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La Izquierda Diario
30 de juin de 2015 Twitter Faceboock

Le débat sur l’avortement en Amérique latine relancé
Long chemin pour le droit à l’avortement en Amérique latine (partie I)

Malena Vrell

Elle a dix ans. Le cas de cette jeune fille paraguayenne vient de faire le tour du monde, soulevant notre rage la plus profonde. Enceinte après avoir été violée par son beau-père, la législation de son pays lui empêche d’avorter, sa vie n’étant pas jugée suffisamment « en risque ». À son image, des milliers de filles et de femmes se confrontent, en Amérique latine, au drame des violences sexuelles et au cynisme des États qui, loin d’offrir des voies de secours, culpabilisent, criminalisent les femmes qui osent disposer librement de leur corps.

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Depuis quelques semaines, le débat sur l’avortement est remis sur le tapis en Amérique latine, la région au monde ayant, pour plusieurs pays, la législation la plus restrictive par rapport à l’avortement. D’après Amnesty International, alors que dans le monde 98% des pays autorisent l’avortement lorsque la vie de la femme enceinte est en danger et deux tiers lorsqu’il s’agit de sa santé physique et mentale, 4 des 5 pays criminalisant l’avortement sans exception se trouvent en Amérique latine et aux Caraïbes, avec des peines pouvant aller jusqu’à 50 ans de prison. Et pourtant, c’est aussi cette région qui ces dernières années a connu un essor de la « gauche » au pouvoir. Une « gauche » qui d’ailleurs, est aussi représentée par des femmes à la présidence comme c’est le cas du Chili, l’Argentine ou le Brésil. Comment donc comprendre ce décalage ? Que nous montre la politique en matière des droits des femmes sur cette « gauche » au pouvoir ? À quels obstacles les femmes luttant pour la libre disposition de leur corps doivent-elles faire face ?

L’Amérique latine, un état des lieux

En Amérique latine, le Nicaragua, le Chili, Honduras et El Salvador interdisent l’avortement, quels que soient les motifs et les circonstances en le réprimant pénalement. Chaque année, ce sont donc plus de 2000 femmes latino-américaines qui meurent des suites d’un avortement dans une région où 95% des IVG sont pratiquées de façon clandestine.

Le Salvador est un cas extrême, où actuellement 29 femmes sont confrontées à des peines allant jusqu’à 40 ans de prison pour avoir avorté. Et ceci, malgré le fait que l’avortement soit survenu suite à un viol. Et dans le cas de fausses couches, elles deviennent trop « suspectes » pour que l’on puisse leur donner raison. Victimes quotidiennes de violences sexuelles, la plupart d’entre elles ont moins de 17 ans.

Quelques pays comme le Brésil, la Colombie ou l’Argentine ne pénalisent pasl’avortement si et seulement s’il y a un risque mortel pour la mère, ou si la grossesse est le fruit d’un viol. Avoir été violée ou être sur le point de mourir, voici les seuls moyens d’éviter de se retrouver derrière les barreaux quand on avorte. Mais néanmoins, la stigmatisation se poursuit dans une société où la banalisation de la violence envers les femmes se double du mépris envers leur vie. Criminelles, donc, si elles ont recours à un avortement en dehors de ces deux situations, mais coupables toujours, car même si l’avortement fait suite à un viol, quelque part, elles ont bien dû « le chercher ». Dans tous les cas, l’avortement reste extrêmement difficile d’accès, en raison des circonstances, et aussi à une liste de démarches infinies, d’intermédiaires, de preuves de la véracité des cas, et n’est donc pas un libre choix. Dans la région, seuls Cuba, Porto Rico et la Guyane permettent d’avorter avec des garanties légales. Les uruguayennes et mexicaines du District Fédéral sont par ailleurs les seules à ne pas avoir à justifier auprès de tiers leur volonté d’avorter. Mais même dans ces pays ayant des lois moins restrictives, la manque de volonté politique, l’ambiguïté ou le flou sur sa légalité, le manque d’information, poussent finalement une grande partie des femmes à prendre la décision de garder l’enfant contre leur gré.

Le paysage de l’Amérique latine est bien dramatique. Mais le meurtre, loin de se trouver du côté des femmes ayant recours à l’avortement, se situe plutôt du côté des politiques menées par ces gouvernements. Car en effet, ce sont ces derniers qui sont responsables du fait que 17% de la mortalité féminine soit due à des avortements clandestins. Parmi les 3,7 millions d’avortements clandestins qui sont pratiqués tous les ans en Amérique latine, près de 2 millions occasionneront chez les survivantes des séquelles souvent irréversibles, car n’ayant pas pu avoir accès aux soins nécessaires. L’argument du « droit à la vie », qui cautionne la mort de milliers de femmes et la naissance de milliers d’enfants non désirés, est l’ironie tragique faisant encore la loi dans une vaste portion de la région.

