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La Izquierda Diario
13 de juin de 2018 Twitter Faceboock

« Le plus habile consiste à vaincre sans combattre »
La lutte des classes sans affrontement ?
Christa Wolfe

Pas seulement lecteur de Machiavel, Emmanuel Macron connait aussi Sun Tzu : « Le plus habile consiste à vaincre sans combattre ». A considérer la lutte qui s’est menée à la SNCF depuis plusieurs mois et le mépris complet dans lequel les parlementaires ont voté le texte malgré tout, on a l’impression que deux mondes se juxtaposent sans jamais se rencontrer. Or, c’est tout le problème pour faire aboutir la lutte : il faut dégager un lieu d’affrontement.

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Dans cette manoeuvre, Macron est aidé par des pratiques politiques récentes, le recours au 49.3 qui a marqué le printemps 2006 et la lutte contre le CPE – mais à l’époque, la révolte avait été assez forte pour que Villepin revoie sa copie et annule la loi. Le 49.3 a malgré tout fait son grand retour avec la loi Travail de 2016 et Macron n’en a pas renié l’usage, précisant dès sa campagne que légiférer par ordonnances ne lui posait pas de problème.

Cette pratique politique a considérablement modifié les termes du « dialogue social », cette invention qui se consolide durant les Trente Glorieuses et qui a animé la vie démocratique en permettant aux intérêts opposés des deux classes sociales de bâtir des accords sur les conditions de travail et le partage des richesses. On parle de plus de 50 ans de pratiques syndicales : voilà une pesanteur historique, et les syndicats sont désormais attachés au (et fabriqués pour le) rôle qui leur a été laissé. Peu d’entre eux envisagent vraiment un conflit qui mettrait en difficulté leur rôle de médiateur. La plupart du temps, leur seul horizon est de se donner du poids pour revenir à la table des négociations – le poids, c’est le nombre de jours où nous avons fait grève.

Seulement, l’évolution du capitalisme depuis les années 70 a opéré un retournement à la fois politique et économique : économiquement, les intérêts de la classe bourgeoise se sont faits plus pressants, dans un contexte où les crises pétrolières ont généré du chômage de masse, c’est-à-dire un instrument de chantage très efficace face à la classe ouvrière. Depuis, la classe ouvrière se retrouve sur la défensive dans la mesure où la classe bourgeoise a repris très concrètement l’offensive. Politiquement, l’évolution a accompagné ce nouveau contexte : Hayek, dès les années 30, disait se méfier de la démocratie et envisageait même qu’une société capitaliste néo-libérale aurait besoin du désintérêt d’une bonne partie de la population pour les questions politiques. Depuis le début des années 2000, on voit bien que cette démocratie dont le marqueur était la pratique du dialogue social a disparu avec lui.

Mettons en parallèle la signature du Traité de Lisbonne en 2007 par Nicolas Sarkozy, dans la foulée de son élection et au mépris du référendum de 2005 et le jeu patient qui consiste à défaire la hiérarchie des normes dans les dernières lois Travail : non seulement nous n’avons plus la main, mais toute possibilité de construire une opposition au moyen des syndicats qui acceptent le « dialogue social » est par avance impossible dans la mesure où la pratique politique bourgeoise a ouvertement renoncé à toute apparence démocratique. Que les bureaucraties syndicales se soient laissées convaincre par l’air du temps qui présente toutes les réformes comme nécessaires et découlant des « lois de la nature », ou qu’elles se laissent porter simplement par un esprit d’appareil qui consiste à défendre des positions acquises, il faut se rendre à l’évidence que notre adversaire de classe a créé l’impossibilité d’un affrontement conséquent, de la même manière que les pratiques démocratiques institutionnelles ont été vidées progressivement de leur sens.

Le contexte impose donc qu’on réfléchisse collectivement aux manières de reconstruire un affrontement véritable, sachant que la bourgeoisie autoritaire qu’incarne Macron ne connait aucune frilosité quand il s’agit d’utiliser les forces de la police et de l’armée pour briser des mouvements ou contrer des AG. Pour cela, il est nécessaire que les syndicats les plus combatifs abandonnent leurs vieux fantômes, et assument réellement les intérêts de la classe ouvrière face aux attaques répétées du gouvernement. Que le dialogue social ait joué un rôle dans l’amélioration des conditions de la classe ouvrière, en permettant son inclusion dans la vie sociale, est une chose, mais c’est aussi une chose du passé.

Il faut clairement assumer que si la classe bourgeoise se passe désormais de démocratie, elle doit aussi se passer de la mascarade du « dialogue social ». Il faut durcir le ton, construire notre camp plutôt que d’aménager par avance les conditions de la défaite pour faire en sorte qu’elle soit « la moins déshonorante » possible. Face à une offensive aussi directe, quand les divers instruments qui ont fait croire à la démocratie de la bourgeoisie sont vidés de tout sens, c’est la radicalité de la classe ouvrière qu’il faut construire, en soumettant les syndicats à un double agenda, entre luttes immédiates et constitution d’un front de classe.

 
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