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La Izquierda Diario
4 de juillet de 2018 Twitter Faceboock

Latino, femme, serveuse…
Victoire d’Ocasio-Cortez aux primaires démocrates du Bronx : opportunités et défis pour la gauche américaine

Alexandria Ocasio-Cortez, dont l’histoire personnelle est à l’image de cette Amérique touchée par la crise économique, vient de remporter les primaires du Parti démocrate contre un baron du parti. Symptomatique de l’ouverture croissante des électeurs américains aux idées socialistes qu’elle revendique, la victoire de cette jeune femme, d’origine latino-américaine, serveuse il y a tout juste six mois, montre les opportunités qui s’ouvrent au sein de la gauche américaine. Des opportunités qui pourraient pourtant être gâchées si les bilans du soutien au Parti démocrate des dernières années ne sont cependant pas tirés.

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Juan Cruz Ferre pour Left Voice

Trad. Albert Core

Une progressiste assumée

Alexandria Ocasio-Cortez a imposé une défaite écrasante à son adversaire Joseph Crowley à la primaire démocrate de la 14° circonscription de New York, s’étalant de l’est du Bronx au nord-ouest du Queens, et où les minorités sont majoritaires. Elle a mené une campagne à partir d’une ligne “unapologetically progresive” [“progressiste assumée”] selon ses propres termes, avec des revendications fortement orientées vers les travailleurs et les classes populaires.

Sa volonté d’abolir l’ICE (Immigration and Control Enforcements) est notamment devenue un élément important de sa campagne en réponse à la forte colère ayant suivi les politiques migratoires atroces de Trump. Ses revendications de généralisation de la sécurité sociale étasunienne (réservée à certaines situations), pour le droit au logement, ainsi que pour une campagne d’embauche du gouvernement, la positionnent largement à gauche de la ligne du Parti Démocrate.

Elle est parvenue à faire tomber son adversaire, Joseph Crowley, figure importante de l’establishment du Parti Démocrate (élu à la chambre des représentants Démocrate), et proche de Wall Street. A l’inverse, en tant que ‘latina’ de 28 ans travaillant encore récemment en tant que barman et serveuse, Ocasio incarne la réalité que vivent des milliers de travailleurs de couleurs de la circonscription. Elle a pourtant précisé plusieurs fois qu’elle ne souhaitait pas représenter sa circonscription d’un point de vue simplement identitaire, mais également à travers leurs revendications. Malgré le caractère progressiste d’Ocasio, de nombreux syndicats ont préférés soutenir Crowley (AFL-CIO, UFT, SEIU, TWU...).

Tous les grands journaux ont annoncé le séisme politique au sein du Parti Démocrate et les chroniqueurs du New York Times sont allés jusqu’à la qualifier de “star politique”. Bien que la victoire d’Ocasio soit le résultat d’une communication réfléchie et des faiblesses de son adversaire, cela montre également que des candidats se revendiquant du socialisme peuvent gagner des élections, que des candidats travailleurs issus de quartiers populaires et financés par des donateurs individuels plutôt que par les capitalistes peuvent perturber l’establishment politicien en mettant en avant les revendications de la classe ouvrière.

Donne-moi ton vote

Malgré tout, la fin n’est pas indépendante des moyens. La victoire d’Ocasio aux primaires Démocrates - et son chemin tout tracé vers la chambre des députés - entretient l’idée que ces réformes peuvent être obtenues en élisant des personnalités progressistes dans les institutions du pouvoir en place. Son discours improvisé lors de sa victoire, aussi honnête et encourageant soit-il, est resté tout du long dans l’idée d’élire des gens bien au congrès et d’utiliser les structures institutionnelles pour mener notre politique.

A l’inverse, la tâche principale est de rallier les masses à ces objectifs, de construire un réseau de militants dans l’optique de mobiliser des centaines de milliers pour nos revendications. Si nous pouvons élire quelques douzaines de progressistes, les 435 représentants restant empêcheront de faire passer ces revendications sans la présence de mobilisations de masses capables d’être une menace pour le gouvernement.

Tout vrai changement politique nécessite des mobilisations de masse. L’Histoire est remplie d’exemple pour le démontrer. Ce sont les grèves et occupations d’usines des années 30 qui ont permis d’obtenir le Wagner Act (légalisation des syndicats) et le Social Security Act (sécurité sociale). Ce sont les révoltes du Black Power dans les années 60 qui ont permis de supprimer la ségrégation raciale dans la loi. En contraste, le faible niveau de mobilisation et d’agitation des quarante dernières années (dont les raisons ne sont pas le sujet de cet article) a permis le recul des droits de la classe ouvrière, la stagnation des salaires, et a renforcé la transformation des services publics qui caractérise la période néolibérale.

La récente vague de grève d’enseignants pourrait être un signe avant-coureur d’un changement sur ce terrain. Pourtant, même lorsque la lutte de classe s’intensifie, la mauvaise approche peut amener à des résultats désastreux.

Un renouveau du parti démocrate, et l’influence des Socialistes démocrates d’Amérique

Le DSA (Socialistes Démocrates d’Amérique, l’organisation socialiste la plus importante aux U.S.) a, dans les faits, soutenu une liste grandissante de candidats du Parti Démocrate. Une partie des adhérents du DSA ne soutient pas totalement cette politique et préfèrerait une délimitation plus claire vis-à-vis du Parti Démocrate. Mais il est établi qu’Alexandria Ocasio-Cortez est membre du DSA et a compté sur l’approbation et le soutien actif de son organisation pour militer sa campagne.

