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La Izquierda Diario
20 de février de 2019 Twitter Faceboock

Le jaune à l’honneur
« J’veux du soleil » de François Ruffin. Quand les Gilets Jaunes crèvent l’écran
Dom Thomas

Depuis samedi et jusqu’à sa sortie nationale, prévue pour le 3 avril, le nouveau film de François Ruffin et Gilles Perret est présenté en avant-première. Compilation de témoignages poignants sur les situations de misère vécues par des Gilets Jaunes, mais aussi démonstration de solidarité renouvelée sur les ronds-points… Après « Merci Patron ! » dénonçant les licenciements dans le groupe de Bernard Arnault, « J’veux du soleil », à contre-courant de l’offensive médiatique actuelle, se veut un outil au service du mouvement.

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C’est dans la région Auvergne Rhône-Alpes que le nouveau film de François Ruffin et Gilles Perret, « J’veux du soleil », a été projeté pour la première fois au public, avant sa sortie nationale le 3 avril prochain. A Chambéry, les entrées pour l’avant-première prévue ce dimanche 17 février se sont vendues comme des petits pains : les deux cinémas mobilisés pour l’occasion ont fait salles combles, en accueillant plus de 550 spectateurs. A l’issue de la projection, environ 200 personnes ont traversé le centre-ville pour participer au débat nocturne qui se tenait au Carré Curial, en plein air.

L’épopée des fins de mois difficiles et les ronds points de la colère

Pendant une semaine, en décembre dernier, François Ruffin et Gilles Perret ont avalé les kilomètres en voiture pour traverser la France et aller à la rencontre des gilets jaunes postés sur les ronds-points. D’Amiens à Montpellier, en passant par la Savoie, la Haute-Savoie, l’Ardèche, la Somme etc, ils ont filmé les visages et les corps, les feux de palettes et les cabanes. Ils ont ainsi cueilli une parole sensible et poignante, des récits de vie émus et des colères trop longtemps rentrées. Les deux cinéastes montrent ainsi ce jeune intérimaire qui décrit son frigo vide et l’aide qu’il doit encore, à 28 ans, demander à sa grand-mère pour se nourrir correctement. Cette femme privée d’emploi qui travaille bénévolement pour un organisateur de lotos, en échange du droit à participer gratuitement dans l’espoir de gagner, peut-être, une carte cadeau de 10€ pour faire ses courses alimentaires. Ou encore ces mères qui, après un changement professionnel ou face à une succession de contrats précaires, sont criblées de dettes et n’ont pas de quoi nourrir leurs enfants – et encore moins leur offrir un livre à l’approche de Noël.

De rond-point en rond-point, les visages diffèrent, mais les récits se ressemblent : la galère qui n’en finit pas, les dettes qui s’accumulent, la misère qui fait honte et l’isolement qui en découle. Mais ce qui revient dans les bouches, ce sont aussi les rencontres survenues grâce à ce mouvement des ronds-points : le soulagement de voir qu’on n’est pas seul dans la galère et qu’on n’en est donc pas coupable, contrairement à ce que la société voudrait nous faire croire. Cette honte mutualisée qui se transforme en colère face aux inégalités criantes et aux provocations toujours plus nombreuses de Macron, qui accumule les insultes vis-à-vis des Gilets Jaunes. Le refus de se laisser berner plus longtemps par la politique politicienne, l’envie de reprendre ses affaires en main – sans toujours savoir comment. La force collective qui fait qu’on tient dans le froid pendant des semaines et face à la répression, pour que la honte change de camp.

Pour Ruffin, qui annonce que sa part de droits d’auteur sera intégralement reversée au Secours populaire, un objectif avoué est de ne pas laisser à BFM TV et consorts le monopole de la mémoire du mouvement. On ne peut évidemment que saluer cette volonté de construire des récits du mouvement du bon côté de la barricade !

Avec les Gilets Jaunes, c’est aussi Ruffin qui s’invite à l’écran

Mais comme avec « Merci Patron ! », dans « J’veux du Soleil » ce ne sont pas seulement les milieux populaires qui sont à l’honneur. François Ruffin, aux côtés des Gilets Jaunes qu’il rencontre, s’y met également en scène. Avec parfois le défaut qu’il a de, en voulant faire parler ces personnages et personnes qu’il rencontre, d’en dire trop lui-même, de faire dire plus que d’écouter. De créer un filtre, à la fois émotionnel et politique, entre le spectateur et le sujet du documentaire, ici, les gilets jaunes.

