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1er de mars de 2019 Twitter Faceboock

Maghreb
Manifestation massive en Algérie : du rejet de Bouteflika au rejet du régime
Mones Chaieb

Ce vendredi 1er mars, des manifestations encore plus massives que la semaine dernière se sont tenues dans tout le pays. A Alger, les manifestants ont réussi à défier l’énorme dispositif policier avant de marcher vers le palais présidentiel. Le mouvement s’est élargi aux étudiants, enseignants, et aux journalistes cette semaine, et les revendications des manifestants dépassent de plus en plus la seule revendication du départ de Bouteflika pour remettre en cause le régime dans sa globalité.

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Les énormes manifestations du 22 février avaient marqué un saut dans la contestation du régime de Bouteflika. Car si avant cette date la lutte des classes étaient loin d’être inexistante en Algérie, pour preuve les nombreuses grèves et mouvement de contestations, la mobilisation actuelle parvient pour le moment à mettre en mouvement l’ensemble des couches populaires et masses déshéritées d’Algérie. Ainsi vendredi dernier, les manifestants avaient bravé l’interdiction de manifester à Alger depuis 2001, à l’instar de la grande mobilisation étudiante de 2011 lors de laquelle les étudiants avaient réussi à forcer les barrages de police, et des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, jusque dans les petites bourgades isolées.

La contestation s’élargit

Aujourd’hui les manifestations ont été encore plus massives, et alors que les forces de répression du gouvernement avaient barricadé Alger, les manifestants ont marché vers le palais présidentiel, parvenant à forcer les barrages de police. Le flux croissant de manifestants n’est pas indépendant du tournant que prend la mobilisation, de plus en plus tourné vers les questions économiques et sociales imputables au régime, source de misère et d’oppression pour la majorité des algériens, et du ralliement de plusieurs secteurs importants.

En effet, ce mardi ce sont les étudiants qui sont sortis massivement dans les rues malgré la forte présence policière devant les facs, les forces de répression ayant même scellé les portes des universités pour empêcher les étudiants de sortir. En vain. Et tout cela alors que les syndicats étudiants inféodés au régime ont assuré Bouteflika de leur soutien, provoquant le slogan « pas en notre nom » repris dans les cortèges étudiants, pour s’attaquer aux bureaucraties syndicales au service du pouvoir. Pendant ce temps-là, les enseignants ont observé deux journées de grève les 26 et 27 février.

Mercredi, ce sont les journalistes qui se sont rassemblées à Alger contre la censure exercée par le régime. Et alors que près d’un millier de journalistes s’étaient rassemblées sur la cyniquement nommée Place de la Liberté de la Presse, des dizaines d’entre eux ont été arrêtés et embarqués dans des fourgons de police, avant d’être relâchés le soir même.

Même la diaspora algérienne dans le monde s’est rassemblée massivement dimanche dernier, notamment à Paris, Place de la république où l’on pouvait compter plus de 3000 manifestants. Et à l’approche du 8 mars, le mouvement des femmes n’est pas en reste, puisqu’une manifestation est annoncée pour converger avec la contestation contre le régime. On voit donc qu’alors que Bouteflika représentait au début de son mandat, l’homme providentiel qui prétendait jouer un rôle d’arbitre entre les intérêts des différentes classes sociales algérienne, sa personne cristallise aujourd’hui tous les mécontentements.

C’est par la grève générale que l’on pourra faire tomber ce régime !

Cependant pour faire tomber le régime, un obstacle reste à abattre. La direction bureaucratique de l’Union Générale des Travailleurs Algériens est en effet un allié précieux pour le pouvoir. Son secrétaire général, Sidi Saïd, a ainsi assuré Bouteflika de son soutien, y compris en faisant campagne pour réunir les signatures nécessaires pour parrainer sa candidature. Mais la fronde contre cette direction aux ordres des classes dominantes commence à se faire entendre. Après les sections syndicales d’Aokas la semaine dernière, c’est aujourd’hui celle de Khenchla qui demande qui conteste la légitimité de Sidi Saïd.

Une intersyndicale réunissant treize syndicats autonomes s’est également tenue hier sous la pression des travailleurs. Mais l’appel qui en est sorti est un mélange entre des demandes polies à Bouteflika d’octroyer quelques libertés démocratiques et d’assurer la sécurité des manifestations, avec des propositions à peine voilées pour encadrer le mouvement et apparaître comme un interlocuteur privilégié pour le gouvernement afin de négocier une issue au conflit. Cet épisode montre encore une fois que les bureaucraties syndicales sont les alliées des classes dominantes, avec qui elle devront finir dans les poubelles de l’histoire.

Alors que les travailleurs sont de plus en plus nombreux à contester ces directions, des appels à la grève spontanés ont émergé notamment à Aokas en Kabylie. Cependant ces appels sont encore isolés et pour éviter l’essoufflement, le mouvement devra se doter d’une coordination nationale qui rassemble les différentes secteurs mobilisés, afin que les orientations respectent les intérêts démocratiques et sociaux des couches populaires, et que le mouvement se dote d’un outil en mesure de venir à bout du régime.

