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La Izquierda Diario
31 de octobre de 2018 Twitter Faceboock

« Le vrai visage du Park Hyatt Vendôme »
Grève Hyatt Vendôme. Le luxe pour les clients, le mépris et la répression pour les salariés
Cécile Manchette

Dans l’hôtel Park Hyatt Vendôme, il y a deux mondes qui se côtoient et s’affrontent depuis le 25 septembre, jour où une grande partie du personnel en charge de l’entretien et du bon fonctionnement de l’hôtel s’est mis en grève. D’un côté la direction de l’hôtel de luxe, propriété de la richissime famille américaine Pritzker, et sa société de sous-traitance (STN) qui maltraite et méprise son personnel, et de l’autre les grévistes en lutte depuis plus d’un mois pour leurs conditions de travail et le respect.

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Les salariés en grève sont celles et ceux dont le travail quotidien, pour certains depuis presque une vingtaine d’années, a permis à l’hôtel de gagner ses cinq étoiles. Malgré ses travaux de rénovation de l’hôtel s’élevant à plusieurs millions d’euros et ses 43 suites luxueuses coûtant jusqu’à 18 000 euros la nuit, la direction sous-traite le nettoyage et l’équipement des chambres à des salariés payés à peine un peu plus que le SMIC, et qui cumulent problèmes économiques, physiques, et de santé tout en subissant le mépris de la direction. Quand ce n’est pas celui des clients fortunés. Rentrer faire tourner l’hôtel ? Oui, mais pour les grévistes ce sera « la tête haute », victorieux, même si cela doit durer tout l’hiver.

« Le vrai visage du Park Hyatt Vendôme »

Dans un clip parodique réalisé par le syndicat CGT HPE et relayé sur la page de soutien aux grévistes, les auteurs de la vidéo détournent la publicité officielle du palace afin de montrer « son vrai visage ». Celui d’un hôtel de luxe qui réalise plusieurs millions de bénéfice par an – 8 millions en 2017 – et qui dans le même temps exploite ces salariés aux conditions de travail « scandaleuses ».

« Ici vous serez garantis d’avoir des tables, des moquettes, des canapés des fauteuils, qui sont nettoyés, frottés tout au long de la journée par des salariés qui depuis 15 ans ne sont pas employés par notre société. En effet, nous sommes le seul palace de France à sous-traiter le service de ménage » décrit la voix off dans le clip vidéo. Le Park hôtel Hyatt Vendôme est de fait l’un des rares palaces français à ne pas avoir internalisé son service de ménage composé de plusieurs dizaines de femmes et de valets de chambre, de gouvernantes et d’équipiers.

Diviser pour mieux régner : la logique de la sous-traitance

Un personnel qui a connu plusieurs sociétés de sous-traitance et qui depuis 2013 a multiplié les grèves pour obtenir des augmentations de salaires et l’internalisation.

Pour ce qui est des augmentations de salaires, la lutte a payé : ils ont obtenu une augmentation de 3,5 euros de l’heure, soit environ 500 euros de plus par mois depuis 2014. Une augmentation dont n’a pas bénéficié le personnel employé directement par l’hôtel. Un personnel composé de salariés techniciens, du room service, de la cantine pour les employés, de la plonge… et qui cette année se sont joints à la grève des salariés de la sous-traitance, pour demander une augmentation de 3 euros de l’heure. Preuve que la stratégie du patronat de recourir à la sous-traitance pour diviser les travailleurs produit ses propres contradictions et peut être brisée.

Les femmes de chambres et salariés employés par la société de sous-traitance STN réclament à nouveau l’internalisation suite à la loi Macron qui promet de leur enlever la possibilité de se présenter aux élections du personnel. Ce serait pour les employés de la sous-traitance un recul important pour défendre leurs droits et leurs conditions de travail.

