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La Izquierda Diario
8 de novembre de 2018 Twitter Faceboock

Critique cinéma
High Life : la liberté de l’infini
Georges Camac

Récit d’un voyage aux confins de l’univers, High Life oscille entre réflexion métaphysique sur l’avenir de l’humanité et critique aiguisée de la société. Surtout, il pose en creux notre capacité à la repenser.

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Bien sûr, il y a l’espace dans ce nouveau film de Claire Denis. Celui des plans vertigineux sur le vide intersidéral où le regard s’abime. Ce vaisseau, perdu « quelque part où l’existence n’existe plus »*, est l’expression de l’incommensurable. Les longues années passées dans cette galaxie lointaine et la vitesse astronomique de l’appareil ne semblent rien pouvoir changer à l’immobilisme apparent des images qui se succèdent.

Pourtant, dans cet infini, les corps et les émotions sont loin d’être effacés. Au contraire, la sueur, les larmes et le sang structurent cette épopée futuriste. A bien y regarder, ce vaisseau, c’est aussi celui d’un logis, aménagé de manière prosaïque. Une maison, dont la forme cubique semble incompatible avec toute règle d’aérodynamisme et où un père, Robert Pattinson, élève sa fille. Dans ce lieu qui semble invivable, le petit corps grandit. Cette relation est l’ossature du film, la seule chose qui change, elle est l’espoir d’une situation qui semble sans avenir. Elle exprime l’ambivalence de cet infini : celui d’un endroit où on se perd, mais où on se retrouve, également. Une rencontre des extrêmes symbolisée par le regard que porte Pattinson sur cette petite fenêtre qui donne au dehors, où détresse et imagination se superposent.

Au cours du film, la violence, sous toutes ses formes, est omniprésente. Violence d’abord du projet inhumain d’atteindre les confins de l’univers. Les corps, captés par l’objectif, deviennent des êtres mécanisés, façonnés par les besoins du périple, obligés de tout recycler pour survivre, jusqu’à leurs défections. Les passagers sont soumis à une routine infernale, dans cet espace compartimenté où les comportements sont contraints. 

Cette violence, c’est aussi et surtout celle des rapports humains, des regards qui jugent, des mots qui blessent, des poings qui frappent. Violence de la dépossession à travers la course folle de ce vaisseau sans pilote, chimère d’une société qui plonge dans l’abîme. Violence de ses justiciers qui condamnent des prisonniers à la torture d’un voyage sans retour. Violence enfin, régie par les rapports de genre, dont les femmes sont les premières victimes. 

L’appareil en vol est un refuge pour les membres de l’équipage abîmés par la vie sur Terre. Un monde duquel l’enfant né dans le vaisseau n’a pas souffert. « Tu sais ce que c’est la cruauté ? » demande le père. Le jardin qui nourrit les habitants symbolise, presque mécaniquement, le retour à la nature profonde que provoque l’isolement du voyage. C’est là que les passagers renouent avec leur humanité, bafouée par la brutalité d’une existence impersonnelle. Au milieu de ces plantes, voluptueuses, véritable jardin d’Eden, Pattinson reprend racine. Il accepte l’enfant dont il a la charge, celle qu’il élève avec des gestes tendres et maladroits qui tranchent avec la précision millimétrique habituelle du capitaine galactique. La jeune fille n’est plus ce bébé dont les cris stridents détruisent la consistance de cet être génétiquement supérieur. Elle est cette femme qui ne juge pas son passé et qui n’a pas peur d’avancer dans le monde qui les attend. Elle est cet affront qui le force à poser un autre regard sur le monde. Grâce à elle, il reprend les manettes d’une vie dont il a été spolié.

Dans ce voyage sans arrivée, Claire Denis nous donne le choix. Tout juste suggère-t-elle des points de fuite au spectateur désabusé par l’immensité. Elle nous invite à penser « la fin de l’humanité comme le devenir d’autre chose »*. Un pessimisme du monde présent auquel elle oppose la liberté de l’infini.

*Toutes les citations sont extraites de l’interview réalisée par Libération à l’occasion de la sortie du film

 
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