La crise du gouvernement

Pour les profiteurs du système, tous les moyens sont bons pour sauver les meubles. Si la répression a été faible au départ, c’est avant tout parce que la mobilisation déborde les capacités de l’Etat policier. C’est ainsi que le premier ministre déclarait que la constitution garantissait le droit de manifester. Mais ces paroles ne sont que de la poudre aux yeux. Dès qu’il a été possible de réprimer, le gouvernement n’a pas hésité. Ainsi en a-t-il été de la mobilisation des étudiants mardi, mais également des dizaines de journalistes arrêtés mercredi. De même aujourd’hui à Alger où les forces de police ont fait usage de gaz lacrymogène. La répression mis en œuvre montre que la mobilisation fait peur au pouvoir, alors que Bouteflika n’a bien sûr pas pris la parole depuis le 10 février, jour de ses 25 minutes d’allocution sur la chaîne nationale pour annoncer sa candidature.

Par ailleurs les gaz et la matraque ne sont pas les seuls outils au service du régime. Si nous citions plus haut les bureaucraties syndicales, il faut également parler du communiqué envoyé par l’Etat aux imams du pays, leur enjoignant de faire de la propagande directement contre les manifestations dans leur prêches, en les associant à un pêché. Mais les algériens qui sont sortis dans la rue ce vendredi ne se sont pas laissé abuser. Alors que la semaine dernière de nombreux témoignages racontait que les manifestants étaient sortis spontanément des mosquées à l’heure de la prière, laissant les imams tout seul, cette semaine à Béjaïa l’appel à manifester n’a pas attendu la prière de l’après-midi, désavouant ainsi les potentiels religieux qui auraient tenté de les dissuader de manifester. En effet, la situation a bien changé depuis le début des années 1990. Les algériens ont connu la décennie noire, et surtout ils ont fait l’expérience que derrière les beaux discours des islamistes faisant l’apologie des valeurs morales, ceux-ci s’étaient associés au divers gouvernement pour faire passer les mêmes réformes antisociales à l’image du Mouvement pour la Liberté et pour la Paix (MPS).

Mais si les islamistes semblent pour le moment dépassés, les classes dominantes peuvent aujourd’hui compter sur d’autres forces politiques pour tenter de recomposer leurs forces. C’est ainsi que l’on pouvait constater la présence de personnalité à l’image d’Issad Rabrab dans le cortège à Alger aujourd’hui. Le propriétaire du plus grand groupe privé algérien et d’un groupe de presse se pavanait ainsi, laissant croire que lui aussi partageait la revendication des algériens descendus dans la rue. Mais il faut dire que le quotidien de la majorité des algériens n’a rien à voir avec celui du milliardaire. Et que s’il peut avoir intérêt à ce que Bouteflika parte, ce n’est nullement pour lutter contre les inégalités sociales, mais au contraire pour amplifier le rythme des réformes néo-libérales qui jettent les travailleurs, les chômeurs, les précaires, les femmes dans la misère depuis des années. Les seuls désaccords entre un Rabrab concernent la taille de la part de chacun dans le gâteau qu’ils se partagent depuis des années, et n’a rien à voir avec les intérêts des couches populaires algériennes.

Macron l’impérialiste en sueur

Il n’y a pas que les classes dominantes algériennes qui paniquent. L’Etat français et les grandes entreprises françaises sont également en sueur, car l’Algérie, dont l’indépendance n’a été qu’une façade, représente un marché juteux pour les entreprises françaises qui y exportent plus de 6 milliards de marchandises chaque années. Sans parler du secteur de l’énergie, l’Algérie étant un des principaux fournisseurs de la France en gaz et en pétrole de la France. C’est pourquoi Macron a fait faire un aller-retour express à son ambassadeur en Algérie, pour s’entretenir de la situation en urgence. En effet, si Bouteflika tombe, Macron veut savoir qui sera en mesure de préserver les intérêts de la France en Algérie. Si l’option d’une intervention n’a pas l’air privilégiée pour le moment, il est nécessaire que les travailleurs français fassent preuve de solidarité à l’égard de la lutte du peuple algérien, et dénoncent toute forme d’ingérence de l’Etat français en Algérie.

Du rejet de Bouteflika au rejet du régime

Aujourd’hui le cinquième mandat de Bouteflika apparaît donc de plus en plus compromis. Mais plus que cela, c’est l’hégémonie des classes dominantes qui est remise en cause. Car s’il n’est pas impossible que ces dernières tentent de restaurer l’impopularité du régime en présentant un autre candidat à l’image de Ghediri, il n’est pas sûr que les travailleurs et couches populaires algériennes se contentent de changer de président et acceptent le programme tout autant antisocial du nouveau venu. De plus en plus, le rejet de Bouteflika laisse place au rejet du régime d’exploitation, d’oppression et de misère.

 
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