Lorsqu’il décrète vouloir, selon ses propres mots, « apporter de la beauté » aux Gilets Jaunes en montrant que ces derniers ne sont ni des pestiférés, ni des lépreux, face aux « seigneurs modernes ne voient pas la beauté de ces gens en gilets jaunes », l’intention est louable. Il s’agirait ici de traduire auprès d’un public non gilet jaune les objectifs, les problématiques, les exaspérations de toute cette frange de la population qui s’est mobilisée cet hiver. Mais y aurait-il seulement, entre les Gilets jaunes et leurs opposants, une divergence d’ordre esthétique, une divergence de goût, une incompréhension langagière - et non une opposition d’intérêts matériels entre les Gilets Jaunes d’une part, les grands patrons et leurs gouvernants d’autre part ?

Autre élément qui manque au film : la question des perspectives stratégiques et des ambitions politiques du mouvement. François Ruffin part à la rencontre des « gens », « fâchés mais pas fachos », qu’il dépeint de manière réaliste, à contre-courant des manipulations médiatiques ambiantes. Les témoignages poignants, tout autant que les manifestations de solidarité qu’on peut voir dans le documentaire, tordent le cou à ces discours, et beaucoup de spectateurs sont d’ailleurs sortis émus de la projection. Mais cela suffira-t-il à les faire sortir dans la rue ? A faire gagner le mouvement ? En 2010 contre les retraites, en 2016 contre la loi travail, en 2017 dans la bataille du rail et contre le plan étudiant, ce ne sont pas l’empathie et les émotions qui ont manqué, mais bien un plan de bataille pour gagner.

De ce point de vue, « J’veux du soleil » laisse en effet complètement dans l’ombre la question des moyens d’action et des perspectives, qu’il s’agisse de l’émergence de lieux d’auto-organisation comme les assemblées générales de Gilets Jaunes et leur coordination en AG des AG, ou encore de la grève générale, qui permettrait de réunir tous les secteurs en frappant fort contre le gouvernement et les politiques patronales qu’il sert.
En outre, en se cantonnant aux témoignages bruts et aux images des constructions éphémères vouées à la destruction par la police, Ruffin esquive la question du rôle des directions syndicales, qui contiennent la colère et la détermination de tout un pan de cette dite « classe moyenne » - qui n’est autre qu’une fraction de la classe ouvrière. Dans le même esprit, face à un maire de village qui affirme qu’il veut refaire de la politique, Ruffin compare le mouvement actuel avec le slogan du film « L’An 01 » : on arrête tout et on réfléchit. C’est oublier que dans ce film, tourné dans l’engouement des années 1968, on voit rapidement les ouvriers et ouvrières exproprier les patrons, leur proposer une place au même niveau qu’eux dans la chaine de production, et remettre la production en marche sous le contrôle des travailleurs. Dans « L’an 01 » comme dans le monde réel, il n’y a pas de raccourci possible.

Un réalisateur en campagne ?

A de nombreuses reprises au long du documentaire, Ruffin demande aux Gilets Jaunes qu’il rencontre ce qu’ils voudraient dire à Macron si le président était là. Le procédé, aussi simple qu’efficace, montre bien que les Gilets Jaunes, contrairement à ce que les médias racontent, savent très bien ce qu’ils veulent : une meilleure répartition des richesses pour une vie digne, et une démocratie réellement démocratique.

La fin du documentaire est cependant plus troublante. Le film s’achève en effet sur un Ruffin qui annonce, face caméra : « Moi, président de la République, je vais me bagarrer pour que vous y ayez droit, à ce bonheur ». Ruffin annoncerait-il sa candidature à la présidentielle 2022 ? Lors du débat, le député La France Insoumise a entretenu la même ambiguïté : tout en affirmant qu’il ne voulait « plus de président », reformulé en « plus de président-soleil », pour revenir ensuite à sa première formulation « je ne veux plus de président », il a rappelé que selon lui, la combinaison gagnante est « celle de la rue et des urnes », « comme en 1936 ». Est-ce là la conclusion de son film ? Pour gagner suffirait-il de faire élire un « bon » président qui soit à l’écoute de la rue ? Un président comme lui ? Déjà, François Ruffin semble évoquer les « urnes » en parlant de « la rue » au passé…

 
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