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La Izquierda Diario
30 de juin de 2015 Twitter Faceboock

Pasqua et la violente répression du mouvement contre la réforme Devaquet
Malik Oussekine tabassé à mort par la police en 1986 : ni oubli, ni pardon
Flora Carpentier

Alors que la mort de Charles Pasqua suscite une floraison d’hommages et de témoignages endeuillés dans toute la classe politique, y compris du côté de Valls, mais même, à sa façon de Mélenchon, il est plus que nécessaire de rappeler l’ennemi qu’il était pour notre classe. C’est lui qui, en 1986, alors qu’il était ministre de l’intérieur, avait dirigé la violente répression des manifestations étudiantes ayant conduit au meurtre de l’étudiant Malik Oussékine par ses voltigeurs. Nous republions ici notre article du 5 novembre 2014, paru à une semaine de la mort de Rémi Fraisse, consacré à cet épisode sanglant de la république.

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Jusqu’au meurtre, il y a une semaine, de Rémi Fraisse sous les grenades de la police de Hollande et Valls [1], les forces répressives étaient parvenues depuis plusieurs années à contenir les manifestations avec la brutalité qui les caractérise, sans pour autant en venir à tuer. La mort de Rémi rappelle ainsi le dernier crime policier ayant eu lieu dans le cadre de manifestations : celui de Malik Oussekine, tabassé à mort dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 par deux « voltigeurs » de la police de Pasqua, en marge des mobilisations massives contre la réforme Devaquet.

Contre la réforme Devaquet, la plus forte mobilisation étudiante depuis 1968

Le projet de loi Devaquet figurait sur la liste des contre-réformes que Jacques Chirac entendait entreprendre, lorsqu’il est devenu premier ministre de François Mitterrand suite à la victoire de la droite aux élections législatives de mars 1986, inaugurant la première cohabitation de la Ve République entre une présidence PS et un gouvernement de droite. Après cinq ans de gouvernement socialiste, Chirac prévoyait ainsi un certain nombre de mesures allant dans le sens d’une plus grande libéralisation, notamment dans l’enseignement supérieur. Il charge alors son ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Alain Devaquet d’élaborer, en collaboration avec le ministre de l’Éducation nationale René Monory, un projet de loi visant à donner davantage d’autonomie aux universités, et de les mettre en concurrence. Parmi les objectifs de cette réforme, figurent la sélection à l’entrée de l’université, afin d’adapter les flux d’étudiants aux besoins du marché du travail, et la possibilité pour chaque université de fixer librement ses frais d’inscription.

Mais si ces mesures figuraient encore au menu des dernières réformes de l’enseignement supérieur, qu’il s’agisse de la LRU sous Sarkozy ou de la loi Fioraso sous Hollande, c’est bien parce qu’en 1986, une mobilisation historique de la jeunesse a fait reculer le gouvernement Chirac. Ainsi, pendant les trois semaines qui se sont écoulées entre le 21 novembre et le 10 décembre, les étudiants, rejoints par les lycéens, sont descendus dans les rues par centaines de milliers pour manifester leur colère. En quelques jours seulement, le mouvement avait gagné bon nombre d’universités aux quatre coins de l’Hexagone, où les étudiants se réunissaient en assemblées générales et votaient le blocage. Un appel est lancé pour une manifestation nationale le 4 décembre. Ce jour-là, la mobilisation est à son apogée : entre 500.000 et 600.000 battent le pavé à Paris, et plus d’un million dans toute la France. Les slogans dénoncent les « facs-fric » et les « facs poubelles », réclamant le retrait du projet de loi et la fin de la politique de libéralisation de l’enseignement. La jeunesse exprime massivement son ras-le-bol contre la société, les inégalités et la précarité vécues au quotidien.

Un mouvement réprimé dans une violence inouïe

Pour mener à bien ses réformes, Chirac avait mis en place un programme répressif savamment étudié, en commençant par désigner comme ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, chargé de mettre l’accent sur la lutte répressive contre l’ « insécurité ». Ce dernier avait ainsi fait voter en août une série de loi contre la criminalité, la délinquance, le terrorisme et les atteintes à la sûreté de l’État. Il était aussi le brillant inventeur, avec son ministre délégué à la sécurité Robert Pandraud, des pelotons de « voltigeurs ». Il s’agissait de binômes de policiers à moto, l’un conduisant, l’autre armé d’une matraque, tout spécialement conçus pour réprimer les manifestations et "nettoyer" les rues en fin de journée. Fonçant sur tout ce qui bouge, montant sur les trottoirs tous phares éteints pour isoler les « casseurs » et les passer à tabac, ces troupes de choc font la terreur des manifestants. A chaque manifestation, des dizaines d’étudiants sont blessés.

