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La Izquierda Diario
3 de juin de 2015 Twitter Faceboock

Afrique : servez-vous ! Ou l’utilité pratique des Etats contemporains
Guillaume Loïc

Ce mardi, un rapport de l’ONG Oxfam international a révélé que les multinationales implantées en Afrique soustraient chaque année plus de 11 milliards d’euros d’impôts aux Etats du continent africain. Une somme proche du PIB du Burkina Faso.

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C’est le genre d’information qui fait un petit tour dans la presse et puis s’en va. Qui ne résiste pas à l’opération de propagande permanente, à travers laquelle l’Afrique est peinte jour après jour en continent-désert, écrasé de pauvreté, d’irrationalité, de barbarie. Oxfam, qui s’est spécialisée dans les dénonciations de ce type, a choisi de la rendre publique à quelques jours du G7 qui réunira, à Bonn en Allemagne, les principales puissances impérialistes de la planète ce vendredi.

On découvre dans son rapport le mécanisme à travers lequel les plus grandes entreprises du monde spolient les Etats africains. Il est d’une simplicité déconcertante : il suffit à ces coalitions de capitalistes de jouer sur le prix des échanges entre leurs filiales, surévaluant ceux des exportations, sous évaluant ceux des importations, afin de miner le résultat comptable de leurs sociétés enregistrées sur le sol du continent le plus opprimé de la planète.

On sait que, de manière complémentaire, les multinationales réalisent toute une « optimisation fiscale » qui leur permet d’éviter de payer trop d’impôts dans les pays où sont situées leur maison mère, en faisant porter une part significative de leurs résultats par des sociétés écran localisées dans des paradis fiscaux. Total a ainsi réussi à ne pas payer un centime d’impôt sur les sociétés en France entre 2012 et 2014.

Le dispositif dévoilé par Oxfam n’est qu’une des cartes que compte le vaste jeu de poker des grandes entreprises en Afrique. La plus importante est l’aide publique au développement, au moins sur le plan symbolique car il est difficile de mesurer les sommes évaporées par les différents canaux. Celle-ci représente chaque année 134 milliards de dollars entrants sur le continent, un sacré argument publicitaire pour les grands pays de Nord. Il y a à peu près un an, la même Oxfam révélait que cette somme devait être mise en regard des 192 milliards qui sortent chaque année, entre le service de la dette, les flux illicites et la fuite des cerveaux. Les Etats africains servent ainsi à organiser une vaste essoreuse, qui projette chaque année 60 milliards de dollars vers l’extérieur.

Les masques tombent pourtant rapidement pour quiconque souhaite y regarder de plus près. Non seulement les milliards de l’aide au développement sont essentiellement des prêts, mais encore ils bénéficient principalement, à travers des marchés publics arrangés...aux multinationales implantées sur le continent dont on est en train de parler. 2 milliards d’euros de « contrat de développement et de désendettement » ont ainsi relancé les affaires des capitalistes en Côte d’Ivoire peu après l’éviction de Laurent Gbagbo, dont le palais présidentiel a été bombardé par l’armée Française. D’ailleurs, les chiffres de l’aide incluent systématiquement les ventes d’armes à « prix d’ami » à travers lesquelles une armée comme celle de la France équipe ses régimes alliés avec ses fonds de stocks. Troublant de voir les manifestations récentes au Burkina Faso, ou les émeutes de 2008 au Cameroun, réprimés par des gendarmes au même équipement bleu marine que ceux qui ont tué Rémi Fraisse. Preuve que les Etats africains sont bien moins évanescents face aux travailleurs et aux peuples du continent que face aux intérêts étrangers.

La liste peut être poursuivie. Il n’y a pas de port africain sans son terminal « gris », selon la terminologie en vogue. Les grands patrons du secteur du transport comme Bolloré y organisent le transit de quantités de marchandises, armes comprises, qui échappent ainsi à la comptabilité nationale et aux taxations du pays hôte. Ici encore, il serait parfaitement illusoire de décrire les États africains comme des dupes impuissants. Aux côtés des multinationales, les Présidents, Ministres et autres hautes autorités africaines‎ sont des acteurs de choix de ces espaces, à travers lesquels ils captent une bonne partie des outils matériels de leur domination sur les populations. C’est ainsi, dans ce "gris" des flux et des échanges de service, que s’invente l’alliance entre les grandes puissances qui pillent l’Afrique et leurs relais locaux, que le pouvoir de classe réel se construit, l’édifice de l’Etat servant ensuite à le justifier sous une forme juridique.

Un dernier exemple, parce qu’il est édifiant. L’insécurité sur un certain nombre de marchés occidentaux au début de la crise en 2007, couplée à des cours avantageux ‎des matières premières agricoles, a provoqué ces dernières années une ruée sur les terres africaines. Des groupes comme Unilever ou Herakles Farm ont ainsi acheté chacun des dizaines de milliers d’hectares au Liberia, en Sierra Leone, au Congo RDC, au Cameroun... cela n’a pas empêché l’ONU de déclarer 2009 comme l’année de l’agriculture familiale. En vertu de législations foncières héritées de l’ère coloniale, les États africains sont considérés comme propriétaires de l’ensemble de leur territoire, une manière de fonder légalement la spoliation des populations, évacuées du jour au lendemain manu militari. Dernièrement, les cours de certaines spéculations agricoles ont néanmoins baissé. Mais il en faudrait plus pour désespérer les capitalistes qui y ont placé des billes. La détention de titre sur des terres recouvertes de forêts leur permet en effet de profiter du mécanisme de Kyoto, qui rémunère la captation de gaz carbonique par les arbres à des taux annuels à l’hectare à peu près dix fois plus élevés que ceux des baux emphytéotique qu’ils ont signé avec les États africains. Une véritable manne captée sans rien faire.

Face au scandale révélé par Oxfam, toute la société civile internationale "de gauche" appelle à défendre les États, le droit "public" contre des multinationales déterritorialisées. C’est une erreur, ou plutôt une compromission. Certes, les lois et les frontières n’existent pas pour les grands de ce monde et les coalitions "multinationales" à travers lesquels ils font ‎travailler leurs capitaux. Mais c’est bien eux qui les édictent et les défendent, comme ils faisaient encore ce matin ‎Porte de la Chapelle, où la police française a chassé manu militari près de 250 migrants de leur campement ce mardi 2 juin.

02/06/2015

 
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