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La Izquierda Diario
9 de novembre de 2018 Twitter Faceboock

Leurs guerres, nos morts !
Le 11 novembre n’est pas notre armistice !
Joachim Bertin

Que Macron rende hommage à Pétain à l’occasion des commémorations de l’armistice n’est pas anodin. Alors que les dominants cherchent à faire oublier les révoltes ouvrières et de soldats lors de ce conflit mondial, il est important de rappeler que cet armistice n’est pas le nôtre.

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Crédit photo : dessin de Tardi dans "Putain de guerre !"

Les commémorations du centenaire de la Première Guerre Mondiale ont débuté il y a quatre ans, ce qui rappelle dramatiquement la durée de cette guerre, responsable de la mort de plus de 10 millions de personnes. Des commémorations devenues des marronniers, occasion de ressortir les fanions, les cocardes et les drapeaux ; faire chanter la Marseillaise aux écoliers, gommer de nos mémoires les mutineries et la chanson de Craonne. Une occasion pour le pouvoir d’essayer de ressouder les rangs derrière une vague unité nationale. Dans deux jours ce sera l’apothéose, l’armistice, la paix enfin. Mais que représente vraiment le 11 novembre ? Cette question permet de se replonger dans les origines et les conséquences de cette « Grande Guerre de classe ».

Pourquoi la guerre ?

La fin du 19ème siècle est marquée par l’émergence de courants nationalistes agressifs qui rompent avec le sentiment national libéral du début de siècle. Dans la deuxième moitié du siècle, les grands États européens (la France et la Grande-Bretagne en tête) systématisent la conquête coloniale des autres continents. En parallèle avec la découverte de nouvelles régions, les puissances impérialistes se disputent le contrôle du plus vaste empire colonial. C’est dans ce contexte que se dessine une évolution des rapports de force entre grandes puissances.

Si sur le continent européen, c’est l’Empire allemand qui domine depuis son unification en 1871, la France et la Grande-Bretagne sont des puissances coloniales majeures. Les États-Unis apparaissent également comme puissance montante, notamment en arrachant l’hégémonie espagnole sur Cuba et en dominant certaines îles du Pacifique lors de la guerre hispano-américaine de 1898 : ancienne puissance coloniale, l’Espagne comme les Pays-Bas ou encore le Portugal sont relégués au second rang. De même le Japon défait la Russie en 1905 (fait important puisqu’une puissance considérée comme orientale vainc une puissance occidentale), tandis que les appétits impérialistes lorgnent également vers la Chine.

Le nationalisme allemand cherche à cette époque à réparer la contradiction entre une influence continentale majeure, un développement économique de premier ordre et une faible présence coloniale. Ils revendiquent une « place au soleil » et de nombreuses tensions naissent entre les puissances impérialistes (y compris entre la France et la Grande-Bretagne), notamment lors des crises au Maroc (1905 et 1911) entre la France et l’Allemagne. Tous les pays se lancent dans une course à l’armement comme le prouvent les dépenses militaires qui explosent dans les années qui précèdent la guerre. Dès 1912, la situation se dégrade avec la Guerre des Balkans (1912-1913). Dans ce contexte, il est clair que l’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 n’a été que l’étincelle qui a mis le feu à beaucoup de poudre ! La Première Guerre Mondiale est donc une guerre entre impérialismes, une guerre coloniale recentrée en Europe, à un moment où le partage du monde est déjà effectué et que tout marché doit se gagner par la force.

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » Jean Jaurès

Un développement harmonieux sous le capitalisme est une utopie. C’est pourtant ce qu’ont commencé à penser de nombreuses figures de la social-démocratie dès la fin du siècle, divisant le mouvement social-démocrate entre réformistes et révolutionnaires. La guerre mondiale en est une preuve importante. Les conflits inter-impérialistes sont inévitables pour gagner de nouveaux débouchés internationaux. Par ailleurs, la guerre répond à un besoin de destruction de richesses inhérent au capitalisme. Sous la forme de sous-investissement, de licenciements, de fermetures d’usine, de crises ou encore de guerres, le capitalisme détruit pour continuer à produire. Ce qui permet également de mieux comprendre les embellies économiques qui ont suivi les deux conflits mondiaux.

Cette illusion sur la nature du capitalisme a conduit la grande majorité des sections européennes de la Deuxième Internationale, les socialistes étant pourtant les plus fervents défenseurs de la paix avant la guerre, à se fondre dans « l’Union sacrée », c’est-à-dire à soutenir les bourgeoisies de leur pays pour envoyer les ouvriers et les paysans de toute l’Europe se faire massacrer. Une tradition qui ne s’est pas perdue quand on sait que les différents partis socialistes ont continué à soutenir les agressions impérialistes que ce soit la guerre d’Algérie ou plus récemment au Mali. Le « plus jamais ça » qui domine après la « der’ des der’ » est donc bien une utopie, utopie brisée seulement 21 ans plus tard

L’armistice : la paix enfin retrouvée ou des rapports de force internationaux en cours de reconfiguration ?