Le 4 décembre, la mobilisation est dispersée dans une violence inouïe, à coups de gaz lacrymogènes et de charges policières, qui font au moins deux blessés graves. Le soir, à Jussieu, les étudiants votent une motion de protestation contre les violences policières. Le lendemain, 30.000 manifestants défilent à nouveau dans les rues de Paris, scandant : « Monory, t’es pourri, y’a du sang sur ta copie ». Mais rien n’arrête le gouvernement, qui poursuit son escalade répressive.

Le tabassage à mort de Malik Oussekine par la police, point d’orgue de l’escalade répressive

Dans la nuit du 5 au 6 décembre, alors que la Sorbonne vient d’être évacuée, la police traque les derniers « casseurs » qui pourraient traîner dans le quartier latin. Malik Oussekine, 22 ans, français d’origine algérienne étudiant à Dauphine, a le malheur de se trouver là. L’histoire raconte qu’il sortait d’un club de jazz et n’avait même pas manifesté. Quoi qu’il en soit, les mots sont faibles pour décrire la violence policière qui s’est déchaînée sur lui ce soir-là. Témoin du drame, un fonctionnaire au ministère des Finances a rapporté les faits de la sorte : « Je rentrais chez moi. Au moment de refermer la porte après avoir composé le code, je vois le visage affolé d’un jeune homme. Je le fais passer et je veux refermer la porte. Deux policiers s’engouffrent dans le hall, se précipitent sur le type réfugié au fond et le frappent avec une violence incroyable. Il est tombé, ils ont continué à frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier : ’je n’ai rien fait, je n’ai rien fait’ ». Le témoin a dit avoir lui aussi reçu des coups de matraques en voulant s’interposer. Ce n’est que quand il a sorti sa carte de fonctionnaire que les assassins se sont décidés à prendre la fuite. Le SAMU arrivait peut de temps après, mais il était déjà trop tard pour Malik [2]. A l’hôpital Cochin où il a été emmené, les médecins ont constaté plusieurs hématomes au visage, une fracture de la cloison nasale, une abrasion du nez et de la joue droite. Ils se sont également aperçus que Malik était atteint d’une déficience rénale, ce qui fera dire à Robert Pandraud : « Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais d’aller faire le con la nuit » ; des propos qui choqueront l’opinion générale, tout autant que la violence policière déchaînée contre les manifestants et dont Malik a payé le prix fort.

Alors que le mouvement se durcit et menace de s’étendre, le PS appelle au « silence »

Le lendemain du crime policier, sitôt répandue la terrible nouvelle, la colère et la détermination s’emparent de plus belle du mouvement, et une manifestation s’organise spontanément en direction de l’hôpital Cochin, rassemblant entre 30.000 et 40.000 personnes. Sur les pancartes, on peut lire « Ils ont tué Malik », mais aussi des slogans plus politiques tels que « Universités : 1 mort, la sélection commence ». Pour le Parti Socialiste, qui jusqu’à présent n’était pas parvenu à contenir la colère des manifestants et s’étaient largement fait dépasser par le mouvement, l’occasion est trop belle : leurs militants à l’UNEF s’emparent de la tête du cortège et se servent de la mort de Malik pour appeler au silence. Certains cris de colère se font entendre, aussitôt tus par des « chut », transformant la manifestation en marche blanche, dans un climat d’enterrement et de deuil. Mais alors que militants sociaux-démocrates s’efforçaient de détourner le cortège vers l’extérieur de Paris, la détermination des manifestants parvint à déjouer leur manœuvre et conduire le cortège vers le centre de la capitale pour terminer devant l’hôtel de Ville où résidait Chirac, également maire de Paris. Le soir du 6 décembre, la Coordination Nationale Etudiante vote la poursuite du mouvement jusqu’au retrait du projet de loi. Certaines interventions appellent même à aller plus loin en exigeant la démission de Chirac. La politisation du mouvement est palpable. L’AG finit par appeler l’ensemble de la population et des syndicats ouvriers à des débrayages le 8 décembre, et à une journée de grève générale et de manifestation le 10 décembre.

