttes, de militarisation de l’espace public, et de répression policière et judiciaire à une échelle plus large que par le passé – en particulier, au-delà des zones de longue date soumises au non-droit de l’arbitraire policier, avec son racisme et son sexisme structurels, que sont les quartiers populaires et les banlieues [1]. Mais à une échelle institutionnelle bien plus vaste et plus profonde, c’est bien la Loi sur le Renseignement qui ouvre maintenant, dans l’évidence, une nouvelle page de l’histoire de France.

Certes une instabilité hégémonique certaine au plan des formations politiques persiste, la déroute chronique du PS n’étant nullement contrebalancée par un leadership quelconque, qu’il émane de l’UMP et des « Républicains » nouvelle vague ou de Marine Le Pen, ni, encore moins, à la gauche du PS et à l’extrême-gauche. Mais le tournant bonapartiste opéré par le gouvernement ne s’en trouve pas moins élargi et renforcé au plan institutionnel, les prérogatives régaliennes et répressives du régime trouvant en l’occurrence à s’élargir, c’est-à-dire à multiplier les moyens d’instaurer, dans ce pays, un état d’exception permanent et un règne de l’arbitraire à une échelle de masse inédite, auto-légitimé en permanence à coup de « sécurité », d’anti-terrorisme et, de nouveau, de « morale républicaine ».

La stratégie de la tension inaugurée par Valls a évidemment des aspects curatifs : apporter un remède à un mal pluriel, le besoin de la bourgeoisie française de passer aux réformes structurelles propices au maintien à tout prix de son taux de profit, compenser la perte croissante, par-delà les oscillations de l’indice de popularité de l’exécutif, de sa légitimité et l’effondrement de sa base sociale qu’est le « peuple de gauche », et enfin, tuer dans l’œuf les résistances particulièrement radicales qui se font jour, dans la jeunesse en premier lieu. Mais elle est également préventive, car elle donne à la bourgeoisie autant des gages de fiabilité qu’un cap politique, elle dessine la voie à emprunter par laquelle toute contestation à venir pourra être contenue.

Toute la Ve république est marquée par ce qu’un certain Mitterrand appelait jadis, contre De Gaulle, un « coup d’Etat permanent », son présidentialisme, le poids de son exécutif et les outils permettant de court-circuiter le parlement, à l’image du 49.3 réactivé il y a peu pour faire passer la loi Macron. Son histoire est scandée par de multiples moments bonapartistes et d’innombrables preuves de son caractère d’Etat policier, par exemple lors de la révolte des banlieues en 2005 et l’Etat d’urgence décrété alors par De Villepin. Les vagues répressives, d’arrestations, de condamnations, mais aussi de meurtres par l’appareil répressif, ne sont pas chose nouvelle. Sans même remonter aux années 60, il suffit d’avoir à l’esprit celui de Malik Oussekine, en 1986, la répression des « émeutes urbaines » de l’automne 1995 lors du grand mouvement unitaire contre le plan Juppé. On peut effectivement rappeler, quantitativement parlant, qu’il y a eu plus de condamnations à de la prison ferme dans le foulée du CPE en 2006 qu’à l’occasion des manifestations interdites depuis l’automne 2014.

Mais la quantité ne fait pas la qualité : outre la Loi sur le Renseignement et le profil d’ensemble qu’imprime actuellement le tandem Valls-Hollande à l’ordre républicain, c’est la première fois qu’un tel tournant bonapartiste s’opère sous un gouvernement PS. Cela reflète non seulement le déplacement général à droite des coordonnées idéologiques dans le pays mais prouve à quel point les sociaux-libéraux, qui n’ont plus rien de même simplement « réformiste », font intégralement partie du camp des classes dominantes. Cela montre également à quel point l’Etat et le régime républicains en France sont l’instrument majeur, par-delà les contradictions qui les travaillent, de la dictature de la bourgeoisie sur le monde du travail, les classes populaires et la jeunesse, brisant les illusions sur sa « nature » démocratique.

