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La Izquierda Diario
2 de mai de 2018 Twitter Faceboock

Faire sa fête à Macron ?
Sur la France Insoumise et la manifestation du 5 mai
Damien Bernard

« Faire sa fête à Macron ! » C’est le nom de la manifestation appelée le samedi 5 mai par François Ruffin, député France Insoumise. Une manifestation, même un week-end, dans l’objectif de cristalliser les colères contre Macron serait en principe une bonne chose. Pour autant, cette manifestation du 5 mai, ses prémisses, ses objectifs ou encore la stratégie, interrogent à plusieurs titres.

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Le 4 avril, dans le contexte du démarrage puissant de la grève des cheminots, une « assemblée générale » se tenait à la bourse du travail de Paris, appelée par François Ruffin, député La France Insoumise, et Frédéric Lordon, économiste et philosophe, qui en 2016 avaient lancé l’appel au mouvement Nuit debout. Après plusieurs interventions de syndicalistes et de travailleurs engagés dans des luttes sociales, les deux personnalités ont sorti du chapeau la proposition d’une grande manifestation nationale, un samedi, le 5 mai, complétée ensuite par celle de former partout des « comités du 5 mai », propositions validées à main levée à la quasi-unanimité par les présents. Le soir même, les députés LFI relayaient la proposition. Dès le lendemain des collectifs « Faisons la fête à Macron » émergeaient, ainsi qu’un « comité de pilotage ». Le 7 avril, la France insoumise, qui réunissait pour la première fois son « assemblée représentative », au Parc floral de Paris, avait décidé de participer à « la marche nationale » le 5 mai « pour stopper Macron ». Certains y verront de simples « concordances », pourtant les ficelles sont grosses. Quoiqu’on puisse en penser, cette manifestation, le week-end, est bien impulsée par La France Insoumise et était dans les tuyaux bien avant l’assemblée du 4 avril.

Mobiliser par « en bas » pour gommer « Mélenchon qui se la joue solo »

Cela faisait en effet plusieurs mois que Jean-Luc Mélenchon phosphorait pour essayer d’organiser une grande manifestation, un week-end, contre l’exécutif. Celle-ci devait initialement se concrétiser le dimanche 13 mai sous le slogan légèrement différent de « Macron : Un an, ça suffit ! ». Le changement de date et de slogan, le protagonisme affiché par Ruffin et Lordon ne semblent pas gêner la France Insoumise, qui au contraire paraît y voir même un intérêt comme l’explique un cadre du mouvement : « Vous avez tort de nous voir comme les meneurs. Nous allons là où ça prend le mieux », explique-t-il. A Mélenchon de préciser lui-même les contours du changement tactique : « On se vivait comme des éclaireurs et des déclencheurs, on a depuis reconstitué nos forces et, maintenant, nous sommes dans une nouvelle séquence qui part d’en bas et qu’il faut accompagner pour l’enraciner. Nous avons changé de braquet en mettant de côté l’aspect déclencheur, sinon nous serions à contre-sens de la mobilisation ». Accusé de se la jouer « solo », notamment après la manifestation du 23 septembre, la genèse même de l’échéance du 5 mai illustre la façon dont Mélenchon compte gommer certains traits de sa politique.

Les leçons du 23 septembre

Le 23 septembre, Mélenchon réunissait, selon ses propres estimations, près de 150 000 manifestants dans sa manifestation nationale contre le « coup d’Etat social » de Macron, deux jours à peine après le semi-échec de la manifestation du 21 septembre. En essayant d’enjamber le mouvement social contre les ordonnances XXL, vidant notamment de sa substance la journée de grève et de manifestation du 21 septembre, La France Insoumise avait été l’un des acteurs importants de la première défaite sans combat de l’ère Macron parachevant ainsi le travail des directions syndicales dont la CGT, premières responsables, de par leur acceptation du cadre des « concertations » proposées par Macron. Par ailleurs, l’appel à cette « marche contre le coup d’Etat social » avait engendré nombre de tensions en premier lieu avec les directions syndicales, se construisant de fait contre le mouvement ouvrier et la journée de grève du 21 septembre. Mais aussi, en refusant l’unité d’action contre les ordonnances XXL, avec les organisations de gauche qui devaient en définitive se subordonner. Cette fois-ci, Mélenchon enlève ses gros sabots. En s’appuyant sur son bastion à Marseille, il réalise des démonstrations régionales, comme le 14 avril avec sa marche « Stop Macron ».

