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La Izquierda Diario
16 de juillet de 2018 Twitter Faceboock

Macron, champion du monde de la récup’
Une belle finale, des buts, du spectacle, mais une victoire pour qui ?
Jean-Patrick Clech

Une belle finale, c’est sûr. De la joie dans les rues, dès hier soir, c’est certain. Mais aussi une grosse opération de com’ et de récup’, pour Macron, c’est un euphémisme. L’équipe de France a gagné la finale de la Coupe du Monde, mais c’est bien le président-qui-expulse, le président-qui-casse-la-SNCF, le président-de-la-sélection-post-bac qui entend tirer les marrons du feu et capitaliser la situation, comme Chirac avant lui en 98. Il lui en faudra peut-être un peu plus pour faire passer, comme si de rien n’était, les mauvais coups qu’il prépare pour la rentrée. En attendant, l’instrumentalisation patriotarde et chauvine est « en-marche ».

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Après deux finales des plus ennuyeuses, en 2010 et en 2014, où la possession du ballon, à l’arrière, était de mise, pour jouer la montre, on ne pourra pas dire que le match de dimanche n’aura pas été un beau spectacle. Ni même que Pogba, dès lors qu’il a décidé d’arrêter de la jouer comme Messi, n’aura pas été brillant du pied gauche, Mbappé un vrai phénomène, Lloris grandiose face à Rebic. Mais aussi que malgré la tête malheureuse de Mandzukic et la main involontaire de Perisic, la Croatie s’est donnée jusqu’à la dernière minute, toujours avec Mandzukic et Perisic. Côté tribune présidentielle, néanmoins, c’est une toute autre partition qui se jouait. Parce que c’est à une véritable mise-en-scène que s’est livré Macron, avec la complicité de Deschamps sur le banc des entraîneurs. Si dans les rues de Paris, de Marseille, de Lyon et d’un peu partout en France, tout le monde est descendu dans la rue, sans même attendre 18h54 et le coup de sifflet final, Macron et tous ses ministres ont exulté, pour d’autres raisons.

La com’ avait commencé bien en amont, en pleine bataille du Rail, avec un Macron jouant pour la énième fois sa carte de footeux invétéré, suggérant aux entreprises de rétablir du lien entre « collaborateurs » en projetant les matchs des Bleus sur grand écran. Puis ça été le coup du président offrant son jet à Koscielny et à Payet pour faire le voyage de Moscou, de la vidéo « Allez les Bleus ! » avant le début du match, le « dab » final et le militaire blessé sur le « champ d’honneur » accompagnant Macron dans les vestiaires. Mieux que le « président des riches », Macron se présente comme le président de l’équipe qui a gagné le Mondial et de tous les Français. On va avoir droit à la même musique dans les prochaines heures, dès lors que l’avion ramenant les joueurs va se poser à 15h55, ce lundi, et le « beau récit national » concocté par les communicants de l’Elysée va tourner en boucle, avec quelques variations, tout au long de l’été et dans les prochains mois. C’est du moins ce que l’on espère, depuis le Palais. Comme s’il suffisait de belles images pour faire oublier les mauvais coups qui se préparent, après la destruction du statut des cheminots et le passage en force sur Parcoursup.

« Je veux entendre les gens crier "Vive la France !", "Vive la République !" », souhaitait Griezmann il y a quelques jours. Son vœu aura été exaucé. Partout des drapeaux bleu-blanc-rouge, le même que celui que porte les flics, en écusson, quand ils répriment les manifs ou abattent des jeunes dans les quartiers ; le même que celui qui flotte au-dessus des blindés français qui interviennent aux quatre-coins du monde pour le compte de l’impérialisme ; le même que celui que tweete Geoffroy Roux de Bézieux, le nouveau patron du Medef, qui se dit, lui aussi, « #FiersdEtreBleus ». Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut pas aimer le foot ? Aucunement. En revanche, ce qui est sûr, c’est que dans les Marseillaises chantées à tue-tête, dans les drapeaux tricolores exhibés sur les Champs ou dans le quartier de Mbappé, à Bondy, dans le 93, il y a des intérêts qui sont radicalement opposés à ceux de la jeunesse, des classes populaires et du monde du travail.

La question ne consiste même pas à savoir jusqu’à quel point toute compétition sportive commerciale (et la Coupe du Monde de foot n’est pas un tournoi amateur…) est avant une opération de consolidation et de justification d’un ordre mondial, politique et social, qui ne repose pas sur des performances exclusivement sportives. Comme Chirac, en 98, qui après avoir critiqué « le bruit et les odeurs » dans les cages d’escaliers des HLM, et qui s’était adonné au plaisir de la célébration de la nation « Black-Blanc-Beur », trois ans à peine après les grandes grèves de 1995 qui l’avaient poussé dans les cordes, Macron instrumentalise drapeaux, chants de supporters et liesse footballistique pour jouer au président qui sait être « proche du peuple et de ses préoccupations »… quand il ne casse pas ses acquis ni ne le matraque. Son ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, le même qui expulse les migrants et dont les flics tuent les jeunes par balles, dans les quartiers, en sait quelque chose, lui qui a sifflé la fin de la fête, dimanche soir, en envoyant les canons à eau sur les Champs puisque la fête a été « ternie par les casseurs ». Toujours les mêmes arguments.

Les buts français ont été marqués par Mandzukic, Griezmann, Pogba et Mbappé. Mais ce ne sont pas les supporters qui vont encaisser la victoire. Sous couvert de victoire, justement, un président qui montre les muscles, plus autoritaire que jamais, déterminé à passer en force sur ses contre-réformes et qui, pourtant, était au plus bas dans les sondages, il y a quelques semaines, prétend nous faire oublier tout ce qui s’annonce. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, donc, il s’agira d’avoir la mémoire longue de nos luttes plus que la mémoire courte d’un match, et quand bien même il aura été spectaculaire.

Et puis, pour être tout à fait honnête, il y aura eu aussi un autre gagnant. Il s’est présenté sur le terrain, protégé d’un parapluie, pour la cérémonie, aux côtés de Macron et de la présidente croate. Pour Poutine, le championnat aura été de toute beauté : le boucher de la seconde guerre de Tchétchénie, le bourreau du peuple syrien, ami de Bachar Al Assad, le président autoritaire qui enferme ses opposants et fait régner un climat de dictature dans son pays aura fait un match sans faute : en prouvant sa capacité à organiser, sans accroc, une coupe du Monde, la Russie de Poutine aura fait montre de son « soft power » qui accompagne ses matraques et ses bombes, bien réelles, et « hard », celles-là. Comme quoi, derrière une finale de Coupe du Monde, il y a bien des intérêts qui n’ont rien à voir avec les nôtres.

Crédits photos : @ ALEXEY NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

 
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