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La Izquierda Diario
26 de mai de 2015 Twitter Faceboock

Les femmes dans le monde arabe et musulman
Le féminisme face à l’islamophobie occidentale

Cynthia Lub

Nous publions la traduction de cet article paru sur clasecontraclase.org le 24/03/15 (« El feminismo frente a la islamofobia occidental ») à titre de réflexion sur cette problématique des plus actuelles.

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Après les attentats de janvier, l’augmentation du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie a érigé encore une fois la femme en symbole du "retard" et de la "barbarie" du monde arabe et musulman.

La théorie du "choc des civilisations" trouve aussi une expression dans le féminisme, même si les préjugés raciaux sur la "femme occidentale" et l’exotisation des femmes arabes sont loin d’être nouveaux. Ils se manifestent par le mépris des luttes de ces femmes, pour mieux enseigner les "valeurs occidentales supérieures" à ces femmes prétendument "passives et soumises". Cela passe notamment par ce que beaucoup de féministes appellent "l’uniformisation" des femmes de pays coloniaux ou semi-coloniaux, par le biais d’une généralisation du comportement "des autres", toujours discuté d’un point de vue eurocentré. Il se crée ainsi un idéal faussé de supériorité et de progrès occidental.

Loin d’une soumission passive, les femmes arabes et musulmanes ont su reconnaître à la fois les particularités de leur propre horizon historico-social dans lequel s’inscrivent les relations d’oppression, et à la fois l’universalité de problèmes partagés par toutes leurs sœurs de classe : la dureté de leurs conditions de travail, l’absence ou le manque de droits sociaux et politiques, les violences et les agressions sexuelles, entre autres. 

Les multiples stratégies de lutte des "femmes du harem"

L’histoire des femmes arabes musulmanes n’a cessé de rompre les limites de la figure des "femmes du harem", analysant le caractère de leur oppression et développant une stratégie pour la libération de leurs doubles chaînes, c’est-à-dire à la fois de l’oppression exercée par les pouvoirs autochtones, et de celle exercée par le pouvoir colonial occidental des pays impérialistes.

Le mouvement féministe des femmes arabes et musulmanes a lutté pour le droit de vote, le droit à participer à la vie politique, pour l’égalité au travail et dans l’éducation, ainsi que différentes revendications liées à la polygamie - qui ne favorisait que les hommes au détriment des femmes -, à la réduction du droit absolu des hommes concernant le divorce, et à l’augmentation de l’âge légal du mariage des filles.

La féministe marxiste égyptienne Nawal al Saadawi [1], psychiatre et écrivaine, raconte comment les femmes qui se sont intégrées au travail industriel en Égypte pendant les premières décennies du XXe siècle ont été les premières actrices à mener des grèves et des occupations d’usines pour exiger la réduction de la journée de travail et les congés de maternité. De nombreuses femmes devaient en effet cacher leurs grossesses pour éviter de se faire licencier et bien souvent des avortements étaient provoqués avec des tiges d’un végétal : rien de bien différent en réalité de la situation des femmes françaises avant la légalisation de l’avortement, ou des femmes espagnoles pendant le franquisme.

Le développement de la littérature écrite par des femmes a été très important à cette époque, révélant ainsi la situation d’oppression des femmes et livrant les premières analyses des voies d’émancipation. C’est le cas par exemple de l’égyptienne Hafni Nassif, qui lutta pour l’accès à l’éducation pour les filles et écrivit dans la presse sur la question du divorce, du mariage, et de la mise à l’écart des femmes.

L’historienne féministe Mary Nash explique comment "les femmes ont déployé de nombreuses ressources et stratégies pour obtenir non seulement les droits qui leur étaient propres mais aussi l’indépendance nationale, avant, pendant et après les processus de décolonisation" [2]. En Égypte, en Tunisie, au Maroc et en Algérie, elles ont joué un rôle actif dans ces processus. Nadal al Saadawi raconte les mobilisations des femmes en Égypte, qui coupaient les lignes téléphoniques et sabotaient les chemins de fer pour bloquer le passage des troupes britanniques pendant les soulèvements de 1919. Certaines ont assailli les casernes et les prisons dans lesquelles étaient enfermés les leaders du mouvement. Des centaines de ces femmes ont été assassinées. Une féministe marocaine reconnue, Fátima Mernissi [3], critique aussi bien les pouvoirs autochtones qu’un secteur du féminisme occidental qui sous-estimait les capacités de mobilisation des femmes arabes : 

« Quand je rencontre une féministe occidentale qui pense que je devrais lui être reconnaissante pour ma propre évolution dans le féminisme, ce n’est pas tant du futur de la solidarité internationale des femmes dont je me préoccupe, que de la capacité du féminisme occidental à créer des mobilisations sociales populaires, qui permettraient d’atteindre un changement structurel dans les capitales mondiales de leur propre empire industriel » [4].

