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La Izquierda Diario
22 de janvier de 2019 Twitter Faceboock

Pas si antisystème
Revenu « universel » sous conditions et budget pro-UE : le « modèle » italien de Marine le Pen
Max Demian

En Italie, derrière les fanfaronnades de Salvini et Di Maio, la réalité est moins clinquante : entre une banque d’affaires sauvée par l’État, un budget ajusté aux exigences de l’UE et un revenu universel pas si universel que ça, la flexibilisation du marché du travail va bon train.

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Crédit photo : Getty

Dans un premier article, nous avions étudié le « modèle » hongrois de Marine le Pen. Derrière un populisme de façade, « antisystème » dans les mots plutôt que dans les faits, se cachent des lois dans la lignée des réformes néolibérales, qui ont provoqué des manifestations massives contre Victor Orban.

En effet, récemment, Thierry Mariani, ancien ministre néolibéral de Sarkozy, fraîchement débarqué de LR, explicite l’objectif que se fixe le Rassemblement National : changer l’Europe de l’intérieur. « Désormais, on reste dans l’Europe mais on la change de l’intérieur. On garde l’euro mais on tente de changer sa gouvernance. Et ça, ça me convient ! […] Pour la première fois, l’élection européenne a un véritable enjeu […] avec Matteo Salvini ou Viktor Orban, une alternative se met en place. »

En l’occurrence, le second « modèle » qui inspire Marine le Pen se trouve être l’Italie, avec à la tête de son gouvernement la coalition populiste formée par le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue du Nord. Ainsi en Italie, derrière les fanfaronnades de Salvini et Di Maio, la réalité est moins clinquante : entre une banque d’affaires sauvée par l’État, un budget ajusté aux exigences de l’UE et un revenu universel pas si universel que ça, la flexibilisation du marché du travail va bon train.

Ligue du Nord et 5 étoiles rime avec néolibéral

En Italie, le tableau vendu par le RN de « l’alternative » au pouvoir n’apparaît guère crédible. En effet, un des éléments les plus mis en avant dans le discours politique du MS5 et de la Ligue du Nord est leur opposition à l’Europe libérale et aux « élites » de Bruxelles. A lire Di Maio dans une lettre publiée sur son blog, le MS5 aurait mené tout un ensemble de réformes en faveur des plus démunis : « En Italie nous avons réussi à inverser cette tendance et il y a maintenant un gouvernement qui recueille un consensus populaire de plus de 60 % parce que les mesures économiques que nous avons mises dans le budget visent à améliorer la vie des plus faibles, à donner un soutien économique à ceux qui n’ont plus de travail, à les insérer dans un plan pour l’emploi ; nous augmentons les retraites les plus faibles pour un demi-million d’Italiens qui vivent dans la pauvreté et qui ne sont pas propriétaires de leur maison ou détenteurs d’économies à la banque. »

Derrière une rhétorique qui défendrait « ceux d’en bas », la réalité est tout autre. Car force est de constater que les populistes européens, dont se revendiquent le MS5 et la Ligue du Nord, ont un projet politique en totale opposition à celui des Gilets Jaunes, et, loin de représenter une rupture avec le « système » et l’agenda néolibéral des précédents gouvernements, ils s’inscrivent en réalité dans la continuité de ces politiques antisociales.

C’est ainsi que le gouvernement italien, après avoir montré les muscles, a récemment cédé sur la question du budget face à l’Union Européenne, rassurant les investisseurs sur leurs velléités de confrontation avec l’Union Européenne. Le budget, après avoir été rappelé à l’ordre par Bruxelles, vient de présenter un déficit à 2,04% pour l’année 2019, plus proche des exigences de l’UE que les 2,4% sur lesquels il avait pourtant initialement annoncé ne pas vouloir céder. Plus encore, le budget prévoit également des coupes budgétaires de 7,5 milliards d’euros qui portent un coup aux deux réformes phares du gouvernement italien – le revenu universel et la contre-réforme des retraites. Quand on regarde dans le détail ce que portent ces deux mesures, là encore, derrière une rhétorique socialisante, s’inscrit la poursuite de l’agenda néolibéral par d’autre moyens.

Le revenu universel sous conditions… de retourner presto au boulot

Premièrement, la proposition de revenu citoyen proposé par le MS5 tient plutôt de la destruction de la sécurité sociale et d’un durcissement de la flexibilisation du marché du travail – dans la lignée même des politiques menées par Macron – que d’une réelle contre-réforme des retraites. En effet, ce revenu citoyen, preuve de la docilité du MS5 à l’égard du néolibéralisme, diminuera en fonction du déficit budgétaire : comprendre, plus le déficit italien sera important, moins l’allocation le sera – une façon de rassurer Bruxelles et les banques italiennes. Un versement par ailleurs soumis à des conditions très strictes : ce revenu citoyen étant en effet conditionné par la signature d’un « pacte » qui oblige les demandeurs d’emploi à accepter une des trois offres qui leur est proposée, dans un rayon de 100 kilomètres les six premiers mois et sur l’ensemble du territoire au bout d’un an. Comme si cela ne suffisait pas, le « bénéficiaire » devra des travaux d’intérêt général à sa commune. Enfin, cerise sur le gâteau, si les entreprises devaient embaucher un bénéficiaire de cette allocation en CDI sans licenciement pendant deux ans, l’aide sera versée aux entreprises directement !

