http://www.revolutionpermanente.fr/ / Voir en ligne
La Izquierda Diario
19 de septembre de 2018 Twitter Faceboock

Témoignage d’un patient
Une journée dans un hôpital psychiatrique, « faites abstraction »

Nous publions le témoignage d’un patient qui a passé une journée dans une institution psychiatrique et nous fait part des problèmes structurels et politiques auxquelles est confrontée la question de la santé mentale en France.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Une-journee-dans-un-hopital-psychiatrique-faites-abstraction

Photo : O Phil des Contrastes.

Macron peut bien fanfaronner avec son « plan santé », la vérité c’est que lui et ses petits copains se foutent pas mal de la santé des malades mentaux. Les coupes budgétaires du gouvernement dégradent les conditions de travail des personnels, privent les infirmières de leur possibilité d’accomplir dignement et correctement leur travail et fragilisent les populations les plus exposées à la misère sociale et l’austérité. La possibilité d’établir des relations humaines disparaît à mesure que les tailles dans les budgets se creusent. Résultat : rien dans ces endroits ne vous aide à guérir. On vous y « soigne » par la force brute de cocktails médicamenteux qui annihilent en vous la maladie tout autant que la vie. C’est peu coûteux. C’est simple. Cela rapporte gros aux entreprises pharmaceutiques. C’est un élagage en gros plutôt qu’une opération qui vise à rétablir et réinsérer les personnes souffrant de troubles mentaux.

Voilà l’état de la psychiatrie en France en 2018. Et j’en ai fait l’expérience directe lorsque j’ai été contraint d’être hospitalisé pour cause de trouble bipolaire pendant une journée – m’enfuyant littéralement de l’hôpital psychiatrique dans lequel j’ai été interné tant l’environnement est oppressant et anxiogène.

Je suis bipolaire. Ce qui signifie que par moments mon cerveau s’emballe tant que les pensées finissent par s’embrouiller, s’accélérer, devenir délirantes et même paranoïaques. Dans ces moments, on a littéralement l’impression que son cerveau tombe en morceaux.

Un soir les symptômes étaient si forts que j’ai du me rendre dans un hôpital psychiatrique d’urgence, et pour la première fois j’ai fait la rencontre de l’institution psychiatrique en France.

Au départ les choses se sont passées « en douceur ». J’ai été accueilli par des infirmiers chaleureux, attentionnés – mais, j’ai pu le remarquer d’emblée, totalement surmenés. Les patients s’enchainent, attendent des heures avant d’être reçus, le sous-effectif est chronique me concède un infirmier qui me prend en charge ; mais toute la sollicitude et la bienveillance du monde ne suffit pas à compenser les millions d’euros de coupe budgétaire du gouvernement.

Ils m’ont donc fourni, après des heures d’attente, un premier traitement pour me calmer. Suite à quoi, à plus de deux heures du matin, j’ai été transféré en ambulance dans un hôpital psychiatrique, pour « me reposer » ont dit les médecins qui ont requis mon internement pour une durée indéterminée.

Le lendemain matin, au réveil, dès sept heures, une infirmière me souhaite bonjour et me tend deux cachets. Je ne comprends pas très bien ce qui se passe, j’ai dormi quelques heures à peine et les choses sont encore floues dans ma tête. Je lui demande d’où sortent ces médicaments. L’infirmière, visiblement étonnée par ma perplexité, insiste pour que je les prenne – selon elle, le médecin qui m’a reçu la veille me les aurait prescrits. A mon tour d’insister, et de préciser que le médecin ne m’avait rien prescrit du tout.

Face à l’infirmière qui s’agace de me voir rechigner à prendre mon traitement, je demande à voir le médecin. Il n’est pas là, répond l’infirmière, pas de médecins le week-end. Evidemment. L’infirmière continue de me fixer, interloquée, incapable de m’expliquer à quoi servent ces médicaments – antipsychotiques, se contente-t-elle de marmonner. Je dois les prendre. C’est pour mon bien.