A ce stade, la mobilisation étudiante menace clairement de s’étendre chez les travailleurs et de déclencher une véritable crise sociale, des grèves, et peut-être même une grève générale qui pourrait mettre en déroute le gouvernement. Constatant l’étendue de la menace, Mitterrand et Chirac vont alors tout faire pour enterrer définitivement le mouvement, en donnant satisfaction à sa revendication principale : le 8 décembre, à l’issue de nouvelles manifestations, Chirac annonce le retrait du texte et la démission de Devaquet. De son côté, René Monory annonce l’abandon des réformes sur les lycées. Des manifestations ont encore lieu jusqu’au 10 décembre, mais une grande partie de la jeunesse s’est démobilisée, et les organisations du PS parviennent à imposer le silence, au prétexte du deuil de Malik Oussekine. Le Parti Socialiste parle volontairement de « victoire mais à quel prix », une façon de faire taire définitivement la colère de la jeunesse.

Malik, Zyed et Bouna, Rémi… à bas les crimes d’Etat !

Si les crimes policiers de Malik Oussekine et Rémi Fraisse sont les derniers en date ayant eu lieu en France dans le cadre ou en marge de manifestations, moins rares sont les meurtres de jeunes de banlieues par la police. Dans notre société et sa justice à deux vitesses, ces actes odieux sont couramment qualifiés de « bavures policières », pour minimiser la gravité des crimes d’Etat contre ceux que l’on a pris l’habitude de faire passer pour « casseurs » ou des « délinquants ».

Ainsi, le 27 octobre 2005, Zyed et Bouna, deux adolescents de 17 et 15 ans mourraient électrocutés dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois, alors qu’ils étaient pourchassés par la police, ce qui déclenchera l’impressionnante révolte des banlieues de 2005. Après que les familles des victimes se soient battues pour que l’affaire ne soit pas étouffée, les rapports d’enquête révèleront que l’un des meurtriers avait en quelques sortes anticipé le drame, en prononçant la phrase cynique « s’ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau ». Malgré les preuves, il a fallut que les proches des victimes s’acharnent pour que les deux policiers soient enfin jugés en correctionnelle en 2013, au motif dérisoire de « non-assistance à personne en danger ».

En 1986, le crime policier de Malik Oussekine s’était également soldé, plus de trois ans après les faits, par la seule condamnation des deux assassins à 5 et 2 ans de prison avec sursis, au prétexte de « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Dans sa presse, le Front National allait même jusqu’à accuser la victime : « Des Français comme les Oussekine, on peut s’en passer […]. On se souvient de la mort du petit casseur gauchiste nommé Malik Oussekine. Malgré son état de santé lamentable, il n’avait pas hésité à attaquer en pleine nuit les forces de police chargées du maintien de l’ordre ». Après les faits, les pelotons de voltigeurs avaient été dissous, mais Pasqua était resté à son poste.

Après l’assassinat de Rémi Fraisse, le gouvernement Hollande-Valls a cherché à camoufler les faits et à faire taire la colère populaire en interdisant les manifestations. A la gauche du gouvernement, les déclarations ne valent pas beaucoup mieux, restant dans le champ de la défense de « l’ordre républicain » [3]. Sarkozy quant à lui s’est empressé de dénoncer les mensonges et le silence du gouvernement Hollande. Mais doit-on rappeler qu’en 2005, alors ministre de l’Intérieur, il avait déclaré publiquement au lendemain de la mort des deux adolescents, que toute faute policière était à exclure, allant jusqu’à accuser les victimes de vol sur un chantier ?

Non, les « bavures » policières n’existent pas : que ces assassins s’en prennent à des jeunes de banlieues ou à des manifestants, leurs crimes ne peuvent être jugés autrement que comme des homicides volontaires que rien ne peut justifier. Par nos mobilisations, exigeons que ces crimes d’Etat ne restent pas impunis.

05/11/14

 
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