C’est ainsi que depuis un mois se déroule la plus longue grève que l’hôtel Park Hyatt Vendôme est connue. Et la direction est jusque là déterminée à ne rien céder. Internaliser le personnel entraînerait des coûts (comme l’harmonisation des salaires) mais surtout cela serait une victoire pour les salariés qui inverserait le rapport de forces en leur faveur dans la période à venir. Or, la direction de l’hôtel a plutôt dans l’idée de faire le plus de bénéfices possibles à moindre coûts en continuant à exploiter et mépriser (toujours plus) ces salariés de « seconde zone ».

Hyatt : « palace » pour les clients, « prison » pour les salariés

Les 153 chambres coûtent environ 800 euros la nuit et le prix des suites varie de quelques milliers d’euros à 18 000 euros pour la suite présidentielle. Le niveau d’exigence quant au standing des chambres est donc très important. Pour nettoyer et entretenir ces chambres, environ une centaine de femmes et de valets de chambre travaillent quotidiennement dans l’hôtel encadrés par des gouvernantes. Des équipiers chargés de l’aménagement des différentes chambres travaillent en collaboration avec eux. Et le travail dont il est facilement imaginable qu’il est physiquement éprouvant est en réalité rendu très pénible avec les conditions de travail qui sont les leurs.

Chaque jour, Marie, Bijou, Jessica, Nouria, Karima, Nora, doivent s’occuper des 153 chambres et 43 suites et les rendre « impeccable ». Mais les difficultés sont nombreuses. Marie, femme de chambre depuis 10 ans, raconte agacée qu’elles n’ont parfois qu’un aspirateur par étage qui compte plusieurs dizaines de chambre. Bijou, également femme de chambre, énumère les problèmes de matériel qui les conduit à devoir par exemple porter sur leur dos le linge mouillé pour ne pas le mélanger au linge propre car la société de sous-traitance refuse de mettre à disposition plusieurs chariots. STN, malgré leurs demandes répétées, repousse sans cesse l’achat de chaussures adaptées. Il leur arrive donc régulièrement de glisser et de se faire mal. Les équipiers comme les femmes de chambre se plaignent aussi du manque d’outils pour soulever la literie qui pèse plusieurs dizaines de kilos (jusqu’à 100 kg).

Les problèmes de matériels entraînent des problèmes de santé qui se multiplient et abîment les salariés au fil des années : problèmes au dos et aux épaules, arthroses. Pour cette raison Aboubacar, équipier pour l’hôtel depuis 10 ans est en formation pour changer de métier. Bijou aimerait elle devenir gouvernante, un poste qui lui paraît plus tranquille que celui de femme de chambre qui les expose à plus de pression et des conditions de travail dégradées, elles n’ont souvent que 45 minutes pour faire une chambre et sautent régulièrement leur pause déjeuner.

A tout cela s’ajoute les horaires décalés mais aussi le mépris de la direction et des clients. Les grévistes racontent l’état catastrophique dans lequel ils retrouvent souvent les chambres. Obligés de nettoyer tout et n’importe quoi, les personnels peuvent aussi être exposés aux agressions de certains clients. Des agressions sexuelles par exemple, comme le raconte l’un des grévistes élu au CHSCT, et face auxquelles la direction ne fait rien.

« Avant 2013, on était invisible. Encore aujourd’hui, tu peux dire bonjour, et ils ne te répondent pas ». C’est en ces termes que Bijou décrit les rapports avec la direction de l’hôtel qui ne les considère pas. Selon Aboubacar le fait qu’ils ne soient pas employés de l’hôtel mais par la société de sous-traitance fait d’eux des « personnes inférieures » dans l’entreprise, ou plutôt considérées comme tel. Une division contre laquelle les grévistes luttent car l’hôtel ne traite pas beaucoup mieux ceux qu’elle emploie directement. Aboubacar cite l’exemple de Clise, gréviste et employée de l’hôtel depuis 16 ans, qui s’occupe de la cantine pour les employés, et n’a obtenu que 100 euros d’augmentation après toutes ces années.

