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La Izquierda Diario
24 de janvier de 2019 Twitter Faceboock

Témoignage
1er décembre 2018 : la dernière journée de Zineb Redouane, racontée par sa fille. Justice et vérité !
Flora Carpentier

Zineb Redouane : ce nom illustre à lui seul toute la violence de la répression d’Etat et du silence complice des médias. Décédée le lendemain de l’Acte III des Gilets Jaunes à Marseille, après avoir reçu une grenade lacrymogène en plein visage, elle avait eu le temps de s’exclamer “ils m’ont visée !” Sa fille Milfet était au téléphone au moment des faits et l’a entendue crier. Elle nous livre aujourd’hui son témoignage.

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Zineb Redouane, c’est cette femme de 80 ans, algérienne résidant à Marseille et victime de la violente répression des Gilets Jaunes, dont le président et ses ministres n’ont même pas eu la décence de prononcer le nom. Zineb Redouane Zerari, c’est cette mère, grand-mère, et arrière-grand-mère à qui nous rendons hommage aujourd’hui, et pour qui nous exigeons justice et vérité, malgré le silence insoutenable des médias. Née le 6 juillet 1938, Zineb est décédée le 2 décembre 2018 à l’hôpital de La Conception à Marseille, après avoir reçu une grenade lacrymogène en plein visage alors qu’elle se tenait à la fenêtre de son appartement, la veille, s’apprêtant à fermer ses volets, croyant se protéger de la violente répression qui s’abattait contre les manifestants 4 étages plus bas. Malgré les dix points de suture au visage, sa mâchoire cassée, et les deux plots de grenade retrouvés dans son appartement, le procureur de la République osera mettre la répression policière hors de cause dans le décès de Zineb, prétextant un « choc opératoire » et affirmant qu’« à ce stade, on ne peut pas établir de lien de cause à effet entre la blessure et le décès ».

Pourtant, le récit que nous a transmis sa fille Milfet Redouane, qui a passé une bonne partie de la journée au téléphone avec Zineb, jusqu’au moment fatidique, témoigne d’un climat répressif d’une grande brutalité :

“Samedi 1er décembre 2018. Depuis que le samedi est devenu un jour spécial en France et spécialement à Marseille, Zineb Redouane évite de sortir ce jour-là. Mais ce samedi du 1er décembre, Zineb en se réveillant décide de sortir pour voir son amie Imen Souames, et prendre un café avec elle. Elle l’appelle, et celle-ci passe la récupérer chez elle. Elles vont ensemble prendre un café et papoter pendant un bon moment à cet endroit que Zineb a l’habitude de côtoyer. C’est comme si elle faisait ses adieux à l’endroit qu’elle fréquentait le plus. Ensuite, Imen voulait accompagner Zineb chez elle, mais Zineb a voulu passer au centre commercial Bourse... donc elles se sont séparées. Imen est partie et Zineb est restée un moment au centre et a pris un autre café, toute seule. En rentrant, elle est repassée à la cafette turque pour acheter deux petits gâteaux à emporter (Baklawa) qu’elle n’a pas eu le temps de consommer…

16H15. Zineb est chez elle dans son appartement au 12, rue des Feuillants. A 16h45, elle reçoit un appel d’Algérie. C’est sa fille Soumia Redouane. Cette dernière, très inquiète après avoir vu les infos, appelle sa maman pour la prévenir de ne pas sortir. Zineb la rassure en lui disant qu’elle reste chez elle.

17H30. Zineb appelle sa voisine du 3ème pour prendre de ses nouvelles. Elle la trouve dans tous ses états, parce qu’elle vient de rentrer du Vieux Port où elle était en promenade avec sa famille, et où ils ont reçu une bombe lacrymogène entre les pieds. De ce fait, ses petits-fils ont dû être transportés à l’hôpital. Elle-même a des douleurs et n’arrive pas à bien respirer à cause des gaz inhalés. Zineb lui conseille alors de prendre du lait frais. Sa voisine n’ayant pas de lait chez elle, Zineb lui en envoie une bouteille qu’elle met dans l’ascenseur pour que l’autre la récupère au 3ème. Zineb retourne ensuite tranquillement dans son appartement... Le matin-même, son amie Imen l’avait invitée pour le repas du dîner. Mais vu les événements dehors, Zineb change d’avis et décide de ne pas y aller.

18H00. Zineb commence à préparer son dîner (une soupe de légumes), après avoir fait sa prière. Entre temps, elle s’était connectée sur son portable pour parler et rigoler avec sa fille sur messenger, en attendant que son dîner soit prêt.

