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La Izquierda Diario
13 de décembre de 2018 Twitter Faceboock

« J’ai vite compris qu’ils cherchaient à me pousser à bout et à m’humilier »
Arrestation préventive : « 50h de garde à vue pour une paire de lunette et un mini fumigène »

50 heures de garde à vue, ponctuées de nombreuses humiliations, pour... une paire de lunettes de protection et un « mini fumigène ». Marie* étudiante gardée à vue « préventivement » le 8 décembre dernier, nous a fait parvenir un témoignage, que nous publions ci-dessous. *Marie est un nom d’emprunt.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Arrestation-preventive-50h-de-garde-a-vue-pour-une-paire-de-lunette-et-un-mini-fumigene

Photographie de Serge D’ignazio

Bonjour, je m’appelle Marie et je suis une étudiante de 20 ans. J’habite à Chatelerault et pour la deuxième fois ce samedi 8 décembre je suis montée à Paris pour soutenir la mobilisation. Je me comporte toujours de manière pacifiste, bien que la seule violence que je condamne soit celle du gouvernement. Sachant que la police utiliserait n’importe quel prétexte pour nous embarquer, j’ai fait attention à ne rien emmener qui puisse être considéré comme une arme. Mais je ne me voyais pas partir sans protections, ayant été légèrement blessée le 1er décembre.

Nous sommes arrivés à Paris vers 9h, nous étions une quinzaine. Nous avions plusieurs kilomètres à parcourir à pieds pour rejoindre la manifestation. Au bout de 5 minutes de marche nous avons subi une première fouille. Deux minutes plus tard, cette fois plus nombreux, des policiers nous ont refouillés, et ont embarqué trois d’entre nous à cause de leurs protections aux tibias ou pour possession de peinture. Cent mètres plus loin, c’est cette fois une vingtaine de policiers, bacqueux et militaires qui nous ont interpellés, nous demandant directement de nous aligner face au mur – ce que nous avons fait.

Cette troisième fouille fut beaucoup plus intense et tendue. Nous avons été entièrement fouillés et tâtés. Voyant mes protèges tibias et mes lunettes, j’ai été la première menottée, avec l’intention de m’emmener au commissariat. Quelques minutes plus tard ils ont trouvé un mini fumigène que j’avais oublié dans mon sac et que je ne comptais pas utiliser. Deux autres amis se sont faits menottés pour possession de masques, ceux qui ont pu repartir sont repartis sans rien, ni sérum ni gants d’hiver etc.

Au commissariat, après un temps d’attente, deux femmes ont fait l’inventaire de mon sac, analysé mes vêtements, tout en moquerie, avec un ton irrespectueux. Les cellules étaient déjà toutes surchargées, j’ai été emmenée dans la seule cellule de femmes. Elles étaient trois, là depuis plusieurs heures déjà, embarquées à la sortie de leur bus vers 7h pour port de lunettes. Nous étions donc quatre dans une cellule prévue pour une seule personne, entassée sur l’unique petit matelas, avec une couverture bien trop sale pour être utilisée. Les toilettes étaient bouchés d’excréments, le sol et les murs recouverts d’urine, il y avait des insectes morts, de vieux déchets et j’en passe.

Après un moment on est venu me chercher pour prendre ma déposition. J’ai donné les renseignements obligatoires, mais j’ai refusé de donner mon numéro de téléphone, bien qu’ils essayaient de me faire croire que c’était obligatoire, et aucune information concernant les personnes qui m’accompagnaient. Ils ont essayé de faire passer mon fumigène pour un engin explosif, je leur ai fait corriger. En revanche, ils ont réussi à me convaincre que celui-ci était interdit et j’ai donc fini par répondre que oui, je reconnaissais les crimes dont j’étais accusée, c’est-à-dire possession d’objets dangereux et groupement en vue de commettre des violences. J’ai regretté par la suite mais on ne m’a pas laissé changer ma déposition.