Le sang et le feu du pouvoir bourgeois

Mais la répression des luttes n’est ni un hasard ni une question de conjoncture : c’est un volet congénital de l’action des Etats républicano-démocratiques, en continuité totale avec un système économique qui né « dans le feu et le sang », comme le résumait disait Marx dans le Capital. Sans même parler des autres types d’Etats, qui manient le bâton à la moindre occasion, les pays capitalistes centraux dits « démocratiques » (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Italie, France, Allemagne…), ont transformé progressivement au cours des vingt dernières années leurs stratégies policières du maintien de l’ordre, se nourrissant des théories de la contre-insurrection, par vagues juridiques successives, au point de pouvoir maintenant mettre en branle de véritables arsenaux, de l’administratif au létal en passant par le policier et le judiciaire, propres à réprimer de façon industrielle, à échelle de masse [2]. La fin de la guerre froide, polarisée par l’équilibre de la terreur, puis la naissance du mouvement altermondialiste en réaction à l’offensive néolibérale, sont le point de pivot de cette évolution, qui a atteint un premier point culminant avec Gênes en juillet 2001, et qui, depuis le tournant 11 septembre 2001 et le Patriot Act américain aujourd’hui a pu se muer, sous la bannière durable de l’anti-terrorisme, en arme de guerre contre toute forme de subversion. La France, déjà marquée par « l’excellence » mondialement reconnue de sa police et le plan Vigipirate, est donc aujourd’hui tout simplement en train, avec la Loi sur le Renseignement, de se mettre à la page.

« Libérez nos camarades ! ». S’organiser contre la répression

Dans ce contexte, chaque contrôle au faciès, chaque camp de Rroms détruit, chaque arrestation arbitraire, chaque résistance criminalisée ou pénalisée, chaque condamnation politique, devrait susciter une levée de boucliers dans les organisations du mouvement ouvrier, démocratiques, et dans l’extrême-gauche, sans même parler de la dénonciation des effroyables conditions de détention en France, l’un des pires pays de l’UE sur ce terrain.

Le contexte général de stagnation et de crise profonde des médiations réformistes, syndicales et politique, avec le grand vide idéologique et politique qui les caractérise, et de faiblesse chronique de l’extrême-gauche, est marqué par une difficulté saisissante à répondre immédiatement à ce type de tournant autoritaire. L’attentisme global à gauche en 2005, lors de la révolte des banlieues, en avait déjà été une preuve confondante. La répression étatique, pourtant, est une histoire aussi vieille que celle de la domination de classes. Il suffit de se souvenir de juin 1848, de la semaine sanglante de mai 1871, de « Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression » (Victor Serge). Nombre de réflexes, cependant, ont été oubliés, que ce soit chez les intellectuels radicaux, dans l’extrême-gauche révolutionnaire ou dans les syndicats. Il est aujourd’hui vital pour notre classe et pour les révolutionnaires de les réactiver mais aussi d’actualiser cette expérience profonde des prolétaires, et de montrer que la défense des droits démocratiques dans ce pays, aujourd’hui, va devenir une voie majeure de défense des intérêts de tous les exploités et de tous les opprimés.

C’est avec cette logique que nous avons mené, jusqu’à présent, la campagne de soutien à deux camarades dont les cas sont particulièrement emblématiques : celui de Gaëtan, condamné à la prison pour avoir manifesté à la mémoire de Rémi Fraisse dans une ville de Toulouse militarisée, et celui de Yann, postier révoqué de La Poste pour faits de grève. « Libérer ces camarades », comme l’ensemble des autres condamnés, ça veut dire, néanmoins, « continuer à lutter », plus que jamais. Refuser la possibilité d’une incarcération de Gaëtan tout comme imposer un recul de l’administration par rapport à la révocation de Yann font partie intégrante de la lutte contre les mesures autoritaires et d’austérité de ce gouvernement, qui prend goût au bonapartisme. Cela fait partie, plus largement, d’un combat plus profond contre les vices structurels du régime Vème républicain, sans pour autant qu’il soit question de numéro. Contrer les mesures répressives tout comme lutter pour l’extension des droits démocratiques et une démocratie plus « généreuse » sont étroitement liés et défrichent d’autant plus le chemin, au moment où la bourgeoisie et son gouvernement sont aux abois, en direction de la seule démocratie qui vaille, celle qui se basera sur la prise du pouvoir par les exploité-e-s.

17/05/15

 
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