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7 de mars de 2019 Twitter Faceboock

Violence carcérale
Attaque de gardiens à Condé sur Sarthe : la question de l’institution pénitentiaire est, une fois de plus, posée
Claude Manor

Après l’attaque de deux gardiens par un détenu dans le centre de Condé sur Sarthe, la prison la plus sécurisée de France, les personnels ont protesté en bloquant plusieurs centres pénitentiaires. Au-delà du caractère condamnable de l’agression, la question profonde de l’institution pénitentiaire et de son rôle dans la société est une nouvelle fois posée.

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Crédits photos : © JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

La radicalisation en prison, un cercle vicieux

Si, pour l’heure, l’agression n’a pas été revendiquée, son auteur lui-même, Michaël Chiolo, l’aurait, semble-t-il, exécutée en proférant le nom d’Allah. Âgé de 27 ans, cet homme, décrit par les psychologues comme un marginal désocialisé, purgeait une peine de 30 ans de réclusion pour le meurtre d’un homme âgé de 89 ans, à Metz en 2012. C’est dans le cadre de son séjour en prison qu’il se serait converti à l’islam radical.

Dans le cadre d’une politique d’incarcération croissante, malgré une surpopulation de plus en plus dramatique des prisons, le nombre des détenu.e.s en France est passé de 67 500 en 2015, à plus de 70 000, fin 2018. Parmi ces détenus, une très grosse majorité, voire la quasi-totalité, sont issus des couches sociales les plus défavorisées, particulièrement dans les centres situés à proximité des « banlieues ». Un tri social et juridique dont on ne peut attendre que des effets boomerang.

Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les prisons constituent un terreau privilégié pour le recrutement de candidats au Djihad. Face au toujours plus répressif, à la suspicion généralisée, à la succession d’humiliations et de frustrations, les pratiques des recruteurs radicaux se sont adaptées. Il y a quelques années, ils prêchaient à visage découvert et cherchaient à attirer le plus grand nombre.

Aujourd’hui, pour être moins visibles et éviter d’être transférés dans des unités spécifiques, ils procèdent de manière plus cachée, sans signes ostentatoires et développent des relations bilatérales avec des cibles choisies parmi les plus fragilisés avec qui une dépendance affective peut s’établir. C’est un tel parcours que Michaël Chiolo, qui présentait un profil psychologique déjà peu équilibré, semble avoir suivi. D’après son avocat, maître Cédric Demagny, sa première détention à la maison d’arrêt de Metz a été déterminante. « Il était jeune et très seul à la maison d’arrêt, les milieux radicalisés lui ont tendu la main. »

Mais à la différence des recruteurs prudents, Michaël Chiolo s’est signalé, à plusieurs reprises, par des propos et des actes ouvertement radicaux notamment au moment des attentats du Bataclan, comportement qui lui a valu d’être transféré et placé sous haute surveillance dans le centre de Condé sur Sarthe. Mais l’aggravation des conditions d’incarcération n’a pas enrayé ce processus comme en témoigne l’agression au couteau perpétrée sur deux gardiens le mardi 4 novembre.
 
« L’impossible réforme des prisons »

Plus généralement, et en dehors du processus de radicalisation qui est une donnée carcérale de plus en plus courante, le système pénitentiaire démontre son incapacité à remettre les détenus, même de droit commun, dans « le droit chemin » et la voie de la « réinsertion ». Il ne cesse de poser une question fondamentale de société. C’est ce qu’illustre notamment le livre de Simone Buffard paru en 1973 sous le titre Le froid pénitentiaire ; « l’impossible réforme des prisons. »

Dans le cadre de la société capitaliste, l’institution pénitentiaire, outil de domination de classe, reproduisant et accentuant le racisme au même titre que l’armée ou la police, est inexorablement vouée à exercer le pouvoir de répression de l’Etat bourgeois. Dans un contexte où les inégalités sociales se creusent, où les plus démunis sont précarisés ou marginalisés, le tout-répression ne cesse de se développer, encouragé par les lois toujours plus autoritaires. En conséquence, les prisons ne peuvent que regorger et prendre un visage de plus en plus barbare. Et ce n’est certes pas le tournant autoritaire et ultra répressif que prend le gouvernement Macron qui changera le cours des choses. Bien au contraire.

L’inflation des incarcérations, la course à des méthodes et outils de contention et de surveillance de plus en plus sophistiqués ne peuvent être qu’une fuite en avant. Plutôt que de chercher à éviter toute défaillance du système pénitentiaire, qui de toutes façons ne sera jamais sans faille, c’est plutôt de vider les prisons et surtout de ne pas avoir à les remplir qu’il faudrait se soucier. Utopie, direz-vous ? Très certainement oui sous le régime politique que nous connaissons mais peut-être non, dans une société qui serait débarrassée de l’exploitation et de toutes les formes de discrimination et d’oppression
 
La fonction pénitentiaire, prolongement du bras armé de l’Etat et de sa police
 
Telle qu’elle est définie par la société dans laquelle nous vivons actuellement, la prison, bras armé de l’Etat, de sa police et de sa justice ne peut être que mortifère, comme l’illustre quotidiennement la violence des matons sur les prisonniers. Cette violence qui ne fait qu’encourager les rapports de domination et d’oppression entre les prisonniers eux-mêmes est l’un des avatars de sa morbidité profonde. Les suicides de détenus y sont fréquents.

Recrutés sur concours, les matons suivent, bien sûr, des temps de formation initiale et continue durant lesquels ils sont censés acquérir des « compétences ». Beaucoup de jeunes impétrants sont convaincus de s’engager dans une mission « sociale ». La « fiche métier » qui leur est présentée est d’ailleurs rédigée en ces termes : « Le surveillant pénitentiaire ou gardien de prison prend en charge les prisonniers confiés par les autorités judiciaires pour en assurer la garde et la surveillance. Tous les jours au contact des personnes détenues, il participe à leur réinsertion ».

Une jolie manière de dorer la pilule. Cette même fiche reconnaît d’ailleurs que la mission de réinsertion est « trop souvent oubliée. » ; et cet oubli n’est que le reflet de l’institution elle-même qui préfère la contention à l’insertion. La triste réalité c’est que les nouveaux embauchés qui pourraient avoir des illusions déchantent très vite. Ils ne tardent pas à découvrir que, loin d’être un lieu de rédemption, la prison enfonce chaque jour les détenus dans une disposition à la délinquance de plus en plus grave et que le milieu carcéral s’avère une machine à fabriquer inexorablement de la frustration et de la violence.

C’est aussi à l’aune de cette terrible réalité qu’il faut analyser l’agression subie par les deux gardiens de Condé sur Sarthe et s’interroger sur la signification des revendications des personnels pénitentiaires mobilisés qui qualifient les établissements de « cercueils ambulants. ».

Selon Yoan Karar, secrétaire général adjoint FO pénitentiaire, syndicat majoritaire, « les revendications portent sur la sécurité et les salaires… Il faut une revalorisation salariale car la grosse problématique, c’est qu’on n’arrive pas à recruter. Le problème, c’est que le métier n’est pas attractif. »

Cette approche n’est qu’une autre manière de demander plus de moyens pour le bras pénitentiaire de la répression. Car, considérer les missions de gardien de prison comme un métier qui, pour s’exercer dans de « meilleures conditions de travail » aurait besoin de plus de moyens en effectifs, en matériels, en procédures… est de nature à nourrir l’inflation du système carcéral plutôt que de remettre en cause sa place en tant que prolongement du bras armé de l’Etat. Place qui est l’origine même des conditions d’exercice de la fonction carcérale.

 
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