Je n’ai pas demandé d’avocat ni d’appel, pensant sortir dans la journée. Vers 15h ils nous ont emmenées notre repas et à partir de là j’ai demandé un médecin à chaque fois qu’ils passaient. On avait un gobelet pour quatre. Fatiguée, affamée et trop serrée sur l’unique banquette, j’ai fini par me coucher par terre dans l’urine.

Nous étions traitées par la majorité des policiers comme des moins que rien, des criminels. En début de soirée les trois autres ont été libérées, à partir de là je serai la seule femme. Ils sont passés de cellules en cellules pour annoncer aux gens s’ils étaient prolongés ou libérés, mais personne n’est venu me voir. Ensuite deux femmes passaient pour demander si on voulait un médecin ou un avocat, encore une fois ma cellule a été sautée. Je les ai appelées en pleurant, encore une fois pas de réponse. Pas de retours non plus quand je demandais aux policiers un gobelet propre ou du PQ, ou que les vieux déchets soient débarrassés, ou un médecin. J’ai vite compris qu’ils cherchaient à me pousser à bout et m’humilier. Ils étaient clairement particulièrement durs avec moi. J’ai commencé à faire des crises de panique à répétition. Face à leur indifférence je me suis mise à parler à la caméra, essayant de leur faire comprendre d’appeler ma maman, devinant que j’étais prolongée étant donné l’heure tardive.

Au bout d’un moment on est venu me chercher, me demandant de prendre toutes mes affaires. J’ai cru que j’allais être libérée. Il était minuit passé. En fait, on m’a emmené dans une cellule pour mineur, car isolée des autres, là ou plus personne ne pouvait m’entendre. C’était clairement une punition. J’ai lu sur leur visage qu’ils étaient énervés. Il n’y avait ni eau ni toilettes. Quand je les appelais ils ne me répondaient pas, le seul qui l’a fait s’est fait réprimander.

Vers midi, le lendemain, quelqu’un est venu me voir et m’a dit « comme vous avez dû le deviner votre garde à vue a été prolongée, on a trouvé des éléments susceptibles de prouver que vous étiez là pour commettre des violences, vous serez transférée vers 18h au tribunal et passerez la deuxième nuit là-bas ». J’ai demandé cette fois un avocat, redemandé un médecin, et je leur ai donné le numéro de ma mère pour qu’ils la préviennent. J’ai appris par la suite qu’ils lui avaient dit que j’avais vu un médecin, ce qui était faux. J’ai vu mon avocate et elle m’a dit que c’était des rafles préventives, que je n’aurai surement aucune poursuite ; mais elle m’a laissé sa carte, au cas où, et elle leur a demandé de l’eau pour moi.

On a pris mes empreintes, mon ADN, et c’est un homme qui a pris mon tatouage en photo, pendant que je cachais mes seins avec mon bras libre. Vers 18h j’ai finalement vu la médecin qui m’a donné un anxiolytique. C’est seulement vers minuit qu’on a été transféré au tribunal. En attendant de me trouver une cellule, on m’a placée en cellule collective sans matelas ni couverture ni toilette ni eau, pendant que les hommes étaient placés avec un repas et une couverture chacun. Vers 3h30 du matin je les ai appelés car j’avais froid et soif, et on m’a finalement trouvée une cellule. Il n’y avait plus de couverture, j’en aurai une au matin. J’ai aussi réussi à obtenir un haut propre, car le mien était plein d’urine, et le matin on m’a apportée une lingette. Vers 12h on m’a emmenée voir le procureur, qui m’a donnée un rappel à la loi, et j’ai été libérée à 12h30. Mes amis étaient déjà sortis et m’attendaient dehors.

Voilà ce que j’ai subi pendant 50h. Pour une paire de lunette et un mini fumigène, sans même avoir pu aller manifester, ce que je comptais faire pacifiquement. Mis à part l’enfermement et le manque de repères, le plus dur fut l’humiliation due au manque d’hygiène et au manque de considération de la majorité des forces de l’ordre. Je n’avais aucun antécédent judiciaire. Excepté une légère déshydratation et mes droits bafoués, j’en suis bien ressortie indemne. 

Crédits photo : © AFP/ DAMIEN MEYER

 
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