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6 de octobre de 2018 Twitter Faceboock

Chroniques d’outre-atmosphère
Negalyod : Vincent Perriot questionne la collapsologie en plongeant dans la SF
Arthur Nicola

C’est le chef d’oeuvre que doivent se procurer tous les bédéphiles en cette rentrée : Negalyod, par Vincent Perriot, un jeune auteur qui s’essaye maintenant à la science-fiction. Une œuvre ancrée dans la pure tradition de la science fiction, sans être toutefois s’appesantir sur ses références. Sans spoilers.

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Crédits photos : © Takuma Shindo // Casterman

Un berger perd tout son troupeau face l’absurdité et l’arbitraire d’un Etat lointain et inconnu ; cela pourrait rappeler Luke Skywalker laissant sa ferme dévastée de Tatooine, mais il s’agit là d’un troupeau de chasmosaures (une espèce ressemblante aux célèbres tricératops) que Jarri Tchapalt devait amener au marché des nomades, foudroyé par un camion météo. Ainsi commence une intrigue qui s’étale sur deux cent pages aux couleurs chatoyantes qui vont emmener le jeune berger au centre du « Réseau », qui contrôle tout. L’auteur, qui avait jusqu’ici développé son travail sur des polars contemporains, s’échappe ainsi dans un univers de science-fiction qui oscille entre le post-apocalyptique et le steam-punk. Aux côtés des déserts qui recouvrent la plus grande partie d’une planète qui a asséché jusqu’à ses océans, et dont la traversée évoque Mad Max, s’étalent de gigantesques villes flottantes dont les dessins saturées de tuyaux en tout genre se rapprochent des développement de François Schuiten et Benoît Peeters dans les Cités Obscures, et notamment dans La Fièvre d’Urbicande. Vous l’aurez compris, pour Vincent Perriot, cette entrée dans l’univers de la science-fiction se fait par la grande porte à coups de citations, dont la plus explicite reste l’empreinte, évidente, de Moebius, alias Jean Giraud, dont le travail sur les déserts (Blueberry, Arzach L’Arpenteur) et tout aussi reconnu que celui sur les aventures spatiales (L’Incal, L’Homme du Ciguri).

© Casterman 2018

Une histoire de contrastes

Negalyod est avant tout le tableau d’une société où les contradictions sont poussées à leurs extrêmes, entre des éléments ultra-futuristes, comme des petits écrans connectés flottant devant les personnages, qui semblent être le futur des Google Glass, ou bien d’énormes cités flottantes dans les airs comme en lévitation, qui se développent à côté des marques les plus saillantes d’une société totalement archaïque : des nomades vivant dans le désert, écoutant, dans les faubourg des grandes villes, des prêtres pratiquant des sacrifices divinatoires… Evidemment, la présence de dinosaures tout au long de l’aventure, aux côtés d’aéronefs faits de bois et de toile, marque ce contraste poussé entre les capacités technologiques de cette société et la vie des millions de petite-gens, qui vivent aux côtés de bêtes archaïques. C’est face à un monde divisé que le héros doit faire face, entre le monde « d’en haut », où les plus riches et les plus aisées vivent, dans des citadelles flottantes intouchables, et celui « d’en bas », où tout n’est que poussière et pauvreté. Cette division, très visuelle, rappelle en bien des choses, Elysium, où la bourgeoisie s’était même enfuie de la pauvreté terrestre pour se réfugier sur une station orbitale.

© Casterman 2018

Ces contradictions, qui se déploient à travers un travail sur les couleurs saisissant, en dit long sur notre société actuelle, où la société est capable d’envoyer des hommes sur la Lune, sans être capable de résoudre les problèmes de famines alors que selon l’OCDE, l’humanité produit l’équivalent par jour de 2800 calories, beaucoup plus que nécessaire que pour nourrir tout le monde. Dans le monde de Negalyod, c’est le « Réseau » qui dirige toute la société, ainsi que la denrée la plus précieuse, l’eau, et qui maintient, sans qu’il soit expliqué pourquoi, une société divisées en classes sociales n’ayant pas accès aux mêmes richesses. Ce « Réseau », qui va être l’ennemi juré des rebelles que Jarri rejoint, pourrait-il être une métaphore de notre société de classe ? Rien ne le dit, mais les parallèles sont saisissants : un Etat arbitraire qui s’appuie sur des forces de répression particulièrement développées qui tuent les réfractaires en toute impunité ou les « reprogramment » ou encore une ascension sociale impossible entre les bas-fonds poussiéreux et les cités éthérées.

L’effondrement ou l’espoir ?

Vincent Perriot, dans une interview donnée récemment à Bodoï dit s’être beaucoup intéressé aux théories dites de l’effondrement, parfois appelées « collapsologie ». Dans ces théories, plus ou moins fondées scientifiquement, la civilisation humaine devrait faire face à une apocalypse mondiale liée au réchauffement climatique. Evidemment l’aridité du monde de Jarri Tchapalt fait référence à ce type de scénario catastrophe où l’humanité ferait une sorte de « grand bond en arrière », repliée dans un univers désertique où le nomadisme pourrait faire partie des scénario envisageable pour l’humanité. Il est remarquable de voir l’influence de ces théories dans les récentes productions de sciences-fiction, notamment dans le post-apo : des œuvres comme Le Transperceneige ou Interstellar participent à la construction, dans les discours dominants, d’un futur qui ne pourrait être que l’apocalypse, la désertification et la famine.

© Casterman 2018

Le philosophe états-unien Fredric Jameson résumait cette idée dans une formule laconique : « il est plus facile de penser la fin du monde que la fin du capitalisme ». Cette forme de démoralisation dans la capacité de l’humanité à dépasser ses contradictions est de fait une victoire de l’idéologie néolibérale sur le mouvement ouvrier, qui peine à montrer que la seule façon de résoudre le désastre écologique auquel la Terre fait face, c’est le dépassement d’un système extractiviste et consumériste, le capitalisme. Negalyod cherche, sans expliciter totalement le système économique et social dans lequel il se développe, à trouver une issue à ce fatalisme démoralisateur qui ne fait que construire la résignation populaire face à la destruction de la planète. Cette issue, c’est la résistance populaire et organisée des peuples opprimées du désert et des villes terrestres. Autant de raisons d’apprécier ce nouveau venue dans l’univers de la science fiction, et d’attendre avec impatience ses prochains opus.

Negalyod, Vincent Perriot, Casterman, 25,00 €, Septembre 2018

 
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