Réforme des retraites : travailler plus longtemps pour gagner moins

Quant à la soi-disant contre-réforme des retraites, il ne s’agit que d’une mesure opportuniste qui n’améliore en rien la situation des plus démunis et de la jeunesse. En effet, si le décret adopté vise à abaisser l’âge de départ à la retraite de 67 à 62 ans, là encore c’est sous conditions. Ne pourront ainsi partir en retraite anticipée que ceux qui ont auront atteint au moins trente-huit années de cotisation, et atteint un « Quota 100 », du nom de la réforme. Deux conditions qui excluent donc une large partie du monde du travail, en particulier tous ceux précarisés par les réformes du marché du travail, les travailleurs précaires ainsi que la jeunesse.

Une précarisation accrue de la jeunesse et du monde du travail que Salvini et le patronat, main dans la main, essaient de récupérer à leur compte : les migrants constituent non seulement un bouc-émissaire politique à la frustration de la population, mais leurs conditions d’exploitations sont telles qu’ils constituent une main d’œuvre bon marché et flexible pour le patronat. Quant au reste, un haut fonctionnaire de la police italienne le concède lui-même, le racisme sert en dernière instance les intérêts du patronat : « Le système de production italien préfère souvent les clandestins : des travailleurs moins chers et plus flexibles. Aujourd’hui, nous commençons à recenser les premiers immigrés réguliers qui perdent leur emploi, tandis que les clandestins travaillent presque tous. La clandestinité ou les permis de travail subreptices sont même des titres préférentiels pour l’accès à un monde du travail qui emploie de préférence sans contrat et sans garanties. […] Même parmi les immigrés les plus désespérés, ceux qui atteignent les côtes italiennes sur des bateaux délabrés, 90 % ont déjà une destination prévue et sont rapidement absorbés par le marché du travail au noir, auquel leur situation de clandestins les destine. » [5] A. Pansa, « Chi bussa alla nostra porta », Limes, n° 2, 2006, p. 99, 101

Tout cela laisse donc de nouveau présager de quoi l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National pourrait être faite. Car le vernis « anti-austérité » ne suffit pas, loin de là, à mener une politique qui soit opposée de façon conséquente au projet des classes dominantes. Car comme on le voit avec ces deux exemples, qui laissent présager de quoi pourrait être faite une éventuelle présidence Marine le Pen, qu’il s’agisse de flexibiliser toujours plus le marché du travail ou de détruire la Sécurité Sociale, le néolibéralisme poursuit sa route. En effet, comme le rappelle justement l’économie Stefano Palombarini : « Une fois de plus, il est essentiel de souligner que le cœur du néolibéralisme n’est pas l’austérité budgétaire, mais une relation salariale « flexible », la main libre au patronat dans les relations du travail, une protection sociale pliée aux règles marchandes. L’austérité a été utilisée, en France comme ailleurs, pour montrer le caractère prétendument « inéluctable » des réformes néolibérales, qui sont à l’origine de la diffusion de la précarité, de la pauvreté et des inégalités grandissantes : autant de dynamiques qui ne seraient pas arrêtés, loin de là, par le simple passage à une politique budgétaire plus expansive. »

A ce discours qui fait disparaître la lutte des classes derrière un soi-disant « peuple », les mobilisations qui ont touché la Hongrie ou l’Italie, mais aussi la France, à un niveau bien plus massif avec les Gilets Jaunes, ont pu montrer la voie à suivre pour lutter contre le néolibéralisme sous toutes ses formes. En Hongrie, pour la première fois, étudiants et travailleurs s’organisent explicitement en solidarité les uns avec les autres contre le régime d’Orban. En France, évidemment, les Gilets Jaunes, mouvement de masse, a mis à l’arrêt l’agenda néolibéral de Macron pour mettre à l’ordre du jour la question du pouvoir d’achat et l’abolition de la Vème République. À mille lieux des récupérations grossières et électoralistes de le Pen et autres populistes, qui voudraient faire passer leur agenda néolibéral mâtiné de racisme, seule une mobilisation de la jeunesse et du monde du travail sera capable de réellement faire reculer ce contre quoi les Gilets Jaunes se soulèvent massivement depuis désormais plus de dix semaines.

 
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