Cette auteure explique le féminisme arabe à partir de sa propre expérience, affirmant que l’opposition et la critique des leaders religieux conservateurs arabes et des principes de l’Islam patriarcal viennent en premier lieu des femmes arabes elles-mêmes. Elles ont d’ailleurs été considérées comme une menace pour le système patriarcal, bien souvent accusées par les leaders religieux conservateurs d’introduire des idées destructrices importées d’Occident.

Usages et symboles du voile

Les féministes arabes ont beaucoup critiqué le fait que le « féminisme occidental », comme on a pu l’appeler, insistait énormément sur une supposée connexion entre la culture et l’oppression des femmes. De cette idée découle la stratégie d’ « abandon de la culture autochtone » comme voie d’émancipation. L’interdiction du port du voile (du hijab) s’inscrit dans cette logique.

Le débat sur le hijab est apparu au XIXè siècle en Égypte, sous la colonisation britannique. Certains leaders du monde arabo-musulman qui luttaient notamment pour les droits des femmes à l’éducation considérèrent alors, influencés par le discours colonial européen, que le port du voile était un « symbole de retard culturel ».

Les nouveaux courants féministes arabes du XXè siècle ont remis en cause ces réformateurs et leur statut officiel de « premiers féministes ». Cette critique fut la base du féminisme anticolonial, qui rejette l’occidentalisation des politiques de genre, notamment l’interdiction du voile qui commençait à s’appliquer dans différents pays. C’est ainsi que le débat sur le voile s’est divisé entre deux positions, l’une considérant le voile comme un symbole du « retard culturel », et l’autre le considérant comme une identification de la culture arabe et musulmane s’opposant au pouvoir des colons.

Il existe de nombreux débats historiques et actuels sur ce sujet, sur la signification du voile et sur ce qu’il symbolise. Pour mieux les comprendre, il est nécessaire de replacer dans leur contexte les politiques mises en place en faveur ou contre le port du voile. A partir du XXe siècle, sa signification a subi un changement profond, lié au développement des processus anticoloniaux, en devenant un « symbole de la résistance anticoloniale ». Comme l’écrit Frantz Fanon lorsqu’il décrit la lutte d’indépendance de l’Algérie dans les années 50, à l’époque, plus de 10 000 femmes sont descendues dans les rues pour protester contre l’interdiction du port du voile par l’Etat français, comme on peut le voir dans le film La bataille d’Alger.

En parallèle, des mouvements de femmes et de féministes ont lutté dans différents contextes contre l’imposition du hijab ou contre ce que l’on appelle parfois le « voile intégral », la burka et le niqab, sans pour autant abandonner la lutte contre le pouvoir colonial, en s’affrontant dans le même temps aux pouvoirs autochtones. Ce fut le cas notamment de la Fédération des femmes dans les années 1920, composée majoritairement de femmes de classes aisées, qui manifestèrent pour l’abolition du voile ; une lutte qui, selon al Saadawi, n’était pas le centre d’attention des femmes travailleuses ou paysannes, notamment parce qu’elles n’avaient pas l’habitude de le porter dans les usines ou les champs.

En Europe, le débat a été réactualisé ces dernières années suite à l’interdiction de la burka et du niqab en France, en Belgique, aux Pays Bas, au Luxembourg, dans certains conseils municipaux de Catalogne dans l’État Espagnol, en Allemagne – où la moitié des États interdisent le voile – et en Italie, où la loi anti-terroriste de 1970 interdit tout ce qui pourrait cacher le visage.

Cette interdiction « au nom de la liberté » des femmes n’est rien de plus que le masque légal de la persécution quotidienne, xénophobe et raciste, subie par les populations immigrées.

Les différentes tendances du féminisme du monde arabe

A la chaleur des grandes expériences de luttes et d’organisation ont surgi de nombreux débats entre le « féminisme arabo-musulman » et le « féminisme islamique » au cours des années 1990. Malgré leurs différences, le point d’accord entre ces deux courants est la critique de ce qui est identifié comme « féminisme occidental », un féminisme qui n’est que l’écho de l’ « impérialisme culturel », ce qui conduit à deux grandes conséquences pour le mouvement féministe. La première, c’est un rejet du mouvement féministe dans les sociétés arabes et musulmanes, soutenu par les forces politiques et religieuses conservatrices qui accusent le féminisme d’être l’ « ennemi de la culture traditionnelle et de la religion ». La seconde, c’est l’émergence d’un mouvement féministe large, du laïcisme à l’islamisme.