Du mépris à la répression policière

Ce mépris au quotidien de la direction s’exprime aussi ouvertement depuis le début du conflit qui ignore complètement les grévistes. Aucune réunion de négociation n’a eu lieu jusqu’à aujourd’hui.

Depuis le 25 septembre, les grévistes tiennent leur piquet devant l’entrée de l’hôtel 5 rue de la paix, et sont interdits de rentrer dans l’hôtel jusqu’aux délégués du personnel (une décision qui depuis a été invalidée par la justice). Mis à la porte, les grévistes occupent donc le trottoir. L’hôtel a rapidement fait appel à un huissier de justice (payé plusieurs centaines d’euros par jour) pour venir constater d’éventuels infractions, mais aussi à la police présente quotidiennement aux côtés des grévistes.

La direction et la société de sous-traitance ont aussi rapidement fait le choix de faire venir des femmes de chambre d’autres hôtels afin de remplacer les grévistes. Ces derniers ont à juste titre dénoncé ces méthodes qui visent à casser leur grève.

Le 12 octobre, la situation s’envenime, et deux grévistes sont agressés par la sécurité. Aboubacar qui était présent raconte que cette agression a eu lieu dans un contexte de tension où la direction faisait venir de plus en plus tôt dans la nuit les femmes de chambre d’autres hôtels. Les grévistes ayant appris la manœuvre venaient également à 4H voire 3H du matin. Selon lui, la direction a ce jour-là tenté de les faire rentrer de manière clandestine par la fenêtre du restaurant de l’hôtel. Des méthodes illégales pour casser la grève de leurs salariés.

Le même jour, l’hôtel a organisé une intervention policière. Douze camions de CRS sont mobilisés, et s’en prennent aux grévistes. Des images montrent les grévistes traînés au sol. Puis, les forces de police après avoir jeté leur matériel, décide de les encercler (nasser) pendant plusieurs heures dans une rue à côté. Cette journée est un point de bascule pour les grévistes qui n’ont jamais connu un tel niveau d’agressivité et de répression lors de leurs grèves antérieures. Bijou raconte que cette répression l’a mise « très en colère » et ce « délogement » lui donne alors « la motivation pour aller jusqu’au bout ». « C’est vraiment trop de mépris ». Selon elle et c’est ce qu’elle essayer d’expliquer à ses collègues choquées par la répression dans les heures et jours qui suivent : « si on nous a fait ça, c’est qu’on nous a entendu, c’est qu’on dérange ».

"Revenir la tête haute"

« On était là pour une grève, on se rend compte que c’est une guerre. Tout est permis pour Hyatt. » exprime Nora à l’adresse de ses collègues juste après l’opération policière du 12 octobre. En ayant recours à la répression, Hyatt avait clairement pour objectif de les intimider, de leur signifier qu’ils n’ont pas le droit de manifester et de dénoncer le recours à la sous-traitance. Mais la répression policière n’a pas eu l’effet escompté : les grévistes sont désormais d’autant plus déterminés à gagner convaincus qu’ils sont dans leur droit et d’avoir des revendications légitimes.

La semaine dernière, les grévistes présents sur le piquet de grève de 10H (heure à laquelle les grévistes sont désormais autorisés à être dans la rue selon la préfecture) à 17H chaque jour, ont fêté leur un mois de grève. Un mois de grève marqué par le mépris affiché de l’hôtel Hyatt envers ces employés qu’il exploite toute l’année et violente quand ces derniers exercent leur droit de grève pour se faire entendre. Pour Marie, après tout ça, il n’est pas question de perdre : « si on revient sans rien, imagine comment ils vont nous traiter. Je veux revenir la tête haute ». La seule solution est de continuer la grève, qu’ils revotent chaque jour en assemblée générale, parce que les grévistes savent d’expérience que « tôt ou tard, Hyatt va finir par écouter ».

Crédit Photo : O Phil des contrastes

 
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