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18 de juillet de 2018 Twitter Faceboock

Triste anniversaire
Assa Traoré à Emmanuel Macron : « La vie d’Adama ne valait pas moins qu’une autre »

Adama Traoré mourrait il y a deux ans jour pour jour, dans les locaux de la gendarmerie, à Persan, en Île-de-France. Depuis lors, sa famille et leurs soutiens n’ont eu de cesse de se battre pour obtenir justice et vérité. Assa, sœur d’Adama, a récemment écrit une lettre ouverte à Macron et à la ministre de la Justice, que nous relayons.

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Crédits photo : LP/Jérémie Jung

Monsieur le président de la République, madame la garde des Sceaux,

Dans quelques jours, mon jeune frère, Adama Traoré, aurait dû avoir 26 ans.

Avant le 19 juillet 2016, je n’aurais jamais cru qu’il serait nécessaire dans ma vie de m’adresser à vous.

Avant le 19 juillet 2016, je pensais avec force que les valeurs qui me sont chères, l’égalité, l’accès au droit et à la justice pour tous, étaient une priorité pour notre République, ne pouvaient être relatives à certains individus et certains lieux. 

Avant le 19 juillet 2016, je refusais de croire qu’il est des vies qui comptent moins que d’autres.

Jamais je n’aurais imaginé, monsieur le président de la République, madame la garde des Sceaux, que mon petit frère, Adama Traoré, mourrait comme il est mort : comme un chien, gisant sur le bitume brûlant de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise. Pour rien, sans nous, sa famille, ses proches. Le jour de son anniversaire…

C’était il y a deux ans.

Le 19 juillet 2016, Adama portait un bermuda, un bob sur la tête, il promenait son sourire à vélo dans les rues de la petite ville où nous avons tous grandi, Beaumont-sur-Oise. Insouciant, et heureux de fêter, le soir, ses 24 ans. Il avait fait refaire sa pièce d’identité, la mairie avait prévenu le jour même que le document était prêt, il avait prévu d’aller le récupérer. Une journée comme une autre, en somme.

Jusqu’à ce que des gendarmes croisent le chemin de mon petit frère. Et tout a chaviré. Adama a fui, convaincu que les agents allaient le placer en garde à vue, puisqu’il n’avait pas sur lui sa carte d’identité. Course-poursuite. Chasse à l’homme. Plaquage ventral. Asphyxie. Malaise. Plus de pouls, plus de souffle. D’un coup. Arraché au monde, Adama. Terminée, sa vie.

Pourquoi cette mort en France, en 2016, dans une gendarmerie ? Comment cela se peut-il ?

Une interpellation qui a mal tourné, un accident, une bavure ? Non, rien de tout ça, monsieur le président, madame la garde des Sceaux.

Il s’agit de la vie de mon petit frère, précieuse comme celle de tout individu, comme les vôtres, comme la mienne. D’un drame, qui est aussi le vôtre. La vie d’Adama, remise en cause depuis son adolescence par d’incessants et humiliants contrôles, s’est retrouvée une ultime fois, sans fondement, entre les mains des agents de la force publique. Lesquels se sont arrogés le droit de livrer mon frère à la mort, en l’étouffant, en ne le secourant pas, en le regardant mourir menottes aux poings, par terre, à leurs pieds.

Je ne demande rien, monsieur le président, madame la garde des Sceaux, que ce dont vous êtes les garants. La justice. Le droit de savoir ce qui est arrivé à mon frère. Le droit de comprendre ce qui a conduit à sa mort. Que tout soit mis en œuvre pour la manifestation de la vérité. Rien que ce qui nous est dû, comme le procureur de la République de Nantes a su le rappeler, à propos de la mort d’Aboubakar Fofana, tué à 22 ans ce 3 juillet d’une balle tirée dans le cou par un CRS : « Une affaire particulièrement grave, puisqu’un jeune homme de 22 ans a perdu la vie. Ce sont des circonstances dramatiques qui nous obligent envers sa famille, qui est en droit d’attendre une enquête approfondie. »

Nous nous sommes constitués parties civiles avec mes frères, mes sœurs, nos mères. Nous agissons donc, pardon de vous le rappeler… en qualité de victimes. À ce titre, la loi exige que nous soyons associés au déroulement de la procédure.

Associés, nous le sommes. Mais, depuis deux ans, rien ne se déroule.

Depuis deux ans, nous avons bon dos. Malgré les mensonges judiciaires, salissant la mémoire d’Adama (l’invention d’une infection, d’un trouble cardiaque, d’une surconsommation d’alcool ou de drogues) ; malgré ces honteuses tentatives pour justifier l’injustifiable, la mort de mon petit frère, nous tenons bon. Gardons confiance.

Depuis deux ans, nous attendons que les gendarmes soient au moins entendus, sinon mis en examen concernant « les circonstances dramatiques » dans lesquelles mon frère de 24 ans a perdu la vie. Ils sont pourtant les seuls à savoir : Comment Adama a été arrêté ? Comment Adama a été poursuivi ? Comment Adama a été plaqué au sol ? Comment Adama a été étouffé de tout leurs poids ? Pourquoi Adama a été conduit à la gendarmerie plutôt qu’à l’hôpital ? Pourquoi Adama était inconscient au sortir de leur véhicule ? Pourquoi les secours l’ont trouvé au sol, menotté ? Comment est-il mort sous leurs yeux ?

Ces questions ne sont pas seulement celles d’une famille qui considère que la vérité est une issue au deuil. Ce sont aussi les vôtres, celle de tout un pays qui doit comprendre comment il est possible de mourir à 24 ans dans une gendarmerie en France, au XXIe siècle, pour rien. Les principes fondamentaux dont vous êtes les garants vous obligent. La vie d’Adama Traoré, citoyen français, ne valait pas moins qu’une autre. Sa mort mérite des réponses.

Assa Traoré

 
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