Le « dogme » des manifestations le week-end

L’ensemble de ces éléments interroge sur la tournure que La France Insoumise compte donner aux suites de la mobilisation. Si l’appel à la manifestation du 5 mai parle de faire la jonction des « 14 avril, 19 avril et 1er mai », et reconnaît l’importance de la bataille du rail en affirmant que « la conscience grandit que cette affaire des cheminots nous concerne tous », les modalités visant à organiser des « comités du 5 mai » partout en France, ainsi que le nouveau dogme consistant à généraliser les manifestations le week-end, placent la grève comme un élément secondaire du mouvement social, et lui donnent, pour le coup, un rôle annexe. Comme l’affirme Mélenchon dans son blog, les manifestations, le week-end, sont vues comme le seul et unique moyen de permettre « aux personnes de tous les secteurs de la société d’entrer en action », « les rendez-vous actuels » à savoir les journées de grève ne le permettant pas. Ne s’agit-il pas plutôt, au contraire, de poser la question de la nécessité de construire la grève, dans d’autres secteurs du public comme du privé pour justement permettre à tous les « secteurs de la société d’entrer en action » ? De fait, par quelles méthodes Mélenchon compte-t-il construire le rapport de force ?

Suivre la stratégie de l’interfédérale ou durcir le mouvement ?

Dès lors, il est pour le moins très éclairant d’observer les rares prises de position de Mélenchon concernant la bataille des cheminots. « La situation est en train de bien évoluer » a-t-il lancé devant une dizaine de représentants cheminots de la région PACA après la manifestation du 19 avril. « J’ai deux obstacles à vaincre, la division syndicale », une question réglée à la SNCF selon lui, et « celle entre le syndicalisme, le mouvement ouvrier, et la politique », a-t-il poursuivi. Que l’unité syndicale puisse être un point d’appui pour construire l’unité la plus large des travailleurs est une chose mais que cette unité syndicale devienne une fin en soi, comme le sous-entend Mélenchon, pose un réel problème si l’on veut véritablement gagner. En effet, dans le cas du mouvement de grève des cheminots, dont la détermination n’est plus à démontrer, la stratégie de pression visant à ouvrir des « négociations », au moyen de la tactique de la grève « perlée », révèle de plus en plus ses limites. Des limites, que les cheminots de Gare du Nord, entrés en reconductible pour le moment de façon minoritaire, ont bien comprises. Non. Pour défaire Macron, il va falloir réaffirmer que le retrait n’est ni amendable ni négociable, tout en durcissant le mouvement, par la grève, donc, comme un élément central du rapport de forces.

Avec les cheminots combatifs et les étudiants

« Si tout le pays se fédère comme nous le faisons ici à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, alors nous gagnerons », explique Mélenchon, suite à la manifestation à Marseille ce 14 avril. Qu’on puisse, en effet, organiser une journée de manifestation, en week-end contre la politique du gouvernement ne pose pas de problème en soi. Cependant, ce dont il s’agit pour Mélenchon, c’est de généraliser les manifestations le week-end comme seul et unique moyen de rassembler tous les « secteurs ». Selon le leader de LFI, ce serait la stratégie pour gagner contre Macron tout en préparant les prochaines échéances électorales, notamment les Européennes dont il compte faire un « référendum anti-Macron ».

Nous restons, pour notre part, persuadés que c’est par la grève et par sa généralisation dans un « tous ensemble » qu’il sera possible de stopper le rouleau compresseur du gouvernement et de passer à la contre-offensive. Malgré les limites que nous signalons, nous participerons à cette manifestation du 5 mai, aux côtés des cheminots, postiers, hospitaliers et étudiants mobilisés qui se saisiront de cette date pour exprimer leur colère, pour remplir les caisses de grève et réaffirmer la nécessité de durcir et d’élargir le mouvement de grèves en cours.

Crédits Photo : MARC OLLIVIER/ARCHIVES OUEST-FRANCE

 
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