La goutte de trop : mobilisations et rapport de force

Ce sont bien souvent les cas les plus ahurissants qui déclenchent les mobilisations les plus massives, face à un ras-le-bol généralisé d’oppressions quotidiennes.L’Amérique latine, durant ces deux dernières années, a été largement marquée par celles-ci.

Amnesty International a ainsi mis en place la campagne #Niñaenpeligro (fille en danger) et plus de 65000 signatures sont parvenues au gouvernement paraguayen pour soutenir l’avortement de la jeune fille enceinte à 10 ans. Mais « trop tard », s’est empressé de répondre cyniquement le gouvernement il y a quelques jours : « la fillette a dépassé les 20 semaines de grossesse, il fallait le faire avant ».Rien qu’à l’hôpital de Clínicas à Asunción, capitale du Paraguay, 700 filles entre 10 et 14 ans, victimes de violences sexuelles, ont dû accoucher l’année dernière. Ce cynisme de l’Etat est par ailleurs soutenu bien souvent par un corps médical décomplexé partageant la ligne des institutions, puisqu’il est contraint par la loi à signaler tout « possible avortement », sous peine d’en être considéré comme complice. Anibal Peris, doyen de la faculté de médecine du Paraguay et directeur de l’hôpital connu sous le nom de « l’hôpital des pauvres », se félicite d’affirmer qu’en 2014 il avait accueilli 14 filles âgées entre 9 et 15 ans pour qu’elles y accouchent, et que « toutes s’en étaient bien sorties ». Le nom de l’hôpital n’est ainsi que l’écho le plus triste du sort qui est réservé aux couches les plus pauvres de la société.

Face à la présence des secteurs réactionnaires à la tête du pouvoir et du corps médical dans une région marquée par une très forte influence de l’Église, des mobilisations n’ont pas tardé à éclater. Témoignant ainsi du fait que la volonté de la population n’est en réalité pas représentée par les législations qui, dans la région, datent souvent du XIX siècle.

Suite à de multiples manifestations, la République Dominicaine a finalement dépénalisé l’avortement en décembre dernier, mais seulement en cas de viol ou d’impossibilité de survie de l’enfant à la naissance. LeChili, qui jusque-là se trouvait parmi les pays n’autorisant pas l’avortement quelles que soient les circonstances, emprunte le même chemin. Vers la fin 2014, ont été rendus publiques des sondages indiquant que 79% de la population chilienne se prononçait pour la dépénalisation de l’avortement, et parmi lesquels 19% était pour un avortement libre et sans conditions. En janvier, la présidente Michel Bachelet a ainsi avancé un projet de loi visant à dépénaliser l’avortement en cas de viol, et qui devrait être étudié dans les prochains jours. Le Pérou ayant aussi mis sur le tapis la question de la dépénalisation de l’avortement en cas de viol, a quant à lui connu un échec important. Le rapport de force est en effet loin d’être homogène dans la région. La réouverture du débat sur l’avortement thérapeutique (en cas de risque grave pour la santé de la femme enceinte), a mobilisé massivement les secteurs les plus réactionnaires. Lima a connu ainsi une de ses manifestations les plus importantes de ces derniers temps, avec 500 000 personnes dans les rues « pour la vie ». Le projet a donc été abandonné sans surprise. Mais non sans espoirs.

Mais la bataille ne fait que commencer. Les collectifs et organisations pour la défense des droits des femmes se multiplient, sortent, se réunissent, s’organisent pour agir. La réouverture panaméricaine du débat contribue par ailleurs à la mise en place de campagnes qui dépassent le cadre national, dont un des exemples majeurs est la campagne#NiUnaMenos menée en Argentine. Ayant mobilisé plus de 150 000 personnes pour la lutte contre les violences faites aux femmes elle a aussi permis d’aborder les conséquences souvent mortelles des avortements clandestins, traductions matérielles d’un féminicide d’État. Sa reprise dans d’autres pays, tels que le Pérou ou la Bolivie, montre le ras-le-bol partagé face à ces États qui bougent très difficilement pour la défense des droits des femmes. Et elle traduit dès lors la nécessité et la volonté d’organisation et de lutte indépendante des gouvernements, même de « gauche », de façon à « arracher » les droits, qui, comme le précise un slogan bien connu des manifestations pour le droit à l’avortement, « ne se mendient pas » mais « s’exigent ».

30/06/15.

 
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