19H00. Zineb toujours en communication dit à sa fille : « attends, il y a de la fumée qui rentre par la fenêtre, je vais la fermer ». A peine Zineb avait-elle tendu la main pour fermer sa fenêtre, qu’elle recevait une grenade lacrymogène en plein visage, tirée par un C.R.S qui se trouvait en face de son immeuble... Zineb, seule dans son appartement, a alors commencé à crier et à appeler ses voisins au secours. Au téléphone, sa fille entend les cris de sa maman sans pouvoir rien faire, à part lui demander ce qu’il se passe. Mais l’appareil était tombé par terre quand Zineb a reçu la grenade. A ce moment-là, Zineb était en train d’éteindre la grenade avec ses pieds, avec beaucoup de courage. Elle a ensuite ramassé son téléphone et a dit à sa fille : « il m’a visée, un policier m’a visée »…

Je raccroche le téléphone et appelle immédiatement son amie Imen. Cette dernière ne répond pas car elle sait déjà ce qu’il s’est passé. En effet, elle a appelé ma mère pour savoir si elle venait au dîner et quand ma mère a répondu, elle a compris. Entre-temps, ma sœur appelle sa voisine du 3ème, celle-ci est déjà chez ma mère.... Au téléphone, Imen me dit qu’elle va prévenir les pompiers. A ce moment, un voisin sort demander de l’aide.... Je rappelle ma mère, elle me répond avec beaucoup de courage !! Elle saigne beaucoup, elle tente d’arrêter l’hémorragie avec une serviette... Son appartement est tout noir à cause de la fumée. Sa voisine lui propose de descendre chez elle et d’attendre les pompiers là-bas pour éviter de respirer encore plus de fumée. Ma mère descend mais n’entre pas chez la voisine. Elle attend l’ambulance assise sur le palier des escaliers.

20H15. Après une heure, voire plus, l’ambulance est là.. Ma mère saigne toujours et a dû utiliser plusieurs serviettes pour contenir l’hémorragie. Elle part avec les ambulanciers à l’hôpital de la Timone. Son amie veut la rejoindre mais les routes sont bloquées. Finalement, Imen rejoint ma mère vers 23h00 à l’hôpital, elle m’ appelle et me dit qu’elle est en salle d’attente. Après une heure à attendre, Imen peut voir ma mère : dix points de suture au visage côté droit, c’est ce qu’Imen constate et me dit. Je veux absolument voir ma mère, Imen la prend en photo mais hésite à me les envoyer pour ne pas me choquer, surtout que je suis loin. Finalement, ma mère insiste et Imen m’envoie les photos. Mon Dieu !!! Une grande blessure (10 points), des bleus partout sur le visage et un gros hématome sur la poitrine. On n’a jamais vu ça si ce n’est dans des photos de guerre !!!! Imen reste environ une heure avec ma mère pour la consoler. En sortant de l’hôpital, Imen parle avec l’infirmière qui est de garde. Je suis au téléphone avec Imen et j’entends la conversation. L’infirmière lui dit que ma mère a une fracture importante mais qu’’à son avis, cela ne nécessite pas de chirurgie. Ils attendent tout de même que le chirurgien arrive car la décision lui revient. Le chirurgien examine le scanner et ordonne le transfert de ma mère à l’hôpital de la conception pour une opération en urgence. Ma mère est donc transférée à la conception à 04h00 du matin. Un peu plus tard, les médecins décident qu’il l’opéreront à 13h30 le 02 décembre 2018. Imen passe à l’appartement de ma mère pour lui récupérer des affaires et se dirige vers l’hôpital accompagnée de sa voisine du 3ème. Ma mère raconte tout à Imen, ainsi qu’à sa voisine et au médecin. Avant d’entrer au bloc, ma mère téléphone à tous ses enfants en Algérie, sans savoir que c’est la dernière communication qu’elle aura avec eux. Personnellement, elle me dit qu’elle me téléphonera dès qu’elle sortira du bloc. Puis, elle se tourne vers son amie Imen et lui dit : « promets moi que tu m’aideras pour que justice soit faite. » Avant d’ajouter : « ne bouge pas d’ici, je veux te voir dès que je sors de l’opération. »

Hélas, elle n’en est jamais ressortie. Elle est partie à jamais..et le seul appel que j’ai reçu après cela m’annonçait que ma mère n’était plus de ce monde. Repose en paix MAMA, que DIEU t’accorde sa miséricorde.. Je ne t’oublierai jamais. Un jour, je te rejoindrai là où tu es et on vivra ensemble comme on le faisait dans cette vie qui n’a plus de sens après ton départ. Repose en paix et sache que tes enfants et tes amis ne lâcheront rien jusqu’à ce que justice soit faite. Même si le chemin est long et dur, on ne baissera jamais les bras.

P.S : Cette fille au téléphone c’était moi, Milfet Redouane... J’ai passé toute la journée avec Zineb par téléphone, c’est pour ça je suis au courant de tous ces détails. Allah yarahmek mama, repose en paix. Tu es bien où tu es, sauf que tu m’a laissée toute seule.”

Milfet Redouane, qui a encore du mal à réaliser ce qui est arrivé, n’entend pas en rester là et s’organise d’ores et déjà pour rendre justice à sa mère. Nous vous invitons à suivre sa page Facebook afin de soutenir son combat pour la justice.

Pour nous transmettre vos témoignages concernant la répression des Gilets Jaunes, ou pour nous faire part des mobilisations ayant lieu dans votre région, nous transmettre récits, photos et vidéos, écrivez-nous par mail à [email protected].

 
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