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La Izquierda Diario
4 de janvier de 2019 Twitter Faceboock

Une fausse alternative
Italie. Après le bras de fer avec Bruxelles, Rome met en place un budget d’austérité
Petra Lou

Si le bras de fer entre l’Italie et l’Union Européenne a été un foyer ravivé par les flammes du nouveau gouvernement populiste de Salvini (Ligue du Nord) et Di Maio (Mouvement 5 étoiles), l’heure est aujourd’hui à l’apaisement. En effet, le gouvernement italien a revu à la baisse le déficit du budget 2019, passant de 2,4% du PIB à 2,04%, laissant loin derrière les discours de rupture avec l’UE des deux chefs de l’exécutif défiant les règlements européens.

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« Nous ne reculons pas d’un millimètre, on ne touche pas aux 2,4 %, je me fous de Bruxelles » : avait affirmé Salvini au mois de novembre. Un mois plus tard, les choses ont bien changé. Le chef du gouvernement, Giuseppe Conte, justifie cette pacification en affirmant vouloir éviter une procédure d’infraction pour son pays. L’heure est donc bien au dialogue entre Bruxelles et Rome.

Le 23 octobre la commission européenne avait refusé le budget de déficit de 2,4% du PIB qu’avait proposé le gouvernement italien -. Après avoir cédé et proposé in extremis un nouveau à 2,04%, force est de constater que cet accord avec Bruxelles signifie un plan d’austérité général en Italie, avec des coupes budgétaires de 7,5 milliards d’euros, portant un coup en premier lieu aux deux réformes majeures prévues par la coalition Ligue du Nord et du Mouvement 5 étoiles au gouvernement, c’est-à-dire le revenu universel et la "quota 100" ou la réforme des retraites. Le vice premier ministre a répondu cyniquement aux encouragements de Bruxelles après cet accord que celui-ci « va de l’avant, les décimales changent, mais la substance reste la même » comme si ces 7,5 milliards d’euros n’allaient rien changer aux promesses qu’il avait faite avec son gouvernement. Pour revenir sur ces deux réformes phares du gouvernement, il faut dire qu’elles sont des promesses faites à la base électorale du M5S et de la Ligue, notamment en vue des élections européennes à venir. Il y a d’abord le « revenu citoyen », porté par le Mouvement 5 étoiles, qui s’apparentait plus au « revenu universel d’activité » brandi par Macron en France, qui prévoit de conditionner les aides sociales sur l’acceptation d’un emploi, quelques soient les conditions ; et la réforme des retraites, le "Quota 100", qui était un compromis pour partir plus tôt à la retraite, à 62 ans, si on avait travaillé pendant au moins 38 ans, autrement dit une somme de 100.

Selon Giuseppe Conte, le chef du gouvernement, la proposition du nouveau budget « ne compromet en rien les intérêts des Italiens ni les réformes programmées. J’ai quelques projections sur l’impact économique de la quota 100 et du revenu de citoyenneté. Cela peut me donner une marge de manœuvre à dépenser et à utiliser dans la négociation » avec l’UE. Il n’a cependant donné aucun chiffre, ajoutant qu’il gardait de la réserve pour que la négociation fonctionne. Mais les chiffres sont là.

Difficile pour le gouvernement aujourd’hui de garder comme blason celui des promesses tenues aux italiens : ce recul sur le budget du déficit démontre que ceux qui jouaient le jeu de dénoncer le projet néolibéral de l’Union Européenne mènent en fait en Italie une politique qui s’inscrit dans la continuité de l’austérité et de la flexibilisation du travail portée par Bruxelles. Toutes proportions gardées, ce recul rappelle l’expérience de Tsipras qui, en 2011 avait capitulé face à la Troika alors qu’il promettait de la défier. Le projet italien devient la démonstration du mensonge du [projet populiste comme alternative au néolibéralisme http://www.revolutionpermanente.fr/Le-Pen-Salvini-Orban-ces-projets-populistes-contraires-aux-interets-des-Gilets-Jaunes].

Mais, derrière les discours sereins de Conte, le vote du 29 décembre sur les finances de 2019 ne s’est pas passé dans le calme, et a créé des frictions dans la coalition gouvernementale. C’est le Mouvement 5 étoiles qui a pris le plus de coups à l’intérieur de ses propres rangs. Très critiqué pour son manque de démocratie interne, le Parti a en effet procédé à une discipline très stricte pour ceux qui se sont opposés au projet de loi : ce sont quatre personnes qui ont été exclues, dont deux sénateurs et deux députés européens. « Ceux qui ne soutiennent par le contrat de gouvernement sont dehors » a dit à leur propos Luigi Di Maio. En ce sens, une partie de la base du M5S a vivement critiqué le changement d’agenda du parti, remplaçant l’écologie et l’anti-pauvreté par un projet anti-migrants et néo-libéral.

Avec le nouveau budget, les promesses du M5S ne vont pas tenir bien longtemps, puisque l’heure est au décompte de chaque dépense. C’est l’aide aux migrants et l’éducation nationale qui vont couler en premier, avec une baisse de 500 millions d’euros dans les sommes allouées chaque année pour le premier secteur, et un gel des titularisations dans la fonction publique jusqu’en novembre 2019 pour le deuxième. Mais le bilan le plus lourd de ce budget est celui de l’éducation, qui réduit le budget de 4 milliards d’euros en trois ans, c’est-à-dire environ 10% de son budget.
D’autre part, certains chefs de file du M5S s’étaient vivement dressés contre le décret adopté par le Parlement fin novembre de Salvini « sécurité et immigration » qui permet d’allonger les périodes de rétention pour les migrants, et l’interdiction de leur enregistrement dans l’état civil, autrement dit la possibilité de chercher un emploi ou un logement, ou ouvrir un compte en banque. Plusieurs maires en Italie, notamment celui de Palerme, Léoluca Orlando, et le maire de Naples, Luigi de Magistris, ont refusé d’appliquer ce décret.

C’est une situation complexe qui se déroule en Italie, où les deux partis en coalition ont peu d’accord, qui est depuis son arrivée au pouvoir en mai un mariage de convenances, et où ils cèdent à Bruxelles, trahissant les promesses faites à leur base et appliquant à l’inverse de ce qu’ils racontaient dans leur projet alternatif des mesures d’austérité. Comme l’écrivait The Atlantic le 23 octobre dernier à propos du bras de fer sur le budget : c’est un gouvernement qui a besoin d’ennemis pour rester sur pieds. Et l’Europe, avec ses règles et son austérité, est l’ennemi qu’ils cherchaient.

A ce titre, la nouvelle proposition est un énorme pas en arrière face à cet ennemi auquel finalement l’exécutif italien se plie totalement aux exigences de Bruxelles, au risque de perdre la face et d’ouvrir un embryon de crise politique, moins d’un an après son arrivée au pouvoir.

Crédit photo : afp.com/MARCO BERTORELLO

 
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