Les puissances européennes sortent de la guerre avec une économie lessivée et toute entière tournée vers l’effort de guerre. Dans ce contexte, les États-Unis qui ont massivement prêté à la France et à la Grande-Bretagne et qui n’ont pas subi de dégâts matériels importants, sont désormais en position de peser dans les négociations de paix et de s’affirmer comme une puissance de premier plan. Ainsi, ce sont les États-Unis qui posent des préalables importants aux négociations avec les 14 points du Président Wilson qui comportent notamment le droit à l’auto-détermination des peuples, une libéralisation des échanges, adopte une position conciliatrice envers l’Allemagne vaincue pour la réinsérer rapidement dans le marché mondial, la démocratisation des régimes (notamment du Reich allemand) ou encore un projet de système international de gestion des conflits (qui deviendra la Société des Nations).
Des mesures qui entrent en profonde contradiction avec les intérêts français ou britanniques qui se positionnaient déjà de manière agressive pour mettre la main sur le Moyen-Orient et les décombres de l’Empire Ottoman et, qui de manière générale, souhaitaient écraser l’Allemagne.

La paix issue de l’armistice du 11 novembre est un compromis entre les intérêts des États-Unis, de la France, de l’Angleterre et dans une bien moindre mesure de l’Italie. Une situation qui permet d’apercevoir la prise d’influence progressive de l’impérialisme américain sur les impérialismes européens plus traditionnels. La carte de l’Europe est ainsi profondément remaniée et les empires vaincus totalement démembrés lors des différentes tractations et conférences, notamment avec le Traité de Versailles en 1919.

Ces nouveaux États, s’ils sont l’expression de certains acquis territoriaux pour les nationalités opprimées, servent surtout les intérêts franco-britanniques qui cherchent à se procurer une zone d’influence au centre de l’Europe pour cerner l’Allemagne. Les conditions imposées à cette dernière sont particulièrement dures (abandon de toute velléité coloniale, désarmement, pertes territoriales, lourdes réparations de guerre à payer...) et vécues comme un diktat par la population allemande, posant ainsi certaines conditions objectives à un conflit ultérieur.
D’autant que la guerre n’est pas finie. Les conséquences de la guerre vont se faire sentir encore de longues années, notamment lors de la guerre gréco-turque ou encore de l’attaque de quatorze armées impérialistes contre le jeune État soviétique pour tenter d’écraser la révolution. Les différentes bourgeoisies mobilisent également l’armée pour éteindre les différents foyers de contestation allumés par Octobre 1917 et la barbarie impérialiste comme c’est le cas pour la révolution allemande en novembre 1918 et en janvier 1919 où les mutineries des marins et la mise en place de conseils ouvriers font tomber l’Empereur.

Par dessus tout ça, il faut également considérer les conséquences de la guerre qu’il s’agisse des gueules cassées et des mutilés, des centaines de milliers de soldats traumatisés par la guerre, des millions de personnes déplacées, des territoires entiers dévastés. Autant de stigmates de la guerre qui ne seront toujours pas effacés totalement à la veille de la Seconde Guerre Mondiale.

Transformer la guerre impérialiste en guerre contre sa propre bourgeoisie

Pourtant, tout le monde n’a pas été perdant dans cette guerre. Les industriels, les Schneider, Renault, Citroën, Latécoère, Ford, Krupp ont engrangé des profits de guerre phénoménaux. Ce sont eux, ainsi que ceux qui ont conduit des millions d’hommes à l’abattoir, que la bourgeoisie célèbre aujourd’hui : Pétain, Foch, Nivelle, Joffre. Autant d’hommes qui ont gagné leurs galons en menant des expéditions coloniales et en réprimant les mutineries. Ces mutineries ont pourtant fait trembler la bourgeoisie, comme sur le front russe où l’exaspération des soldats et de l’arrière a conduit aux révolutions de Février puis d’Octobre 1917. Malgré la trahison des socialistes de la Deuxième Internationale et de certains anarchistes comme Kropotkine, ralliés à la guerre impérialiste, ce sont bien des grèves et des mutineries qui ont poussé les États belligérants à stopper le conflit. L’État-major allemand a ainsi entamé des négociations pour cesser les combats dès le mois d’octobre 1918, afin d’éviter l’invasion de l’Allemagne et de mettre la responsabilité de la défaite sur le dos des ouvriers qui menaçaient le pouvoir. Une rhétorique du « coup de poignard dans le dos » qui sera ensuite utilisée par le pouvoir militaire et les fascistes.

Ainsi, les puissances impérialistes ont préféré laisser des milliers de soldats continuer à mourir pendant un mois afin de conserver leur ordre social remis en cause par les ouvriers et les paysans. A l’inverse, le premier décret adopté par les bolchéviks lorsqu’ils prennent le pouvoir en octobre 1917 a été de proposer une paix générale, immédiate, sans annexion ni contribution de guerre, à l’ensemble des belligérants.

La Première Guerre Mondiale, c’est la guerre des bourgeoisies impérialistes contre la classe ouvrière internationale. Il n’en a pas été autrement pour l’armistice du 11 novembre. Ce n’est pas notre armistice !

Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau

Chanson de Craonne

 
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