Mais j’ai beau répéter que je n’ai aucune pensée délirante et que, dans ce cas, les médicaments sont inutiles, l’infirmière s’entête. Après plusieurs minutes, et face au mini remue-ménage provoqué dans l’étage à la venue d’autres infirmières, celle-ci finit par renoncer.

J’aurais donc le « droit », pour ce matin, d’éviter de prendre des médicaments dont je ne connais ni l’utilité ni les effets sur mon cerveau.

Je retourne dans ma chambre : un espace d’une dizaine de mètres carrés sans vie, une fenêtre anti-défenestration, une peinture décrépie. Dehors le temps est radieux. Tout ici donne envie de s’enfuir.

En quête d’occupation, je demande donc à l’infirmière, étant étudiant, à pouvoir récupérer les livres de cours qui étaient dans mon sac au moment de mon arrivée, pour pouvoir passer le temps autrement qu’en regardant la télé de la salle commune ou en fixant le mur de ma chambre. Et je précise bien que le soir de l’accueil, le médecin avait affirmé qu’il ne voyait aucun problème à ce que je récupère mes affaires pour pouvoir m’occuper. Seulement, lorsque je fais ma demande, l’infirmière refuse, elle soutient que j’ai « besoin de repos ». Bon. Je vais donc fixer le mur une journée entière... ou plus ?

Car lorsque l’on entre, surtout comme moi après une hospitalisation d’urgence, on ne sait pas exactement quand on sort. Les relations entre patients et soignants sont totalement hermétiques et saturés de méfiance réciproque. Les infirmières sont persuadées que nous sommes tarés. Et qu’en conséquence, notre parole n’a aucune valeur.

Lorsque je m’enquiers de ma date de sortie, l’infirmière, se contente de me répondre : « Ah, on ne sait pas ». La veille pourtant le médecin m’a affirmé que j’étais « libre » de partir quand je le souhaitais. Mais il faut croire qu’ici la liberté du patient est toute relative. Et face à mon insistance pour pouvoir sortir aujourd’hui même – je ne veux pas rester une minute de plus dans cet endroit glauque – l’infirmière, pressée d’aller s’occuper d’un autre patient, me conseille seulement de « faire abstraction ».

Dans cet endroit anxiogène, qui vous rend plus fou encore que lorsque vous y êtes rentrés, la solution est toute trouvée donc, « faire abstraction. »

Pour faire court, c’est seulement après avoir patienté toute la matinée devant le bureau du secrétariat, et insisté pour voir le médecin psychiatre de garde, que j’ai obtenu une autorisation de sortie. La vérité, et je l’ai appris peu après, est que mon « repos » était prévu pour durer « au moins une semaine », et ce sans que je sois le moins du monde mis au courant.

Certes, je suis entré ici parce que mon état mental était au bord de la dislocation, parce que, comme on dit, j’étais en train de perdre l’esprit. Mais je ne suis pas un animal, ni un objet. Je suis malade. Et je ne demande pas à ce que des bureaucrates me traitent comme leur enfant. Par moments, lorsque vraiment mes symptômes dégénèrent, j’admets ne pas être à même de juger de mon état en toute lucidité. Mais une infirmière devrait être capable de distinguer un patient en délire et un patient en détresse qui refuse de prolonger son séjour dans un endroit sinistre et déprimant.

Au final, donc, je suis resté moins d’une journée dans cette institution psychiatrique. Et à vrai dire, cette brève expérience n’a fait que renforcer ma méfiance et mon dégout de l’institution psychiatrique. Toute cette journée constitue en miniature la parfaite illustration dont la santé mentale est un enjeu politique que tout le monde ignore, et de la façon dont les relations « humaines » dans une institution psychiatrique sont totalement impossibles, et ce pour des raisons structurelles.

