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La Izquierda Diario
18 de décembre de 2018 Twitter Faceboock

L’Argentine après #MeToo
Une actrice argentine victime de viol : de la dénonciation à la lutte collective
Homa de la Bahía

Thelma Fardín, actrice argentine, raconte son viol, à travers une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, et accuse un célèbre acteur du pays. “Ceci n’est pas une dénonciation individuelle : c’est un mouvement” déclarent Thelma et l’association Actrices Argentinas

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Crédit photo : DR

Le comédien Juan Darthés aurait abusé de l’actrice Therlma Fardin quand elle avait 16 ans et lui 45 lors d’une tournée au Nicaragua. « Il m’a jetée sur le lit, a retiré ma culotte et a commencé à me faire un cunnilingus. Je lui disais non. Je lui répétais qu’il avait des enfants de mon âge, il s’en fichait », explique-t-elle. « Il a pris ma main et m’a dit : “Regarde dans quel état tu me mets”, me faisant sentir son érection. » « Je continuais à dire non, il m’a introduit ses doigts et m’a pénétré », ajoute-t-elle.

L’acteur en question nie le fait, mais ce n’est pas la première fois qu’il est accusé de viol, quatre autre actrices ont déjà témoigné auparavant être victimes de harcèlement et d’abus sexuel de sa part.

L’association Actrices Argentinas, qui regroupe plus de 400 femmes, a énormément soutenu la cause de Thelma. “No nos callamos más” (“On ne se tait plus”) a été leur slogan. Face au “Regarde dans quel état tu me mets” du comédien, les actrices répondent “Regarde dans quel état tu nous mets, fortes et unies”. Les actrices ont convoqué une conférence de presse où elles déclarent faire partie du mouvement #MeToo, et #NiUnaMenos, mouvement à portée internationale qui commence en Argentine pour lutter contre les féminicides et qui plus tard initiera la Marea Verde (mouvement pour légaliser l’avortement en Argentine).

Elles ont présenté un texte commun où elles mettaient en lumière des caractéristiques spécifiques de leur milieu de travail et les différentes formes que prend la violence : 66% des comédiennes affirment avoir été victimes de harcèlement et/ou d’abus sexuel, « cela ressemble plus à une règle qu’à une exception » déclarent-t-elles. Elles dénoncent les inégalités dans l’industrie du spectacle, où on retrouve de nombreux abus de pouvoir, elles dénoncent l’absence de protocoles pour faire face à ces situations, elles mettent en avant le fait que la Justice et l’État sont responsables.

De leur côté, les médias traditionnels argentins ne questionnent en aucun cas les conditions discriminatoires et inégales de travail et se centrent uniquement sur l’histoire individuelle de Thelma, en exigeant plus de détails et plus de preuves ; en laissant de côté la construction d’un collectif de femmes qui dénonce l’industrie cinématographique composée par des patrons, des producteurs et surtout par une grande inégalité du travail qui prépare le terrain des abus sexuels.

À la suite du témoignage de Thelma, de nombreuses femmes racontent leur expérience en montrant que ce n’est pas uniquement un cas isolé, mais qu’on à faire de manière systémique à des discriminations, dévalorisations, inégalités et oppressions qui touchent toutes les femmes. Ce qui nous mène aussi à penser que derrière ces voix qui osent témoigner, il y a des milliers de femmes qui ne veulent ou ne peuvent pas parler, des milliers de voix noyées dans le silence de l’exploitation, la précarité, la discrimination raciale, xénophobe et lesbophobe.

L’anthropologue Rita Segato avertit sur le risque de “dépolitisation de ce qui se passe” en transformant la dénonciation en un spectacle médiatique. « Je ne veux pas uniquement réconforter un victime qui pleure. L’important c’est comment est-ce qu’on éduque la société pour comprendre le problème de la violence sexuelle comme un problème politique et non moral », affirme-t-elle dans un entretien.

Elle parle aussi de la singularité politique de l’ordre patriarcal et explique que la scène du genre est une scène de pouvoir. À travers cette perspective, le viol n’est pas conçu comme une question sexuelle mais comme une relation de pouvoir. Pour elle, « le féminisme ne doit pas transformer les hommes en des ennemis naturels. L’ennemi c’est l’ordre patriarcal, qui parfois peut être représenté par des femmes. » Thelma exprime quelque chose de similaire, pour elle « ce système qui marchait avant, perd aujourd’hui son pouvoir. Mais elle ne veut pas qu’on change le pouvoir de mains. Elle veut qu’on construise quelque chose de nouveau. »

À cette discrimination au sein de l’industrie cinématographique on ajoute le cas de Andrea López. Son cadavre a été trouvé après qu’elle ait été assassinée par son mari. Elle avait porté plainte sept fois, car elle était victime de menaces, blessures et abus sexuels. Ces dernières ont été classées par la Justice alors que l’affaire avait été qualifiée de “haut risque”.

De plus, dix mille femmes sont allées manifester dans la ville de Buenos Aires, répudiant l’impunité avec laquelle la Justice avait clôturé l’affaire du féminicide de Lucia Pérez, alors que les forces policières (les mêmes qui ont toujours été impliquées dans les grands délits comme la traite de femmes) réprimaient des manifestations, composées majoritairement de femmes, à quelques rues de distance.

Des milliers de femmes sont mobilisées cette année en Argentine pour la légalisation de l’avortement, aux côtés de leurs camarades hommes. La chambre aristocratique et réactionnaire du Sénat a empêché la loi de passer, à cause de la forte influence de l’église, alors que la moitié des députés avaient voté pour et que cette loi aurait pu éviter de nombreux décès de jeunes femmes pauvres, provoqués par l’avortement clandestin.

De nombreuses manifestations de professeurs et d’infirmières ont réclamé la fin des licenciements et de la précarité. Les travailleuses de la métallurgie, avec leurs camarades, ont fait face à une énorme répression à Buenos Aires. Des milliers d’étudiantes avec leur foulard vert se sont aussi mobilisées pour la défense de l’éducation publique. Tout cela s’est déroulé pendant que le gouvernement argentin négociait avec le FMI un endettement qui va peser sur les dos des travailleuses et des secteurs les plus pauvres de la population, augmentant la précarité, le nombre d’heures de travail et leur charge de travail domestique gratuit pour faire face à l’inflation et à la cherté de la vie.

Ce système d’exploitation de la grande majorité est doublement lourd pour les femmes. Ses bénéficiaires soutiennent les plus ancestraux préjugés patriarcaux pour diviser les exploités des exploitées, pour nous transformer en rivaux de nous-mêmes, pour que ceux qui devraient être nos collègues et camarades nous discriminent et pour reproduire cette violence persistante, quotidienne et invisible en nous faisant croire que c’est naturel.

Quand les moyens de communication arrêteront de parler de Thelma, il y aura d’autre Thelmas, comme il y en a eu avant et comme il y en a actuellement. Mais la confirmation du fait que ça ne soit pas le seul cas, loin de nous démoraliser ou de nous conduire à une bataille continue contre d’autre Darthés, doit nous fortifier dans notre lute pour renverser ce système infâme. Parce que ni le patriarcat, ni l’exploitation capitaliste ne tomberont sans que nous les renversions.

 
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