Si certains membres du DSA ont beaucoup d’attentes envers le Parti Démocrate, il semblerait qu’une majorité ne considère ces campagnes que comme un moyen d’utiliser les campagnes du Parti Démocrate pour mettre en avant les idées socialistes et les politiques progressistes. Ce qui leur permettrait de contourner les biais importants du système électoral en attendant que le DSA ne devienne assez fort pour présenter ses propres candidats. La question est alors de déterminer si les DSA utilisent vraiment le Parti Démocrate, plutôt que l’inverse. En d’autres mots : est-ce que le DSA profite de l’ouverture (peut être naïve) du Parti Démocrate aux candidats de la gauche radicale, ou est-ce que le DSA offre une caution de gauche au parti démocrate, permettant dans les faits sa reconstruction ?

Alexandria Ocasio-Cortez prend en effet part à une entreprise nationale de reconstruction du Parti Démocrate. Après avoir participé à la campagne de Bernie Sanders, elle a été contactée en 2016 pour candidater lors de la primaire. Dans la foulée de sa victoire, elle a appelé à voter pour des candidats soutenus par Justice Democrats. Justice Democrats, fondé par l’équipe de la campagne de Bernie Sanders, se donne comme objectif de réformer le Parti Démocrate en remplaçant les élus soutenus par des entreprises afin d’en bouger les lignes vers la gauche. Plusieurs revendications principales d’Ocasio viennent de la plateforme de Justice Democrats, comme l’abolition de l’ICE, le “medicare pour tous”, et l’université gratuite ; des positions politiques qui, selon eux, sont “majoritairement populaires” et sont nécessaires à toute tentative de sauver le parti : “Le futur du parti Démocrate est l’aile de la Justice, pas l’aile de l’establishment”.

Cependant, d’ici novembre, Ocasio devra faire face à de fortes pressions de la part de l’establishment du Parti Démocrate à modérer son discours pour que le Parti Démocrate puisse agréger un électorat plus conservateur. Plusieurs voix dans les médias dominants libéraux anticipent déjà les difficultés qu’Ocasio peut poser pour le Parti Démocrate.

Quelle sera sa réponse face à ces pressions ? A qui devra-t-elle rendre des comptes quand il s’agira de décider quelles revendications maintenir et quelles revendications laisser de côté pour le moment ? Les possibilités qu’Ocasio, une fois élue, mène la politique prévue par DSA ne répondent en conséquence que d’elle même, et de sa capacité à naviguer entre les pressions extrêmes inhérentes au fait d’être (et de rester) élue au congrès. D’autant plus quand on voit que sa rhétorique est davantage semblable à celle de Bernie Sanders qu’à celle d’une candidate indépendante.
Le piège Parti Démocrate

Il y a un effort visible de la part de plusieurs organisations pour redresser le Parti Démocrate. Étant donné son état calamiteux, l’aile progressiste a des chances réelles de gagner des positions clés au sein du parti et de bouger sa ligne un tant soit peu vers la gauche. Il est largement établi que les chances pour que le Parti Démocrate renaisse de ses cendres reposent sur sa capacité à intégrer ces nouveaux candidats, plus jeunes et plus progressistes. Le parti est en phase de le faire tout comme il l’a fait tant de fois par le passé avec des intrus comme l’auteur socialiste de fiction Upton Sinclair en 1934 aux militants reconnus comme Jesse Jackson dans les années 80. La machine Parti Démocrate a répétitivement absorbé, broyé puis digéré des militants politiques radicaux, avec les mouvements qui les accompagnaient.

Quand le DSA consacre tant d’efforts et de ressources au Parti Démocrate, il souffle en fait sur les braises de la renaissance d’un parti contrôlé par le capital. De plus, on ne devrait jamais oublier qu’il s’agit d’un parti qui a systématiquement soutenu des interventions militaires au travers du globe, et est responsable de la mort de centaines de milliers de personnes par des guerres impérialistes, du terrorisme d’état, et des attaques de drones.

C’est, par ailleurs, précisément la cuisante défaite des démocrates face à Trump, ainsi que le marasme qui en a découlé, qui a permis au DSA de démultiplier ses membres au fil des deux dernières années, passant de 6.000 membres en 2015 à plus de 30.000 aujourd’hui.

Après la victoire d’Ocasio, le nombre de membres au DSA a une fois de plus grimpé en flèche, ajoutant plus de 1000 nouveaux adhérents. Il est nécessaire de canaliser au bon endroit l’énergie de toute cette nouvelle génération de militants politiques embrassant les idées du socialisme, voyant que le capitalisme n’a rien à offrir. Il y a une bataille irrésolue quant au destin de l’organisation et à sa relation avec le Parti Démocrate. La finalité de ce débat peut soit aider à forger une nouvelle couche de militants anti-capitalistes, soit les entraîner dans la gueule du Parti Démocrate et, à terme, au désarroi et à la frustration.

Le renouveau du Parti Démocrate est en cours, dirigé par Bernie Sanders et les multiples organisations qui ont émergé de sa campagne. En tant que socialistes, nous pouvons choisir de prendre part à ce processus ou de consacrer notre énergie et nos ressources à soutenir la lutte de classe, à prendre en charge les revendications de la classe ouvrière, et à mener des campagnes politiques ouvrières indépendante pour renforcer ces luttes. Le second est un besoin urgent, le premier est un chemin sûr vers la défaite.

 
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