Car les relations sont bureaucratisées à l’extrême pour pouvoir gagner en « efficacité » – et Macron et sa clique vont encore dans ce sens avec le plan santé qui cherche à « rationaliser » les budgets. Les infirmières exécutent leur travail sous haute pression, dans des conditions dégradées, et vous chargent de médicaments pour ne pas avoir à s’occuper de vous, parce qu’elles sont elles sont elles aussi à bout, bien souvent en burn-out.

Le budget des institutions psychiatriques ne cesse de diminuer – en même temps que le reste des dépenses sociales que le capitalisme s’empresse de démolir, vestiges bien maigres d’un soi-disant « état social ». Aujourd’hui le capitalisme pourrissant ne peut même plus se permettre la moindre « concession ». Alors il ratiboise à tout-va, et démolit tout ce qui ne lui est pas directement productif. Les institutions psychiatriques publiques, lieux de soins pour des personne fragilisées, et souvent issues des classes populaires, servent évidemment de cibles faciles – après tout, qui se soucie des malades mentaux ?

On a l’impression que la question psychiatrique est restée bloquée cent ans dans le passé ! Et encore plaignez-vous, nous dit-on, vous êtes pris en charge en France, « le pays le plus avancé au monde en termes de soin à la personne ». Eh bien, si c’est ça la pointe du traitement psychiatrique mondial, il y a de quoi... devenir fou !

Plus qu’aucune autre frange de la médecine, l’institution psychiatrique constitue le bras armé de l’ordre capitaliste. En plus d’être un relais du pouvoir politique capable d’estampiller des brevets de « folie » aux groupes sociaux qui s’opposent à l’ordre établi, la psychiatrie est intimement liés aux intérêts des groupes privés capitalistes qui écoulent leur stock d’antidépresseurs et autres médicaments pour « soigner » la douleur de personnes démolies par ce même système capitaliste.

Certes, les médicaments m’aident parfois à calmer une crise, diminuer l’angoisse ou atténuer la souffrance et la fréquence des symptômes. Sans médicaments, une vie humaine, ou la vie tout court, ne serait parfois même pas possible. Pour nombre de malades mentaux, une vie sans traitement médicamenteux est tout simplement impossible tant la maladie est handicapante. Il ne s’agit pas de faire du refus des traitements tels qu’ils existent un principe sous prétexte qu’ils seraient soumis aux intérêts capitalistes. Il s’agit plutôt d’interroger politiquement la maladie mentale dans une société où ce sujet est tabou.

Je ne renie pas le travail effectué par les psychiatriques – souvent nécessaires et même utiles. Et tous ne sont pas des bras armés de l’ordre capitaliste, loin s’en faut. Mais comme l’écrit Marx, l’existence précède la conscience. Et de fait, la psychiatrie en tant que discipline, dans la mesure où nous vivons dans une société capitaliste, est incapable de réellement traiter le problème des maladies mentales, qui se situent hors des centres de soin, hors de des murs de l’institution psychiatrique et des cabinets.

En juin dernier, des travailleurs de l’hôpital psychiatrique de Rouvray se sont mis en grève de la faim, revendiquant l’ouverture de postes supplémentaires, et ont remporté la victoire après une lutte héroïque. Eux aussi sont littéralement rendus fous par des conditions de travail qui dégradent non seulement les personnels mais aussi la qualité des soins. Comme l’a dit un gréviste de Rouvray : « il faut que ça essaime, que partout les gens refusent de baisser la tête et se fédèrent. Ensemble on peut faire beaucoup de choses ! ».

C’est juste. Nous avons tous, patients, personnels, raison de nous révolter non seulement contre une institution psychiatrique archaïque, mais plus largement contre les politiques anti-sociales de Macron qui dégrade nos conditions de travail, nos vies, et produisent cette souffrance physique et psychique en masse.

La maladie mentale est un problème politique.

 
Revolution Permanente
Suivez nous sur les réseaux
/ Révolution Permanente
@RevPermanente
[email protected]
www.revolutionpermanente.com