Récemment, la publication L’émergence du féminisme islamique [5], revenait sur l’émergence de ce courant [6], qui se caractérisait par le rejet du « féminisme colonial » et de l’idée que « l’occidentalisation entendue comme abandon de l’islam » soit le seul chemin pour obtenir la libération des femmes musulmanes. L’ouvrage revendique alors une émancipation des femmes « dans le cadre de l’islam religieux » et dénonce une dégradation de la tradition de l’islam et une mauvaise interprétation des textes sacrés. Il propose alors une relecture de ces textes à travers une « herméneutique coranique » qui dévoilerait un « islam authentique » contenant un « Coran libérateur de la femme ».

Bien que le « féminisme islamique » se différencie des leaders religieux conservateurs arabes – qui, sous couvert de lutte contre la « pénétration occidentale » ne font que perpétuer les pratiques patriarcales les plus réactionnaires – il existe néanmoins une grande contradiction dans le fait de vouloir rechercher au sein de la religion les bases de l’émancipation des femmes, car celle-ci possède des liens étroits avec les États et les différentes institutions du système patriarcal, lui même si cher aux sociétés capitalistes.

Sur ce point, les féministes arabes et musulmanes se sont vivement opposées au « féminisme islamique » en montrant que, même en plongeant dans une « relecture libératrice du Coran », il n’en reste pas moins que toutes les religions, et notamment l’islam, maintiennent une collaboration étroite avec l’État, le pouvoir politique et le système patriarcal. Même si certaines considèrent que l’islam a pu améliorer les droits des femmes à certains moments déterminés de l’histoire, elles expliquent que toutes les religions monothéistes sont patriarcales et qu’il n’est ainsi pas possible d’obtenir l’émancipation des femmes à travers cette logique strictement religieuse.

L’analyse de Nawal al Saadawi sur cette question est intéressante à plus d’un titre : « L’histoire a mis en évidence le lien étroit existant entre économie et religion, entre les nécessités économiques et les valeurs morales et sexuelles dominantes d’une société déterminée ». A travers un récit détaillé du traitement réservé aux femmes sous le judaïsme, le christianisme et l’islam, elle fonde sa thèse selon laquelle « Les religions monothéistes, pour dicter les principes qui devaient régir le droit et le statut de la femme, se sont inspirées, comme nous l’avons vu, des valeurs qui régnaient dans les sociétés patriarcales et de classes ».

Malgré cette classification synthétique, il est difficile de donner une division stricte de ces courants. De nombreuses féministes partagent des nuances qui se situent entre le féminisme islamique et le féminisme arabe et musulman. Fátima Mernissi par exemple pourrait être classée comme référente d’un croisement complexe entre ces deux courants.

Les milles et un problèmes des femmes des « Mille et une nuits »

Il est plus que temps aujourd’hui de rompre avec la vision qui décrit les femmes arabes et musulmanes comme de simples victimes, et de commencer à connaître les luttes qu’elles ont mené, les idées qu’elles ont porté pour la transformation de leurs sociétés.

De nombreuses intellectuelles et féministes musulmanes se sont efforcées de rompre la vision occidentale déformée des femmes arabes, qui prend sa source dans l’œuvre des Mille et une nuits. La femme qui pratique la danse du ventre, séduit les hommes, promet des nuits de passion et joue avec les secrets et les intrigues sur des tapis volants. Il n’y a rien à envier là-dedans aux histoires de princesses que la culture occidentale a tant su fabriquer.

Les luttes historiques et celles d’aujourd’hui menées par les femmes arabes et musulmanes, dans les rues et par l’organisation du mouvement des femmes à travers un large spectre de revendications, montrent bien que la question du voile et la « danse du ventre » sont bien loin des principales préoccupations. Il n’y a rien de plus en rupture avec l’image de la femme des Mille et une nuits que les femmes des révolutions arabes, actrices centrales de ces mobilisations. Pour la seule année 2010, on décompte plus de 300 grèves dans lesquelles les femmes ont fait irruption, en portant sur leurs épaules l’ensemble des problèmes sociaux qui affectaient les familles face à l’inflation des produits de base. Et les images des femmes égyptiennes et marocaines, pancartes et mégaphones à la main, s’affrontant aux forces répressives, ont fait le tour du monde.

L’occultation, la méconnaissance de leurs actions, et leur description comme simples victimes sont des mécanismes qui ne font que soutenir le racisme et l’islamophobie qui pèsent quotidiennement sur le quotidien des femmes qui vivent dans les pays d’Europe ou aux États Unis. Si l’oppression des femmes est double, comme femme et comme travailleuse, elle est triple en réalité dans les pays impérialistes pour toutes ces femmes.

24/03/15

 
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